ANALYSES

Pékin 2022 : Jeux politiques d’hiver

Interview
10 février 2022
Le point de vue de Carole Gomez


Si les enjeux sportifs sont majeurs à chaque édition des Jeux d’hiver pour leurs participants, cette édition 2022 connait également des enjeux géopolitiques importants en coulisse et en tribune. Boycottés par certains, présence de chefs d’État aux côtés de Xi Jinping, et politique du « en même temps » pour d’autres, ces Jeux semblent concentrer les grands enjeux géopolitiques actuels. Le point avec Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS.

 

Quel intérêt pour Pékin d’accueillir les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver ?

L’organisation des Jeux d’hiver à Pékin permet à la Chine de confirmer un peu plus sa place au sein du monde sportif international. Rappelons que Pékin avait déjà accueilli les Jeux olympiques et paralympiques, d’été cette fois, en 2008, concrétisant alors son retour sur le premier plan de la scène internationale. Anecdote intéressante, l’attribution des Jeux de 2008 avait eu lieu en 2001, année de l’adhésion de la Chine à l’OMC, et avait permis de montrer, en mondovision, que la puissance de la Chine ne s’exprimait désormais plus uniquement dans la sphère politique, économique ou technologique.

Dans le cas de ces Jeux d’hiver, je pense qu’une nouvelle étape est ici franchie dans l’affirmation de cette puissance. Ce qui est intéressant ici, c’est le récit de puissance que la Chine crée autour de ces Jeux : la première ville à accueillir les Jeux d’été et d’hiver, la parfaite maitrise des contraintes sanitaires, les différents messages passés lors de la cérémonie d’ouverture. Ou encore la mise en scène ostentatoire de la relation avec la Russie et l’accueil très remarqué et commenté du président russe à Pékin. Rappelons qu’en raison du scandale de dopage en Russie, le Tribunal arbitral du sport avait pris toute une série de sanctions contre la Russie, politiques et sportives, et notamment une interdiction de participation aux Jeux. Cette sanction ne souffrait que d’une habile exception : l’invitation officielle du chef d’État, hôte de la compétition. Sa présence à Pékin a en plus été l’occasion de faire une déclaration sino-russe sur l’entrée des relations internationales dans une nouvelle ère.

Enfin, l’aspect économique n’est pas à négliger. En effet, la Chine a beaucoup investi dans les sports d’hiver. Alors qu’il n’y avait qu’une seule station de ski en 1996, elles sont désormais plus de 600. Concomitamment, le nombre de pratiquants a explosé. De 10 000 au début des années 1990, les pratiquants sont estimés aujourd’hui à 300 millions. Ce chiffre, énorme, est la conséquence d’une politique volontariste lancée depuis une vingtaine d’années. Les enjeux économiques pour les équipementiers, constructeurs, sponsors sont énormes, au regard du vivier de pratiquants et de consommateurs.

Gestion de la crise sanitaire, présence de Poutine, etc. : des JO politiques qui se jouent aussi en tribunes et coulisses ?

Les Jeux vont se jouer en tribunes et en coulisses mais ce n’est pas une nouveauté que de voir des Jeux politiques et politisés. Il s’agit ici d’une nouvelle confirmation du phénomène. À noter toutefois qu’il est croquignolesque de voir Pékin s’offusquer de la politisation de ces Jeux, brandissant le principe de l’apolitisme du sport et de la neutralité du sport. Notamment quand on voit le choix fait des relayeurs pour le relais de la torche ou lors de la mise en scène au sein des tribunes du Nid-d’oiseau avec la présence d’un certain nombre de chefs d’État et de gouvernement lors de cette cérémonie d’ouverture. Cette pratique n’est pas inscrite dans la logique générale des Jeux, mais c’est devenu une coutume politique. Elle donne par ailleurs une image de mondialisation et d’universalité du sport. Pour Pékin, c’est l’occasion de montrer l’image qu’elle a du monde : Xi Jinping entouré de ses alliés. On a ainsi pu voir un certain nombre de chefs d’État et de gouvernement d’Asie centrale, Mohamed Ben Salmane, Vladimir Poutine, ou encore de manière plus surprenante António Guterres ainsi que le président de l’OMS. Cette photo de famille montre donc comment Pékin voit le monde et surtout quelle image il veut en donner, avec l’idée que le boycott diplomatique voulu par un certain nombre de pays est finalement resté lettre morte.

Quels sont les effets du boycott diplomatique sur ces Jeux ?

Quelques faits avant de s’intéresser aux effets. Pour rappel, il est ici question de boycott diplomatique, et non sportif. En d’autres termes, si les sportifs et sportives sont bien présents à Pékin, les États boycottant diplomatiquement ces Jeux n’enverront pas leur chef d’État, de gouvernement ou ministre en charge des Sports.

Débattu depuis plusieurs mois au sein de la classe politique américaine, le boycott diplomatique est intervenu le 6 décembre 2021 pour dénoncer le génocide des Ouïgours et des atteintes sérieuses aux droits de l’homme qui sont commises en Chine. Quelques jours après, l’Australie, le Royaume-Uni (comme un air de déjà vu avec l’affaire AUKUS), le Japon ou le Canada emboitaient le pas.

En France, au lendemain de l’annonce du boycott états-unien, l’Élysée a communiqué de manière succincte, expliquant que la France prenait bien acte de la position des États-Unis, qu’il était nécessaire pour elle de réfléchir et qu’elle ne souhaitait pas se prononcer sans avoir pu essayer de trouver une position collective et collégiale à l’échelle européenne. L’idée était donc de réunir les 27 autour d’une même position et de parler d’une même voix. Ce souhait s’est révélé être pieux, puisque différents pays ont unilatéralement annoncé leur présence ou absence à la cérémonie d’ouverture, à commencer même par la France avec un problème de communication entre le ministre de l’Éducation nationale et le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Finalement, la France a fait le choix d’appliquer le principe du « en même temps » au boycott, puisque si la France ne boycotte pas officiellement ces Jeux, la ministre déléguée aux Sports Roxana Maracineanu ne s’est pas rendue à la cérémonie d’ouverture.

Concernant les effets de ce boycott, il convient d’avoir une lecture à plusieurs échelles. Si l’idée était de mobiliser activement et massivement la communauté internationale sur le sujet, c’est un échec puisque seule une dizaine de pays sur les 91 participants ont boycotté la cérémonie d’ouverture. C’est donc un échec pour les États-Unis, incapables de fédérer largement autour d’eux et un succès pour la Chine qui a gagné son bras de fer symbolique.

Néanmoins, deux éléments sont intéressants à signaler du point de vue des entités qui ont boycotté. D’une part, cela a permis de faire naître, ou de remettre sur le devant de la scène toutes les réflexions autour de la situation des Ouïghours et de la question de génocide. D’autre part, il ne faut jamais oublier que si les boycotts, quand ils sont prononcés, sont évidemment à l’attention d’un État tiers, ils sont aussi destinés à la population nationale civile du pays qui veut sanctionner. Dans ce cas, cela a permis de montrer à la population américaine que Joe Biden était actif sur le sujet, qu’il ne se laissait pas dicter quoi que ce soit par Pékin et qu’il était à la tête d’une coalition. Stratégie, comme mentionné plus haut, qui ne s’avère pas si payante que cela pour le président américain. Au contraire.

 
Sur la même thématique