ANALYSES

OTAN : les enjeux du Sommet de Madrid

Tribune
29 juin 2022


Les enjeux du sommet de l’OTAN qui se déroule du 28 au 30 juin à Madrid sont de 4 ordres.

1- La guerre en Ukraine et ses conséquences pour l’OTAN

La guerre en Ukraine et le soutien à Kiev constitueront un des enjeux majeurs du sommet de l’OTAN. Les alliés devraient renouveler leur soutien à l’Ukraine et se traduire par des décisions majeures :

La livraison d’armes à l’Ukraine. Formellement celui-ci ne se fait pas dans le cadre de l’OTAN, mais dans le cadre d’un groupe de contact piloté par les Américains dont la première réunion s’est tenue à Ramstein, le 26 avril 2022, et qui a tenu deux autres réunions depuis.

La posture de défense de l’Alliance. Le secrétaire général de l’OTAN a évoqué une augmentation des forces de l’OTAN passant de 40.000 à 300.000 hommes. Il a fait, dans ce cas, référence à la force de réaction rapide de l’OTAN qui est constituée des forces que les pays de l’Alliance affectent, que ce soit des unités terrestres, aériennes, maritimes ou des forces spéciales pour une période de 12 mois. Ces forces ne sont pas nécessairement déployées sur le terrain, mais elles sont mobilisables durant cette période donnée.

De manière générale, la question de la posture de défense de l’Alliance atlantique est posée à deux niveaux :

⦁ le rappel du fait que l’OTAN est une alliance nucléaire figurera dans le concept stratégique de l’OTAN.

⦁ la question d’une posture de défense avancée est posée. C’est la question des battlegroups de l’OTAN déployés en permanence dans certains pays de l’OTAN, comme dans les pays baltes, en Pologne et en Roumanie. La question de l’augmentation de ces forces est posée lors de ce sommet de l’OTAN : c’est une question à la fois d’ordre politique liée à la solidarité entre les alliés, mais également la posture à adopter vis-à-vis de la Russie, mais qui pose également la question des autres intérêts de sécurité des pays de l’Alliance, ainsi qu’une question financière.

2- L’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN

Ces pays, qui avaient un statut de neutralité de longue date, avaient déposé officiellement leur demande d’adhésion à l’OTAN suite à l’agression de l’Ukraine par la Russie.

Ces demandes d’adhésion ne devraient pas être acceptées lors du sommet de Madrid de par l’opposition de la Turquie. Elle invoquait des questions de sécurité du fait de l’attitude conciliante de ces deux pays vis-à-vis du PKK et du refus de la Suède d’exporter des armes vers la Turquie. Or un accord a été trouvé la veille de l’ouverture du sommet de l’OTAN, avec l’intermédiation du secrétaire général de l’OTAN mais aussi certainement avec l’intervention des États-Unis.

Dans cet accord en dix points, la Finlande et la Suède s’engagent à ne pas soutenir le PYD/ YPG (la branche syrienne du PKK) et l’organisation FETO (mouvement de Fethullah Gûlen) en Turquie. Le PKK étant cité comme « une organisation terroriste interdite », la Suède et la Finlande s’engagent à « empêcher les activités du PKK et de toutes les autres organisations terroristes, leurs extensions, ainsi que les activités des personnes impliquées ou affiliées à des organisations affiliées et des organisations écrans ». Enfin, l’embargo sur les livraisons d’armes de la Suède vers la Turquie est levé.

Deux autres points méritent d’être notés dans cet accord.

En premier lieu, il est indiqué que les trois signataires s’engagent « à apporter leur soutien total contre les menaces pesant sur la sécurité de l’autre ». Cela pourrait être interprété comme une clause d’assistance mutuelle spécifique de Stockholm et Helsinki vis-à-vis d’Ankara, sachant qu’il y a quelques mois la France a accepté de son côté de signer un accord avec la Grèce qui comprend également une clause d’assistance spécifique. La contradiction de ces clauses pourrait donc constituer un problème pour l’unité et la solidarité des membres de l’Union européenne.

