ANALYSES

Chute du gouvernement et élections anticipées : où va l’Italie ?

Tribune
25 juillet 2022
Par Fabien Gibault, enseignant à l'Université de Bologne (Italie)


Contre toute attente, Mario Draghi a remis sa démission. L’Italie entre donc en campagne électorale huit mois avant l’échéance prévue, pour un vote en septembre : une première dans l’histoire de la République italienne. L’heure est à une campagne électorale insolite, d’été, qui pourrait changer un pays en pleine transformation politique.

Une crise ouverte par le Mouvement Cinq Étoiles et conclue par la droite

Mario Draghi l’avait dit dès son investiture : il travaillera pour l’Italie tant qu’il aura le soutien de tous les principaux partis politiques. Si l’un d’entre eux décidait de le désavouer, il partirait. Ce scénario a pris forme lors des dernières semaines, quand les rapports entre l’ex-président de la Banque centrale européenne et le Mouvement Cinq Étoiles se sont détériorés. Mario Draghi campa sur ses positions et proposa un nouveau plan de réformes économiques contenant la construction d’un incinérateur de déchets dans le Latium : une sorte de provocation envers les Cinq Étoiles qui ont toujours refusé en bloc ce projet. Ce défi lancé par Mario Draghi à ses opposants a d’ailleurs été perçu par certains comme une demande indirecte des pleins pouvoirs, où le compromis ne serait pas accepté. Nous connaissons l’épilogue de cette situation : le refus d’adhérer au projet de la part du Movimento Cinque Stelle. Une contestation suivie par la Ligue et Forza Italia de Silvio Berlusconi. Le Président de la République Sergio Mattarella n’a pas eu d’autre choix que d’accepter la démission de Mario Draghi qui a eu l’honnêteté de respecter la règle qu’il s’était fixée. C’est l’un des points cruciaux à noter de cette crise : l’opposition entre les intérêts politiques des professionnels du métier et Mario Draghi, Statista (homme d’État) qui a toujours insisté sur le fait qu’il ne souhaitait que rendre service à son pays.

Morcellement des partis et recomposition totale du panorama politique

La chute du gouvernement provoque des remous dans tous les partis, surtout ceux qui ont participé à sa fin. Le Mouvement Cinq Étoiles va très certainement perdre des éléments lors des prochaines semaines. C’est déjà le cas pour Forza Italia : le choix de Silvio Berlusconi de suivre les partis d’extrême droite (la Lega et Fratelli d’Italia, qui était déjà à l’opposition) n’a pas été compris par plusieurs dirigeants du parti. Ainsi, Mara Carfagna et Renato Brunetta (respectivement ministre pour le Sud et de l’administration publique) quittent le navire. Le choix de Silvio Berlusconi est stratégique, le Cavaliere veut revenir sur le devant de la scène, malgré ses 85 ans. Un accord entre les partis de droite aurait d’ailleurs été trouvé : en cas de victoire aux élections, Monsieur Berlusconi serait nommé président du Sénat. Un rôle de premier plan pour l’ancien président du Conseil, qui l’a certainement convaincu de suivre la mouvance dissidente. Un pari qui est tout de même risqué, car Forza Italia ne pèse plus que 5-7% des suffrages, et peut-être moins depuis le départ de ses principaux représentants. Une possible disparition du parti n’est pas à exclure en cas de défaite aux prochaines élections.

La Ligue devra également affronter une période de perturbations, déjà amorcée il y a plusieurs mois. Le parti a deux courants de plus en plus distants : celui souverainiste et populiste de Matteo Salvini et celui plus régionaliste et d’économie de marché de Giancarlo Giorgetti. Les experts politiques attendent les déclarations des autres hommes forts de la Ligue pour savoir si une crise interne sera ouverte ou si Matteo Salvini sera finalement suivie. Luca Zaia (président de la Vénétie) et Massimiliano Fedriga (président du Frioul-Vénétie Julienne) ont donc un rôle à jouer, mais il est possible qu’aucune position ne soit prise de la part des dirigeants leghisti, les deux hommes n’ayant pas vocation à une carrière politique nationale.

Le morcellement des partis avait déjà été engagé lors de cette législature, avec une multiplication des partis. Un paysage politique éclaté, mais qui aura besoin de de compacter autour de pôles forts si un groupe veut espérer obtenir une majorité (même relative).

