ANALYSES

JO : « La clarification de la Règle 50 du CIO ne suffira pas à redonner aux sportifs et sportives la liberté d’expression qu’ils méritent »

Presse
23 juillet 2021

Le 2 juillet 2021, le Comité international olympique (CIO) a publié des clarifications concernant la Règle 50 de sa Charte olympique, qui vise principalement à interdire toute démonstration politique lors des Jeux. En avril 2021, la commission des athlètes du CIO avait partagé des recommandations – acceptées par le Comité exécutif – qui, a priori, interdiraient aux athlètes de poser un genou à terre. Ces nouvelles précisions leur donnent ainsi le droit d’exprimer leurs opinions sur le terrain, seulement si elles ne ciblent, directement ou indirectement, aucune population, pays, structure, et/ou leur dignité.


Le 15 juillet, Hege Riise, l’entraineuse de l’équipe féminine olympique de football de Grande-Bretagne, a donc annoncé que ses joueuses poseraient un genou à terre, à la suite d’une décision collective visant à « montrer à tout le monde » que le racisme et la discrimination sont des sujets « sérieux ». Cependant, si l’on suit les clarifications de la Règle 50 du CIO, comment serait-il possible de dénoncer le racisme et d’autres formes de discrimination systémique sans viser une structure ou un Etat en particulier ? La réalisation du geste protestataire originel a elle-même eu lieu, en 2016, lors de l’hymne national américain, durant lequel le quarterback Colin Kaepernick a posé un genou à terre pour dénoncer le racisme structurel et l’injustice sociale dans son pays.


La base d’un racisme systémique


Alors que certaines équipes de football ont, en 2021, reproduit son geste avant les matchs du championnat d’Europe de football masculin de 2021 (Euro 2020) – toutefois jamais pendant leur hymne national –, il est important de souligner que ces gestes et mouvements antiracistes se sont développés en réaction à des structures organisées sur la base d’un racisme systémique qui a souvent privilégié une caste de personnes en particulier – c’est le cas pour les Blancs par exemple, en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis.


Le racisme, institutionnel par définition, s’est ainsi enraciné dans une société et une histoire à travers des procédés et des structures développés pour exclure certaines populations des sphères sociales, économiques et politiques afin d’en avantager d’autres. Cela peut se traduire par des politiques publiques explicites ou à travers des procédés plus subtils, à différents niveaux.



Article réservé à nos aAinsi, si l’on se fonde sur les définitions issues des sciences sociales, le racisme anti-blanc ne peut pas exister en France, en Angleterre ni aux Etats-Unis car aucun système ne s’est construit autour d’une exclusion visant les Blancs en particulier, contrairement à ce que revendiquent de nombreuses figures de l’extrême-droite occidentale.

Une responsabilité individuelle ou étatique


Lorsque certains joueurs noirs de l’équipe d’Angleterre de football de l’Euro 2020 ont reçu des milliers d’insultes racistes sur les réseaux sociaux à la suite de leur défaite en finale face à l’Italie, en plus de la dégradation de la fresque murale de Marcus Rashford à Manchester, la secrétaire d’Etat conservatrice Priti Patel a dénoncé d’« ignobles abus racistes ». Pourtant, au début de la compétition, elle avait exprimé son opposition quant à la volonté de l’équipe nationale de mettre un genou à terre, décrivant ce geste comme politique et affirmant que les fans anglais avaient le droit de le huer lors des matchs.



Article réservé à nos aAu lendemain de la finale, le joueur anglais Tyrone Mings a souligné son hypocrisie dans un tweet rappelant que les joueurs avaient milité tout au long de la compétition contre le racisme à travers un geste qu’elle avait elle-même condamné. L’importante réticence des cercles de droite aux mouvements antiracistes dans le sport – et dans la société en général – ne fait que souligner les liens indissociables entre le racisme systémique et les institutions politiques.

Dans leurs campagnes contre l’injustice, les régimes occidentaux et les organisations de gouvernance sportive ont souvent porté une attention particulière à la responsabilité individuelle et à l’ignorance populaire face aux attaques racistes, sexistes ou anti-LGBT, au lieu de s’attaquer directement à leurs propres structures en tant que source de ces inégalités et violences.


Une lutte superficielle des Etats


Le sexisme, par exemple, est nourri par des systèmes patriarcaux établis afin de privilégier les hommes par rapport aux femmes, et ne peut pas être combattu par la simple promotion « des Jeux les plus égalitaires de l’histoire » à l’occasion de Tokyo 2021. Bien que cela constitue un progrès important pour la cause des femmes dans le sport, compte tenu du fait que celles-ci furent d’abord complètement exclues de ce type d’événements, il faut noter que les stéréotypes sexistes présents dans ce milieu se perpétuent.



Article réservé à nos abonnésLes déclarations, en février 2021, de Yoshiro Mori, alors directeur du Comité d’organisation des Jeux de Tokyo, qui affirmait que les femmes « parlaient trop » lors des réunions, est un exemple – parmi tant d’autres – qui met en lumière les problèmes structurels qui existent encore aussi bien au niveau national qu’organisationnel. Ainsi, les stéréotypes discriminatoires qui ont jusqu’à présent subsisté, ont été entretenus dans et par des systèmes qui ne luttent finalement pour la justice qu’en surface.

Ainsi, alors que Hege Riise a partagé sa satisfaction quant à la reconnaissance du CIO de l’importance de cette forme de liberté d’expression, il semble que les sportifs et sportives ne soient toujours pas autorisés à s’exprimer contre le racisme, le sexisme, ou d’autres formes d’exclusions structurelles vécues ou observées dans leur propre nation.


Le racisme et la politique ne peuvent être séparés


S’ils décident de poser un genou à terre – un geste de protestation antiraciste – mais ne peuvent le faire en dénonçant la structure ou le pays en particulier qui a nourri ce racisme systémique, contre quoi manifesteraient-ils exactement ?


Le racisme, la politique et les systèmes économiques ne peuvent être séparés. L’interdiction de s’adresser directement à ces entités risquerait même de désacraliser la puissance de ces gestes politiques, qui prendront en effet place sur le terrain, mais ne pourront officiellement dénoncer aucune discrimination systémique alimentée par les structures politiques et les histoires nationales racistes et sexistes.


La clarification de la Règle 50 du CIO, qui tolère désormais certaines manifestations d’opinions sur le terrain à partir du moment où elles ne s’adressent à aucune entité ou peuple, ne suffira donc pas à redonner aux sportifs et sportives la liberté d’expression qu’ils méritent.

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