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Tribune de militaires dans « Valeurs Actuelles » : « L’intervention de l’armée est un vieux fantasme d’extrême droite »

Presse
27 avril 2021
Interview de Jean-Yves Camus - 20 minutes
Y a-t-il des connivences entre l’armée et l’extrême droite ?

Je ne crois pas en cette thèse. L’armée est composée de professionnels et dispose d’un recrutement beaucoup plus diversifié que lors de la tentative du putsch d’Alger par exemple. Dans les missions les plus périlleuses comme Barkhane ou l’Afghanistan avant, ou même dans des missions plus routinières comme Sentinelle, on a la preuve d’un recrutement socialement très divers et il faut tordre le cou à cette idée d’une armée qui par nature serait liée à l’extrême droite.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien non plus. Des casernements de gendarmes ou des régiments en particulier ont une proportion de vote pour le Rassemblement national supérieure à la moyenne, cela a été attesté, mais cela ne préjuge pas de l’attitude de centaines de milliers de soldats. Qu’il y ait des officiers de droite conservateurs, voire très conservateurs et très imprégnés par une forme de catholicisme intégriste, oui, mais ce sont avant tout des soldats, et un soldat obéit et suit le chef des armées de la France, soit Emmanuel Macron actuellement.

Plusieurs épisodes dans l’histoire de France montrent tout de même des rapprochements entre l’armée et la droite ou l’extrême droite…

Oui mais on n’en est pas là du tout ou on n’en est plus là, et la France a une armée qui est massivement républicaine, loyale et respectueuse des institutions démocratiques, et qui, du sommet à la base, obéit au président de la République. Avec je le répète un recrutement beaucoup plus diversifié.

Revenons sur l’histoire. La droite a eu par le passé la tentation du recours de l’armée, comme avec l’affaire Dreyfus ou le maréchal Pétain, même si pour ce dernier il faut déjà nuancer. Un grand nombre d’officiers supérieurs et d’officiers ne l’ont pas suivi dans sa politique de collaboration notamment. Ensuite, l’armée est loin d’avoir toujours suivi l’extrême droite. Par exemple le 6 février 1934 (une émeute par les ligues d’extrême droite voulant envahir la Chambre des députés), l’armée n’avait pas du tout rejoint le mouvement, au contraire elle avait défendu les institutions.

Et puis, il y a le putsch d’Alger de 1961 et la tentative de l’étendre en métropole, mais justement il faut rappeler que ce putsch fut un échec absolu et retentissant, qui a forcé à la radiation d’un grand nombre de cadres de l’armée. L’armée en tout cas ne l’a pas oublié et aujourd’hui peu de militaires sont prêts à se lancer dans l’aventure, à la fois par loyauté, mais aussi en raison de ce regard sur le passé qui démontre que chaque fois que l’armée tente de prendre le pouvoir ou s’implique trop politiquement, cela se retourne contre elle et elle en ressort très affaiblie.

Si l’armée n’a pas nécessairement de liens avec l’extrême droite, l’inverse est-il vrai ?

Il y a beaucoup de fantasmes de l’extrême droite sur l’idée d’une intervention militaire. Cette idée circulait aussi lors des manifestations du mariage pour tous, lorsqu’un journal d’extrême droite avait lancé un appel aux généraux pour qu’ils renversent le régime. L’armée n’était bien sûr jamais intervenue en ce sens, et avait indiqué ne rien à voir avec ça.

Dans la tribune de Valeurs Actuelles, il s’agit d’une vingtaine d’anciens généraux, dont la plupart étaient déjà connus pour des positions et des discours similaires à celui-ci. On n’a pas vu des nouvelles têtes d’affiche ou médiatiques signer cette tribune, ce qui là aurait été inquiétant. Mais en l’état, une intervention de l’armée en faveur de l’extrême droite – ou de n’importe quel camp politique – reste un fantasme alimenté par une mouvance très réduite et retraité de l’armée, et non pas une menace réelle.

 

Propos recueillis par Jean-Loup Delmas pour 20 minutes.
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