Trois grandes forces à venir ?

Dans ce contexte, nous pouvons voir trois groupes potentiels sur la base de partis “agglutinants” comme les définit le journaliste Simone Spetia (Radio 24 Ore). Le contexte électoral impose ces coalitions plus larges : suite à la dernière réforme électorale, le nombre de parlementaires passera de 945 à 600. Les circonscriptions seront donc élargies territorialement, il faudra donc prendre en compte certaines disparités et trouver les bons alliés pour gagner dans des territoires parfois plus hétéroclites qu’avant.

Le Parti démocrate, déjà fort dans les sondages, sera à la tête d’une alliance de gauche. Le secrétaire du PD, Enrico Letta, cherche des partenaires pour une coalition plus large. Difficile pour autant d’en trouver, car même un accord avec le Mouvement Cinq Étoiles semble compromis, suite à la chute du gouvernement. Une entente difficile mais pas impossible, les primaires pour les élections régionales en Sicile (prévu cette année) seront communes aux deux entités politiques. Un modèle régional qui pourrait devenir national.

Au centre, le maillage politique de partis de petite taille est tel qu’il semble complexe d’obtenir un consensus de tous. Au moins six partis sont dans cette strate dite modérée. Certains ont déjà annoncé qu’ils ne souhaitent pas collaborer avec les autres, comme Carlo Calenda et son parti Azione. Un centre avec un réel potentiel, mais pour qui l’union semble utopique. Reste également l’inconnu Insieme per il futuro (Ensemble pour le futur), le parti scissionniste de Luigi di Maio (ministre des Affaires étrangères) qui a quitté le Movimento Cinque Stelle avec une cinquantaine de parlementaires. Monsieur di Maio devra affronter pour la première fois les urnes, et l’histoire ne va pas dans son sens : lors des dernières années, peu de nouvelles forces politiques qui ont quitté leur parti ont réussi à se faire une place dans les hémicycles.

Enfin, la droite ‒ ou plutôt l’extrême droite ‒ semble plus en avance que ses concurrents en ce qui concerne la cohésion, mais il reste à choisir le leader de ce groupe. Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia) semble la personne la plus légitime car son parti est le premier dans les sondages, mais ses discours, considérés par de nombreux observateurs comme fascisants, pourraient faire fuir l’électorat de la droite modérée. Antonio Tajani (Forza Italia) s’est montré peu enclin à une nomination immédiate de madame Meloni, de peur de perdre définitivement un centre-droit qui regarde de plus en plus Matteo Renzi et son parti Italia Viva.

Victoire des souverainistes en septembre ?

Les sondages indiquent Madame Meloni en tête. Avec la Lega et Forza Italia, l’alliance de droite pourrait atteindre 45% des suffrages, de quoi mettre cette coalition en première position, sans pour autant obtenir une majorité absolue. La nomination de Giorgia Meloni au Palazzo Chigi serait donc logique, bien que l’on imagine difficilement les autres partis voter en faveur d’une loi proposée par les Frères d’Italie.

L’alternative serait de trouver une personne plus neutre qui puisse satisfaire la majorité des groupes politiques, mais les expériences Mario Monti, Giuseppe Conte et Mario Draghi ne confortent pas cette option. Un nouveau casse-tête pour le Président Mattarella qui devra trouver une solution qui puisse contenter une extrême droite forte, tout en étant accepté par l’aile modérée. Une situation qui ne semble pas avoir d’issue et qui pourrait annoncer cinq nouvelles années d’instabilité pour l’Italie. Nous pouvons nous attendre à une réforme électorale lors de la prochaine législature, afin de ne plus laisser le pays dans l’impasse, à moins qu’une alliance inattendue (et rocambolesque) naisse de cette prochaine élection. Dans tous les cas, les objectifs des partis (et personnels) semblent prévaloir sur les intérêts du pays, quitte à le maintenir dans une crise politique constante, laissant une sensation d’amateurisme pour les Italiens et pour les partenaires politiques et commerciaux.

Difficile de prédire le futur politique italien. Comme l’a dit le journaliste Paolo Mieli : “[…] quand les affaires de l’État sont entre les mains de dilettants, tout est possible”.
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