En second lieu, la Finlande et la Suède affirment leur soutien à « l’inclusion la plus large possible » de la Turquie et d’autres alliés non-membres de l’Union européenne « dans les initiatives actuelles et futures » de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), notamment « la participation de la Turquie au projet PESCO sur la mobilité militaire ». Cette clause pourrait remettre en cause des objectifs d’autonomie stratégique de l’Union européenne si elle est appliquée de manière extensive.

Finalement, on peut donner deux explications à ce qui apparait être davantage l’acceptation pure et simple de toutes les demandes de la Turquie que le résultat d’une négociation. D’une part, il était nécessaire de montrer l’unité de l’OTAN face à la Russie lors du sommet de Madrid. Le sommet aurait donc été un échec si les demandes d’adhésion n’avaient pas été acceptées. D’autre part, la Turquie joue un rôle important dans la défense du flanc Sud-Est de l’OTAN et il s’agit d’un pays riverain de la mer Noire.

La Turquie a donc fait monter les enchères avec un résultat qui va au-delà de ses revendications pour défendre ses intérêts de sécurité face au mouvement terroriste puisque certaines clauses de l’accord contribuent à affaiblir l’unité de l’Union européenne.

3- Le financement commun de l’OTAN

Aujourd’hui, le budget commun de l’Alliance atlantique est de 2,5 milliards d’euros. Les Alliés devraient en accepter son augmentation – on parle de proposition de doublement de ce budget – afin de financer des dépenses d’infrastructures, mais également des capacités d’acquisition en commun pour les systèmes de commandement, ainsi que d’autres types de matériels. La France est soucieuse à ce niveau de pouvoir limiter l’augmentation de ces dépenses à ce qui est nécessaire et pouvoir contrôler ces dépenses.

Par ailleurs, le Fonds d’innovation de l’OTAN doit être formellement créé, doté d’un milliard d’euros sur 15 ans, et financé par les contributions volontaires des États qui auront décidé de se joindre à cette initiative, ainsi qu’un accélérateur d’innovation DIANA.

4- Le nouveau concept stratégique de l’OTAN

C’est le document stratégique de référence de l’Alliance. Le dernier concept stratégique de l’OTAN avait été adopté en 2010 lors du Sommet de Lisbonne. Le nouveau concept stratégique, qui doit être adopté lors du Sommet de Madrid, sera marqué par la guerre en Ukraine. Il fera de la Russie une menace clairement identifiée la question étant de savoir si une porte au dialogue avec la Russie sera laissée ou non dans ce concept stratégique, comme cela avait été le cas après l’annexion de la Crimée.

La deuxième question est de savoir quel traitement sera réservé à la Chine. Pour certains, dont les États-Unis, la tentation est grande de faire un lien de plus en plus étroit entre la menace russe et la Chine dans un concept d’alliance des démocraties. Les Européens, et notamment les Français et les Allemands sont plus modérés parlant de « défis systémiques ». La France argue notamment que la zone d’action de l’OTAN est la zone euro-atlantique et ce d’autant plus que l’Europe fait aujourd’hui face à l’agression russe en Ukraine, même si cette dernière n’est pas membre de l’OTAN. Les Français souhaiteraient donc que la question chinoise soit traitée prioritairement dans le cadre du dialogue Europe/États-Unis et non dans le cadre d’une alliance militaire comme l’OTAN.

Enfin, la question du rôle de l’Union européenne dans la sécurité européenne sera également scrutée avec attention. Le risque est qu’alors que les Européens ont multiplié les initiatives pour mieux prendre en compte leur sécurité, cet effort ne soit pas reconnu, et ce alors même que la boussole stratégique, le document stratégique européen adopté au mois de mars, fait de nombreuses références au rôle de l’OTAN pour garantir la sécurité de l’Europe. Derrière cette bataille sémantique se déroule donc toujours le débat sur l’autonomie stratégique européenne, c’est-à-dire la capacité de l’Union européenne à prendre en main son destin en matière de sécurité seule ou dans le cadre de l’OTAN.

 

 
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