ANALYSES

Le nouveau contrat de coalition allemand ou l’art du compromis

Tribune
2 décembre 2021


Le 24 novembre 2021, la coalition « feu tricolore » (SPD, FDP, Die Grünen) a présenté son contrat de coalition. Adopté en à peine deux mois de négociations – là où il avait fallu plus de cinq mois en 2017 ­­pour former une coalition – cet accord marque le début d’une nouvelle ère politique en Allemagne, après seize années au pouvoir d’Angela Merkel (CDU). Il sonne le retour des Verts au gouvernement, membres de l’opposition depuis 2005, et se distingue par une singularité : pour la première fois l’Allemagne devrait être gouvernée par trois partis.

Intitulé « Oser davantage de progrès : Alliance pour la liberté, l’égalité et la durabilité[1] », en référence au slogan utilisé par l’ex-chancelier social-démocrate Willy Brandt en 1969 (« Oser davantage de démocratie »), ce document de 177 pages définit les grandes lignes de la politique commune que comptent mener les Verts, les sociaux-démocrates et les libéraux dans les quatre prochaines années. Fruit de plusieurs mois de négociations intenses, il se veut un compromis ambitieux entre le tournant écologique souhaité par les Verts, la réforme sociale portée par les sociaux-démocrates et le retour à la rigueur budgétaire voulue par les libéraux.

En plus du poste de chancelier, le SPD obtient six portefeuilles ministériels, dont deux régaliens (Intérieur et Défense) et trois essentiels pour mener à bien les réformes sociales souhaitées par les sociaux-démocrates (Travail et Affaires sociales, Santé, Construction et Logement). Parmi les réformes sociales reprises dans le contrat de coalition, la plus significative demeure sans doute le passage du salaire minimum de 9,5€/heure à 12€, une promesse de campagne portée aussi bien par le SPD que par les Verts. À noter également, le gel de la hausse de l’âge de départ à la retraite, l’encadrement des loyers, la construction de 400 000 logements par an, ainsi que l’attribution d’un milliard d’euros en faveur du personnel soignant. De son côté, le FDP obtient quatre portefeuilles ministériels, dont deux des plus stratégiques du gouvernement : le ministère des Finances, qui devrait être attribué au chef de file des libéraux Tobias Lindner, ainsi que celui des Transports, essentiel au vu du poids économique et politique de l’industrie automobile outre-Rhin[2]. Partisans de l’austérité budgétaire, les libéraux ont réussi à faire inscrire dans le contrat de coalition un retour d’ici 2023 au frein constitutionnel à l’endettement, qui limite le déficit budgétaire de l’Allemagne à 3 % du PIB et sa dette publique à 60 % du PIB, conformément au Pacte de stabilité et de croissance. Le contrat de coalition insiste notamment sur la nécessité que l’instrument de dette commune européenne, créé par le plan de relance anti-Covid de juillet 2020, reste « limité dans le temps et dans ses montants ». Les Verts, quant à eux, obtiennent le « super ministère » qu’ils espéraient, rassemblant l’économie et la protection du climat, un ministère que devrait se voir attribuer le vice-président du parti, Robert Habeck. Les écologistes obtiennent également l’Environnement et la protection de la nature, l’Alimentation et l’agriculture, la Famille, ainsi que le ministère des Affaires étrangères, qui devrait être attribué à la candidate des Verts, Annalena Baerbock. Dans le domaine de l’énergie et du climat, Die Grünen a obtenu une sortie anticipée du charbon « dans l’idéal » en 2030, contre 2038 auparavant, la construction de centrales à gaz modernes pour couvrir les besoins croissants en électricité de l’Allemagne, ainsi que la poursuite du développement de l’éolien offshore en mer Baltique. Les Verts ont également fait inscrire dans le contrat de coalition l’objectif d’atteindre 80% d’énergies renouvelables d’ici 2030[3], ainsi que l’interdiction des véhicules thermiques d’ici 2035.

