ANALYSES

Pourquoi la fin de vie s’impose-t-elle dans le débat public ?

Tribune
13 mars 2024

Nous vivons ces dernières années et décennies des bouleversements qui semblent indiquer que la société française est prête à aborder ce sujet. Ne pas réfléchir sur la question est un luxe que nous ne pouvons plus nous offrir. La concomitance du vieillissement démographique de la France (10,5% de la population a plus de 75 ans), associé à notre mode de vie pathogène qui porte les MNT (Maladies non transmissibles) au rang de véritable épidémie rend la population française extrêmement sensible à la question de la fin de vie dans la dignité.

C’est d’autant plus une problématique pour la génération des 30-50 ans d’aujourd’hui qui subissent les MNT (maladies cardio-vasculaires, surpoids, cancer, etc.) de plein fouet et qui vont les emmener avec eux dans le troisième âge, les rendant plus vulnérables que leurs ainés au même âge. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) craint une augmentation des cancers de 77% d’ici 2050.

Des situations qui vont amener bon nombre de Français à se confronter à la question de la fin de vie, notamment dans le contexte sociétal où la famille n’existe plus de manière transgénérationnelle sous un même toit (études, opportunité de travail, exode rural, etc.). Une situation qui génère isolement des membres de la famille, et qui peut dégrader la prise en charge de fin de vie de certains d’entre eux.

Pour faire face à ces évolutions en termes de santé publique et sociétale, nous avons un système de santé qui conjugue financement avec rentabilité. Dans ce système ni les soins palliatifs ni les services de gériatrie ne sont « lucratifs ». Cependant, ils collectionnent tous les problèmes du système de santé actuel : manque de personnels, manque de moyens, manque de lits… N’oublions pas le traumatisme national de la sortie de l’enquête « Les fossoyeurs » mettant à jour une maltraitance généralisée dans certains EHPAD.

Une situation qui met à vif les patients, les familles, le corps médical d’où émergent de plus en plus souvent les narrations douloureuses d’une situation désespérée. L’irruption de ces récits où la détresse des familles ne fait qu’écho à la souffrance du patient, ponctués de conflits familiaux qui en découlent, permet à la dimension humaine de s’installer dans la réflexion nécessaire autour de la thématique de la fin de vie. Un portage du récit qui a été un outil essentiel dans l’ouverture à la PMA pour toutes, tout comme plus récemment l’inscription de l’IVG dans la constitution française.

Quel regard la société porte-t-elle sur la fin de vie ?

La fin de vie fut longtemps le pré carré de la religion, tout comme l’ont été (et l’est encore parfois) la naissance et la santé reproductive. Actuellement, les récits des fins de vie, empreints d’émotion, sortent la « fin de vie » de la théorie qu’elle soit religieuse, philosophique ou éthique. Le principe de réalité, la difficulté de vivre cet accompagnement dans la douleur, la souffrance et la honte de chercher d’autres solutions, permet de comprendre, enfin, l’urgence de faire évoluer les choses.

Les Français sont prêts : un sondage IFOP de 2023 rapporte que 90% des Français pensent que la loi devrait autoriser l’euthanasie. Aujourd’hui, déjà, des Français, dans une impasse juridique, vont chercher hors de nos frontières l’apaisement qu’ils réclament. Faire évoluer la loi sur la fin de vie, c’est également retirer les œillères que nous avons vis-à-vis de cette thématique. C’est arrêter les fins de vie clandestines et libérer les patients, les familles et les médecins du joug judiciaire qui pèse sur eux dans ce moment partagé où le patient et sa famille reprennent le contrôle sur la pathologie.

On ressent cette volonté dans le choix de la sémantique de « l’aide à mourir » qui, contrairement au « suicide » faisant référence à une rupture, fait appel au champ lexical de l’accompagnement et la continuité.

Comment cela se passe-t-il hors de nos frontières ?

Au niveau international, peu de pays se sont déjà prononcés sur ce fait de société, que beaucoup considèrent encore comme tabou.

Actuellement, 12 pays à travers le monde disposent de loi autorisant une aide active à mourir, à travers le suicide assisté (c’est le patient lui-même qui administre le produit létal) comme en Suisse, ou via l’euthanasie comme en Nouvelle-Zélande (c’est le corps médical qui administre le produit létal).

Si les modus operandi divergent, les conditions d’accès se retrouvent dans la souffrance dite « insupportable qui ne peut pas être soulagée, chez un patient capable de discernement ».

En Europe, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg ainsi que l’Espagne, et plus récemment le Portugal, ont adopté une législation encadrant l’euthanasie. L’Autriche et la Suisse, quant à eux, privilégient le suicide assisté.

Au-delà du vieux continent, l’aide à la fin de vie est permise dans quelques États des États-Unis, au Canada, ainsi qu’en Colombie. En Océanie, la Nouvelle-Zélande et 4 États de l’Est australien le permettent également.

Toutefois, l’aide active à mourir est dans certains pays conditionnée au pronostic vital engagé à court terme (États-Unis, Autriche, Australie et Nouvelle-Zélande), tandis que d’autres pays estiment qu’une « souffrance insupportable sans espoir d’amélioration » est un critère suffisant (Canada, Colombie, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Espagne). À noter une particularité aux Pays-Bas, en Belgique et en Colombie qui sont les seuls pays à travers le monde à permettre l’aide active à mourir pour les mineurs.

Que peut-on dire de ce projet de loi en France ?

Le projet de loi évoqué en France pose d’ores et déjà une restriction qui « exclut de cette aide les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer ». Pourtant, de l’avis même de Santé publique France, les maladies neurodégénératives sont des pathologies à « l’impact majeur sur les personnes atteintes », avec une « absence de traitements curatifs ». Et si au stade de la démence, le patient n’est bien sûr plus capable de discernement, il l’aura été toutes les années précédentes, durant lesquelles, bien conscient de la temporalité de la pathologie, il pourrait faire le choix de sa fin de vie. En toute dignité.

Porter un projet de loi de fin de vie, sans inclure les maladies dégénératives, c’est potentiellement laisser plus d’un million de personnes dans la perspective d’un avenir non choisi. Faut-il imposer un double fardeau à ces patients ? La maladie, plus celui de l’absence de choix ?

D’autre part, le projet de loi sur la fin de vie s’inscrit dans un continuum qui nécessite un renforcement et une revalorisation. Les soins palliatifs, d’accompagnement, autant sur la fin de vie que dans les douleurs chroniques se doivent d’être reconsidérés et financés. Aujourd’hui, encore 21 départements en France n’ont pas de services de soins palliatifs. C’est tout un système qu’il faut aujourd’hui consolider : l’hospitalisation à domicile plébiscité par les patients et les familles, les ruptures médicamenteuses, la réouverture de lit d’hospitalisation, de postes de personnels médicaux, la prise en charge transversale des patients, l’accès aux soins en santé mentale, etc.

À travers ce projet de loi sur la fin de vie, il y a une véritable opportunité à réinjecter de « l’humain » dans un système de soins complètement déshumanisé.
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