ANALYSES

« Le RN n’a rien à perdre politiquement en demandant la dissolution des groupuscules d’extrême droite »

Presse
22 décembre 2022
Interview de Jean-Yves Camus - Le Figaro

Dans un courrier adressé le 18 décembre à la première ministre, Marine Le Pen réclame la dissolution de «groupuscules extrémistes», de droite comme de gauche. Comment interpréter cette stratégie?


Cette stratégie répond à la demande de constitution d’une commission parlementaire d’enquête sur les groupuscules d’extrême-droite, formulée récemment par certains députés Nupes. Marine Le Pen dit, en creux, qu’il ne s’agit pas d’enquêter, comme les députés l’ont déjà fait en 2019, mais d’agir, ce qui incombe au gouvernement. Et pas seulement contre l’extrême droite comme le voudrait une partie de la Nupes: contre toutes les radicalités politiques qui peuvent être dans le champ d’application de l’article L.212-1 du Code de la sécurité intérieure soit, pour faire court: l’ultra-gauche, l’ultra-droite et l’islam radical, lorsqu’ils utilisent la violence, veulent renverser les institutions ou incitent à la haine et la discrimination sur la base du genre, de l’orientation sexuelle, de l’appartenance ethnique ou religieuse. C’est d’ailleurs ce que le gouvernement fait depuis 2017, puisqu’il a dissous 15 associations islamistes radicales; 5 appartenant à l’extrême ou l’ultra-droite et 2 appartenant à l’ultra gauche, dont une a obtenu la suspension de la mesure par la justice administrative. Alors, pourquoi lui demander d’agir ? D’une part pour tenter de tracer, dans l’opinion publique, une ligne de séparation claire entre le RN et l’extrême droite. D’autre part pour accréditer l’idée que si on traque l’extrémisme, il ne faut pas se focaliser sur l’extrême droite, dont parlent beaucoup les médias et la gauche, mais faire davantage encore contre l’islam radical et beaucoup plus contre l’extrême gauche.


Pointer du doigt les groupuscules d’extrême droite, est-ce l’aboutissement de la stratégie de dédiabolisation du RN ?


L’habileté de MLP consiste à ne pas pointer du doigt l’extrême droite et elle seule: ses militants et nombre de ses électeurs ne le comprendraient pas. Elle demande aussi, en creux, au ministre d’agir contre l’extrême gauche et les antifascistes radicaux, ce qui est un thème assez populaire chez la base militante du RN. Mais c’est vrai, sa demande est une étape du processus de normalisation qu’elle fait suivre à son parti. Et le RN comme elle-même, personnellement, étant vilipendés depuis 2011, avec une acrimonie croissante, par tous ceux qui se situent à leur droite, elle pense sans doute avec raison que perdre les voix des militants ultras, c’est bien peu au regard de ce qui lui importe vraiment: gagner des voix qui consolident le vote du «bloc populaire» pour 2027.


Sur le plan politique, qu’a-t-elle à y gagner ou y perdre ? Ces groupes ne représentent pas grand-chose…


Le ministère de l’Intérieur estime à 3500 le nombre de militants d’ultra-droite. Même en y ajoutant la frange la plus radicale des militants du RN qui n’est pas partie vers des scissions comme le Parti de la France, la perte éventuelle des voix est infime, elle ne fait pas bouger un scrutin. La perte électorale est nulle et le gain d’image est fort. MLP ne demande pas l’interdiction de groupes d’extrême droite parce qu’ils représentent du monde mais pour montrer que son parti appartient à une famille idéologique radicalement, c’est le cas de le dire, différente deux, que le tronc commun qui existait de la naissance du FN en 1972 jusqu’à son arrivée en 2011, est définitivement coupé. C’est aussi une manière d’inviter son concurrent, Reconquête, à prendre les mêmes distances ou à passer pour le point de chute logique des radicaux.

Le RN peut-il ainsi espérer couper l’herbe sous le pied à LREM ou à des mouvements comme le Printemps républicain pour qui «les extrêmes de gauche et de droite se «rejoignent» ?


Laurent Bouvet, trop tôt disparu, ne disait pas exactement cela. Il avait inventé le concept de « tenaille identitaire » pour décrire la situation où l’universalisme et la laïcité, attaqués par l’islam radical, doivent aussi faire face, par une sorte de choc de retour, à la crispation d’une certaine droite sur une définition ethnoculturelle de l’identité française. Cette forme de fausse réponse à la menace islamiste existe. Pour autant, le Printemps républicain, auquel je n’appartiens pas, parle dans son Manifeste « d’attaques convergentes » contre la République, pas d’identité de nature entre les extrémismes, même si certaines individualités ont à tort utilisé les concepts polémiques d’islamo-fascisme et d’islamo-gauchisme, qui sont des pièges tendus à ceux qui veulent saisir les spécificités historiques et philosophiques du totalitarisme que constitue l’islamisme politique. Sans compter qu’évoquer une identité de nature entre les extrémistes implique souvent la mise en en équivalence tous les « fondamentalismes » religieux, comme si les disciples de feu Mgr. Lefebvre avaient commis, ou même projeté, des attentats sur le sol français!


Marine Le Pen n’a pas pour objectif de couper l’herbe sous le pied du Printemps républicain, qui n’est pas un parti politique et est peu connu du grand public. Elle peut par contre vouloir montrer que le gouvernement n’en fait pas assez contre l’islamisme et l’extrême gauche mais ce faisant, c’est la frange droite de LR qu’elle veut attirer. En fait, elle veut faire passer le message que Jérôme Sainte-Marie délivre dans le dernier numéro du magazine Causeur: « Le RN n’est ni extrême, ni de droite ».



Propos recueillis par Ronan Planchon pour Le Figaro.
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