ANALYSES

Que cachent (mal) les appels au boycott des JO ?

Presse
11 février 2022

Le sport provoque parfois des passions mortifères. C’est le cas chez quelques intellectuels qui développent à l’égard des manifestations sportives une hostilité déraisonnable. Le fait de se parer de bons et nobles sentiments ne doit pas masquer des arrière-pensées inavouables.


Dans une récente tribune, 22 intellectuels demandent une énième fois le boycott des Jeux olympiques dès qu’ils ne sont pas organisés dans un pays occidental. Au terme d’une démonstration laborieuse et de citations tronquées, ils nous expliquent que les J.O. de Pékin ne sont qu’un moyen de diversion pour préparer l’invasion de Taïwan. Dans ce texte, où l’anathème et les attaques ad hominem prennent le pas sur l’argumentation, ils reprochent à ceux qui sont hostiles à un tel boycott, car convaincus de son inefficacité, d’être les complices des systèmes totalitaires. Rien de moins. Point Godwin atteint, ou presque, la discussion est rompue d’emblée. Dès lors, quels sont les non-dits de cette tribune ?


Tout d’abord le regret d’une époque où les compétitions sportives étaient le monopole des puissances occidentales. Ce n’est pas par hasard que nombre des signataires ont ardemment défendu la guerre d’Irak de 2003 au nom de la suprématie de la civilisation occidentale. Ils déplorent régulièrement que celle-ci soit remise en cause, car elle est à leurs yeux supérieure par ses valeurs et ses réalisations aux autres civilisations. Les signataires de cette tribune n’ont pas protesté contre l’attribution des Jeux olympiques de 2012 à Londres, deux ans après le déclenchement de cette guerre. Fidélité ou clivage de la guerre d’Irak ? Ils protestent contre les JO de Paris 2024, pas contre ceux de Los Angeles 2028. Ils n’ont pas protesté lorsque Donald Trump a menacé de sanctions exemplaires les pays qui ne voteraient pas en faveur de l’organisation de la Coupe du monde de football 2026 aux États-Unis.




Évidemment, nous sommes conscients du caractère répressif et autoritaire du régime chinois. Mais nous ne pensons pas que c’est en boycottant les Jeux que la Chine deviendra une démocratie. Pire, le boycott n’aurait pour effet que de rassembler la population chinoise autour de son gouvernement, renforçant Xi Jinping par la même occasion.


Comme le rappelle Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France, que l’on pourra difficilement soupçonner d’être complice de Pékin, « la politique de la chaise vide n’est pas la plus efficace ». En effet, c’est en se rendant sur place pour constater une situation, discuter avec sa population – évidemment hors période pandémique -, braquer l’attention sur ce qui se passe là-bas que nous disposerons de leviers d’actions et de pressions.


Contrairement à ce que cette tribune laisse penser, être présent, ça n’est pas cautionner ou excuser. Être présent, c’est faire preuve de realpolitik. Et on sait à quel point cela est essentiel quand on s’adresse à la Chine. À l’inverse, rompre le dialogue n’a jamais été l’apanage de pérennes succès diplomatiques, de surcroît lorsqu’il s’agit de la deuxième puissance de la planète.


Enfin, alors que les auteurs considèrent que « les Jeux ne sont pas un monde à part, hors sol et hors temps », que proposent-ils ? Boycotter les Jeux. Certes, mais encore ? Si la Chine était un pays réellement infréquentable, le sport ne devrait pas faire seul l’objet d’un boycott. Proposent-ils un régime de mesures restrictives détaillées ? Quid des aspects culturels, économiques, ou encore technologiques ? Rien, pas un mot. Seul le sport est voué aux gémonies. N’est-ce pas là l’hypocrisie ?


Ce que cachent mal les signataires de cette tribune, c’est le mépris qu’ils ont pour le sport. Pourquoi ? Simplement parce que le sport promeut l’égalité et que les réseaux, l’entre-soi qui fondent leur propre succès n’ont dès lors plus lieu d’être dans le sport. Les sportifs qui participent aux Jeux, loin d’être les nababs décrits, ne le doivent qu’à leur talent et leur travail. Ce caractère égalitaire les horrifie, car peut-être remet-il en cause leur système de domination sociale.


De surcroit, le suprémacisme occidental des signataires s’accompagne souvent d’un réel mépris à l’égard de la diversité. Or le sport est souvent un moyen d’ascension sociale pour les minorités. Dans leur condamnation des compétitions sportives mondialisées, ils rejoignent les talibans au pouvoir en Afghanistan et autres extrémistes qui se méfient du sport comme vecteur d’affirmation des libertés individuelles et collectives. Nous le récusons.

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