ANALYSES

Éradiquer le paludisme : quelles stratégies internationales ?

Interview
26 février 2024
Le point de vue de Anne Sénéquier


Le Cameroun a lancé en ce début d’année 2024 une campagne de vaccination systématique contre le paludisme. Une première à l’échelle internationale, alors qu’en 2022 le paludisme avait provoqué la mort de 608 000 personnes à l’échelle mondiale, dont 508 000 sur le continent africain. Que traduit cette décision camerounaise ? Est-il envisageable d’éradiquer le paludisme ? Si tel est le cas, quels sont les moyens à mettre en œuvre ? Le point avec Anne Sénéquier, chercheuse à l’IRIS et co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale de l’IRIS.

Le Cameroun est devenu le premier pays au monde à inscrire le vaccin contre le paludisme à son calendrier vaccinal. Pourquoi le Cameroun ? En quoi la décision camerounaise représente-t-elle un tournant pour l’Afrique, voire au-delà ?

Plusieurs raisons ont mené le Cameroun à être le premier pays au monde à déployer la vaccination antipaludique dans son calendrier vaccinal.

Il s’agit tout d’abord d’un des 11 pays les plus touchés par le paludisme dans le monde : plus 3 millions de cas et 3 800 décès en 2021. Le vaccin RTS,S/AS01 contre le paludisme est déployé en Afrique subsaharienne dans un premier temps où le paludisme à plasmodium falciparum est modéré à élevé.

Par ailleurs, la vaccination nécessite la mise en place de dispositifs complets au niveau national permettant sa faisabilité. Adaptation des politiques publiques, élaboration de plan de déploiement opérationnel, la formation du personnel de santé (sur la vaccination, mais aussi sur « comment gérer la désinformation autour de la vaccination »),  investissement dans les infrastructures, augmenter les capacités techniques, le stockage de vaccin (qui doit rester entre 2 et 8°c ). Mais également travailler à l’engagement communautaire et à l’adhésion populaire.

Le Cameroun a depuis longtemps fait du paludisme l’une de ses priorités sanitaires. Une antériorité qui lui a permis de lancer les premières vaccinations le 22 janvier dernier. Le Burkina Faso a suivi en lançant sa campagne de vaccination le 5 février. Le Bénin, le Libéria, la Sierra Leone sont également en train de finaliser leurs plans de déploiement.

Le paludisme est un véritable fardeau pour le continent africain, dont il entrave le développement humain et économique. L’Afrique concentre 94 % des cas de paludisme dans le monde. Un nombre de cas qui a d’ailleurs bondi ces dernières années passant de 232 millions de cas en 2019 à 249 millions en 2022… Autant d’absentéisme scolaire qui peuvent entraver une scolarité, et de journée de travail en moins (souvent informel) qui a la rapide capacité à mettre en péril le budget de la famille.

Il s’agit également d’un capital humain amputé avec 608 000 décès, dont quasi 500 000 concernent des enfants de moins de 5 ans.

On comprend aisément le tournant majeur que peut représenter la vaccination antipaludique pour le continent africain au niveau humain, mais aussi en termes de développement économique. Ce vaccin est une étape majeure dans l’objectif 3 des objectifs de développement durable (ODD) : l’ONU espère mettre fin à l’épidémie de paludisme d’ci à 2030…

Avec l’élaboration de ce nouveau vaccin et les progrès scientifiques, est-il envisageable d’éradiquer à terme le paludisme ?

Mettre fin à l’épidémie de paludisme d’ici à 2030 fait partie des cibles de l’objectif de l’ODD 3, relatif à « la bonne santé et au bien-être ». Ce vaccin ajoute une pierre fondamentale dans cette lutte de longue haleine. Cependant comme tout vaccin, le vaccin antipaludique RTS,S n’est pas efficace à 100 % (il réduit le risque d’infection grave chez les enfants) et doit être utilisé en concomitance avec les autres outils, c’est-à-dire les mesures de prévention : dormir sous des moustiquaires, lutter contre les eaux stagnantes (lutte antivectorielle), améliorer l’accès aux soins auprès de la population et lutter contre la désinformation.

Par ailleurs, le vaccin actuel ne protège « que » du paludisme à plasmodium falciparum, tandis qu’il existe quatre formes de paludismes liées à des parasites différents à travers le monde. Sans oublier le changement climatique qui faisant évoluer les conditions climatiques sur le terrain, fait également « voyager » le moustique porteur du paludisme vers de nouvelles régions…

Éradiquer le paludisme est techniquement faisable, à condition d’avoir une véritable volonté politique au niveau national et international, ainsi que d’y mettre les fonds nécessaires. La « stratégie technique mondiale de lutte contre le paludisme 2016-2030 » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à 7,3 milliards de dollars le financement nécessaire pour venir à terme du paludisme. Or en 2019 déjà, il manquait 2,6 milliards et 3,8 milliards de dollars en 2021. De plus, le contexte économique actuel ne rend les financements à destination de la santé que plus compliqués.

