11.10.2024
Les États-Unis de nouveau dans l’action climatique ?
Interview
12 mars 2021
De passage à Paris le mercredi 10 mars 2021, John Kerry, nommé par le Président américain Joe Biden en tant que représentant spécial pour le climat, a pu s’entretenir avec Emmanuel Macron, Bruno Lemaire, Jean-Yves Le Drian et d’autres membres du gouvernement. Cette visite démontre l’importance donnée par la nouvelle administration américaine aux enjeux climatiques, qu’ils soient économiques ou sécuritaires. Le point de vue de Julia Tasse et Sofia Kabbej, chercheuses au sein du Programme Climat, Énergie et Sécurité de l’IRIS.
Cette visite de John Kerry semble souligner la différence de positionnement entre le gouvernement américain actuel et le précédent. Le retard diplomatique des États-Unis causé par l’administration Trump en matière d’action climatique pourra-t-il être rattrapé par celle de Joe Biden ?
Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris en 2017 avait profondément marqué la communauté internationale. À juste titre, l’absence d’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES) du cadre de gouvernance climatique mettait à mal l’ambition commune de réduire les émissions de GES – pourtant indispensable pour réussir à maintenir l’augmentation de la température moyenne en dessous de 2°C et limiter l’ampleur du changement climatique. Il faut cependant souligner que, malgré le retrait officiel de l’accord de Paris par le gouvernement fédéral des États-Unis entre 2017 et 2020, certains États fédérés américains et les acteurs privés ont continué à agir en faveur de la lutte contre le changement.
Dès son arrivée, Joe Biden a fait de cette lutte une priorité de sécurité nationale. La visite de son envoyé spécial pour le climat à Paris, dans le cadre d’une tournée européenne, le prouve. John Kerry a notamment déjeuné avec Bruno Lemaire, après avoir rencontré Ursula von der Leyen la veille et avant de discuter avec les Britanniques (hôtes de la COP26). Les déclarations faites montrent une recrudescence de l’ambition : au cœur des discussions, la mise en place de normes communes quant à la finance verte, notamment dans le cadre de la taxonomie développée par l’Union européenne, ou encore la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, portées par la future présidence française du Conseil de l’Union européenne. Ces efforts sont nécessaires (mais restent insuffisants) pour espérer atteindre les réductions d’émissions de GES nécessaire à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris.
Alors que la Chine avait remplacé les États-Unis dans le leadership climatique aux côtés de l’UE, que signifie la visite de Kerry à Paris ?
L’Union européenne avait en effet continué dans la lignée des ambitions de l’Accord de Paris lors du retrait américain et la nouvelle Commission, présidée par Ursula von der Leyen, porte des objectifs plus ambitieux que la précédente. L’Accord de Paris avait permis une forte synergie entre l’Union européenne et les États-Unis, tandis que l’après-Accord de Paris a donné une place croissante à la Chine. En septembre 2020, celle-ci s’est également démarquée en partageant de nouveaux objectifs en matière d’action climatique, dont celui de neutralité climatique à 2060. Dans le contexte plus global de rivalité sino-américaine, la Chine s’est affichée comme plus ambitieuse que les États-Unis de Donald Trump. Aujourd’hui, Joe Biden paraît vouloir rattraper ce retard : la visite européenne de John Kerry laisse à penser que le duo Europe (Union européenne et Royaume-Uni) + États-Unis sera de nouveau solide et moteur de la COP26.
On comprend donc que l’action des États-Unis dans les mois qui viennent va être suivie avec attention, d’une part pour comprendre l’ambition réelle de la nouvelle administration (qui se positionne en organisant un sommet de haut niveau sur le climat les 22 et 23 avril) et d’autre part pour en analyser les tenants et aboutissants face à une Chine toujours plus présente au sein de la gouvernance climatique. Les États-Unis devraient rendre publics leurs nouveaux objectifs climatiques quelques jours avant le sommet de haut niveau d’avril prochain.
Que signifie la priorité de sécurité nationale donnée au changement climatique par l’administration Biden ?
La signature dès son investiture de nombreux décrets portant sur la lutte contre le changement climatique par Joe Biden est un signal politique fort et sans précédent. Cependant, les dommages sont là : l’administration Trump n’a absolument pas suivi les directives de la feuille de route déposée par les États-Unis durant l’Accord de Paris, affectant leur capacité à suivre une trajectoire suffisamment forte pour limiter les impacts du changement climatique. Or, ceux-ci sont nombreux aux États-Unis, exposés aux ouragans, à la sécheresse, à la montée des eaux. Sans tournant drastique de la part du gouvernement américain, le maintien de la température globale moyenne en dessous des 2°C par rapport à l’ère préindustrielle paraît impossible. Aujourd’hui, au moment de la visite de John Kerry en Europe, l’ONG Climate Action Tracker a publié une estimation de ce que devrait être la feuille de route des États-Unis pour la COP26 : passer des engagements actuels (baisse de 26 à 28% des émissions de GES en 2025 par rapport à 2005) à une baisse de 57-63% en 2030 par rapport à 2005.
L’administration Biden se montre particulièrement active sur la question, d’un point de vue organisationnel : devenu priorité nationale, le climat infuse désormais tous les départements (ministères) américains, dont celui de la défense. Celui-ci a d’ailleurs confirmé officiellement le 9 mars la mise en place d’un groupe de travail spécifique au climat au sein de son administration. En outre, le Président Biden prévoit de soumettre au Congrès américain un plan de 2 000 milliards de dollars pour la relance verte, et notamment la décarbonation de l’industrie énergétique d’ici 2035. Ces initiatives démontrent l’ambition de la nouvelle présidence américaine et, si adoptées, impacteront positivement les efforts de réduction des émissions de GES entrepris par la communauté internationale.