En matière de politique étrangère et de défense, le contrat de coalition confirme l’ancrage européen de l’Allemagne. Ainsi, il appelle à une Europe plus fédéraliste, allant jusqu’à proposer la création d’un véritable « ministre européen des affaires étrangères », ainsi que l’adoption d’un système de vote à la majorité qualifiée (et non plus à l’unanimité) pour les sujets relatifs aux affaires étrangères. Par ailleurs, les trois partis souhaitent une politique étrangères « guidée par les principes de respect des droits de l’Homme et de respect du climat ». Si la future coalition se dit favorable à un dialogue constructif avec la Russie et souhaite coopérer davantage avec Moscou « sur des thèmes d’avenir », elle condamne les agissements de Moscou en Ukraine et en Crimée, et appelle de ses vœux la mise en place d’une politique européenne commune et cohérente à l’égard de la Russie. La Chine est quant à elle désignée comme un « rival systémique » et comme un concurrent sérieux, avec lequel toute coopération n’est pas exclue dans la mesure où elle se déroule selon des « règles du jeu équitables ».

Enfin, dans le domaine de la défense et de la sécurité, sans surprise, la coalition Ampel réaffirme son attachement à la relation transatlantique et rappellent la primauté de l’OTAN en matière de défense. Cher aux Verts, le contrat de coalition appelle au renforcement du contrôle des exportations d’armement et notamment à la mise en place d’un règlement européen qui, contrairement à la position commune européenne en matière d’exportation d’armement, soit juridiquement contraignant. En plus de la modernisation annoncée de la Bundeswehr et de l’autorisation encadrée du recours aux drones armés, qui marque un tournant dans la politique de défense allemande, la future coalition entend jouer un rôle de premier plan en matière le désarmement (conventionnel comme nucléaire) et de non-prolifération. Ainsi, la future coalition souhaite rejoindre le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) en tant qu’État observateur et se dit favorable à un désarmement nucléaire total (global zero), qui « implique à terme l’interdiction des armes nucléaires sur le sol allemand » et donc de facto la fin du stationnement d’armes nucléaires américaines en Allemagne. Cet objectif de désarmement total tranche avec l’affirmation (plus haut dans le texte) selon laquelle la coalition entend s’engager en faveur du « maintien d’un potentiel de dissuasion (nucléaire) crédible » au sein de l’OTAN.

L’ambiguïté de certains propos du contrat de coalition illustre les contradictions auxquelles peut parfois mener la difficile tentative de conciliation entre des partis dont les positions sur certains sujets sont radicalement opposées. Ce phénomène est particulièrement flagrant dans le cas des ambitions climatiques et sociales portées par le contrat de coalition, qui semblent difficilement soutenables en l’absence de hausse des impôts ou des dépenses publiques, telle que consentie aux libéraux.

Désormais, il revient à chacun des trois partis de faire adopter le contrat de coalition en interne, lors d’un vote des adhérents réunis en congrès, avant que le futur chancelier ne puisse être investi par le Bundestag. En l’absence de complication majeure, Olaf Scholz devrait être élu chancelier le 6 ou 7 décembre prochain.

N.B. Il est a noter que malgré le terme de « contrat », pouvant prêter à confusion, ce document n’est pas juridiquement contraignant et que dès lors il ne garantit nullement la mise en œuvre de l’intégralité des réformes qui y sont inscrites. Il s’agit avant tout d’une sorte de « contrat moral », vis-à-vis des électeurs mais également des partis membres du gouvernement, leur permettant de se positionner sur les sujets majeurs de leur mandat et ainsi réduire les risques futurs de conflits internes.

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[1] Mehr Fortschritt wagen : Bündniss für Freiheit, Gerechtigkeit und Nachaltigkeit

[2] Le FDP obtient également les ministères de la Justice, de l’Éducation et de la Recherche.

[3] La part du renouvelable dans le mix énergétique allemand s’élève actuellement à 44%.
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