Quel panorama peut-on dresser sur les grandes pandémies actuelles et les stratégies mises en place pour les éradiquer ?

Il y a bien sûr le VIH qui reste un problème majeur au niveau mondial. 630 000 personnes sont décédées de maladies liées au sida en 2022. 39 millions de personnes vivent avec le VIH alors que seulement 30 millions ont accès à une thérapie antirétrovirale. Au-delà de ce déficit d’accès aux soins, il y a un problème de mésinformation auprès de la population. Certaines personnes considèrent que le VIH n’étant plus « une maladie mortelle », il n’est pas important de se protéger. Par ailleurs, la criminalisation des travailleurs du sexe, de l’utilisation des drogues est encore largement pourvoyeuses de nouveaux cas. C’est également le cas pour les zones de conflits et l’utilisation des viols comme arme de guerre.

Aujourd’hui, la stratégie luttant contre le VIH se veut multisectorielle et largement transversale : travailler à une couverture sanitaire universelle ou à l’accès aux médicaments,  faire du plaidoyer sur la décriminalisation de l’homosexualité, de la consommation de drogues ou encore le commerce du sexe… Des lois qui entravent le recours aux soins des personnes. Travailler au niveau des communautés, au niveau des villes avec le réseau « Fast-Track Cities » qui soutient plus de 300 villes à travers le monde dans leurs objectifs de réduire l’épidémie de VIH…

La pandémie de Covid-19 que nous avons connue en ce début de décennie s’est certes faite plus discrète, mais elle reste malgré tout une préoccupation. Elle se range petit à petit à côté des virus que l’on qualifie de « saisonniers ». À la différence notable que le Covid-19 sait se défaire du côté saisonnier et a la capacité de fabriquer des clusters autant l’hiver que l’été. La stratégie au niveau national s’appuie sur les mesures de prévention : la vaccination. Au niveau international la pandémie de Covid-19 a permis une remise à niveau de plusieurs protocoles tel que le Règlement sanitaire international (RSI). Un « accord mondial sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies » est également en cours d’élaboration entre les États membres de l’OMS. Un travail préliminaire qui sera présenté lors de la prochaine Assemblée mondiale de la santé en mai 2024. Il est notamment question de mécanismes mondiaux de préparation et d’intervention pour répondre de façon plus efficace et rapide aux futures pandémies d’obtenir un financement pérenne et de construire une gouvernance de la surveillance épidémiologique.

La dernière pandémie, mais peut-être la plus importante, est la pandémie de maladies non transmissibles (MNT).  Nous vivons la première pandémie de l’histoire humaine de maladie non transmissible. Les MNT regroupent les maladies cardio-vasculaires, les cancers, les maladies respiratoires chroniques et affections métaboliques (diabètes… ). Les MNT sont multifactorielles : génétiques, comportementale, politique et sociologique… une complexité qui invisibilise le lien entre notre environnement de vie et l’impact que celui-ci a sur notre santé. Pourtant, en 2021, les MNT représentent 74 % des décès au niveau mondial. De plus, notre incapacité à fédérer autour de cette urgence fait que ce chiffre est en constante augmentation depuis 1990, date à laquelle a commencé le recueil de données du Global burden of disease (GBD). Il s’agit de la pandémie transversale par excellence.

Pourtant les politiques de santé publique autour de ces problématiques sont encore et toujours axées sur la responsabilisation de l’individu : « Manger 5 fruits et légumes par jour », « Privilégier la marche pour les trajets courts ».  Comment faire lorsque les produits ultratransformés envahissent les super marchés et sont moins chers que les produits frais ? Comment faire lorsqu’il n’y a pas d’infrastructures sécurisées où l’on pourrait marcher ou faire du vélo jusqu’à l’école ? Alors que dès 2011 les Nations unies ont mis la prévention et la maitrise des maladies non transmissibles au programme de son Assemblée générale, les États ont du mal à élaborer des politiques qui aurait un véritable impact sur cette pandémie invisible.  Travailler véritablement sur les MNT c’est faire face aux lobbys de la cigarette, de l’alcool, de l’industrie alimentaire, de l’automobile, des énergies fossiles…

Du fait de ces MNT, il est d’ores et déjà prévu que l’objectif du développement durable relatif à la santé ne sera pas atteint en 2030, ni en 2040…
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