ANALYSES

Seconde vague de Covid en Italie : un défi et une opportunité ?

Tribune
23 novembre 2020
par Fabien Gibault, professeur à l'Université de Turin


La seconde vague du Covid-19 touche de nouveau l’économie italienne. En effet, les nouvelles restrictions du gouvernement (variables selon les régions) affectent une fois de plus les entreprises et notamment la restauration, l’un des domaines de prédilection de l’économie italienne. La crise sanitaire du Covid-19 pourrait donc porter un coup terrible au pays. Mais c’est peut-être aussi l’opportunité d’ouvrir certains débats que les gouvernements transalpins successifs évitaient depuis des années.

Trois couleurs pour contrer le Covid, mais des choix et des résultats contestables

Le système régional de l’Italie pouvait sembler être un avantage lors de cette crise sanitaire. Il pouvait permettre des actions plus ciblées afin d’endiguer la crise sanitaire sans pour autant arrêter le pays tout entier. Le gouvernement s’est donc appuyé sur celui-ci (et souvent à la demande des présidents de région). Le gouvernement Conte a choisi de partager la péninsule en trois catégories : jaune, orange et rouge. Ces zones sont décidées selon le degré de gravité du covid-19, calculé grâce à un indice, le “Rt”[1]. L’objectif était de monitorer la situation, mais aussi de lancer un message à la population: si les normes instaurées  sont respectées et que le taux de malades baisse, la région regagne certaines libertés.

Le “Rt” est calculé selon une vingtaine de paramètres, qui peuvent être manipulés. Sur le nombre de cas présents, il est en effet facile pour une région de les délocaliser. À Rome, de nombreuses personnes sont touchées par le virus et envoyées dans des régions voisines pour être soignées, comme dans la petite région du Molise par exemple. Les statistiques du Latium sont donc plus basses que prévues et la capitale a évité un confinement en restant en zone jaune, la plus tranquille.

Le découpage des zones a semblé aussi pour de nombreux Italiens comme arbitraire, voire politique, parfois injuste. Ainsi la Campanie, l’une des régions les plus affectées par le Covid-19 et les moins équipées, se retrouvait en zone jaune. Une décision surprenante, surtout que la région de Vincenzo de Luca est pointée du doigt pour ne pas avoir créé les unités supplémentaires de protection civile, les USCA[2] durant l’été, comme l’avait demandé le gouvernement. Un mauvais élève privilégié ?

Possible. Pour de nombreux analystes, ce choix de laisser Naples dans une situation plus confortable était avant tout pour éviter une nouvelle insurrection de la population qui avait dévasté la plus grande ville méridionale fin octobre.

Résultat : le 15 novembre la Campanie passait directement en zone rouge, débordée par le nombre de cas. La semaine dernière, un homme était retrouvé décédé dans les toilettes d’un hôpital de Naples, totalement dépassé par la quantité de patients à soigner. Ce drame est le reflet de la gestion à deux vitesses des dispositions décidées par le pouvoir central et qui devaient être appliquées par les régions.

Cette région n’est pas la seule à pâtir d’une gestion hasardeuse. La Calabre change pour la seconde fois en un mois de commissaire chargé de la santé publique. Le premier avait déclaré à la télévision ne pas être au courant d’être le responsable du plan de gestion du Covid, le second a été filmé alors qu’il niait l’intérêt et l’efficacité des masques. Un désastre pour cette petite région qui reste en zone rouge, soit un quasi-confinement. Mais nous avons aussi des exemples notables de gestion de cette crise sanitaire entre les régions. La Vénétie et l’Émilie-Romagne collaborent afin de placer les USCA de manière stratégique. Pour rappel, le président de la Vénétie est Luca Zaia (Ligue) alors Stefano Bonaccini, de l’Émilie-Romagne, est au Parti démocrate. Deux hommes opposés d’un point de vue politique, mais qui ont su travailler de concert pour le bien de leurs régions et du pays.

Les pressions que peuvent imposer les gouvernements régionaux couplées aux risques d’explosions sociales auraient donc eu un impact sur les choix gouvernementaux. La solution de faire baisser la tension a été choisie, mais le résultat final est loin d’être positif. C’est aussi l’ambiguïté entre pouvoir régional et national qui impose une réflexion, surtout au niveau des hiérarchies. Ce flou sur la prise de décision n’aide pas à une synergie ou harmonisation d’une stratégie commune sur tout le territoire italien. Cette stratification des responsabilités politiques a porté de nombreuses régions à un manque d’efficacité, ou parfois des stratégies différentes d’une région à l’autre (certaines misant sur la prévention et d’autres sur la protection), pas toujours compatibles entre elles. Nous y voyons les limites de ce système en cas de crise, où le Gouvernement, les régions et les villes  utilisent la technique du scaricabarille (c’est-à-dire le rejet mutuel des responsabilités).

Changements de tactique de la part du gouvernement : les Italiens plus proches de leurs institutions pour une meilleure cohésion ?

L’Italie est aussi le premier pays européen des autoentrepreneurs, en effet plus de 4,6 millions d’Italiens travaillent à leur compte[3]. Une deuxième vague crise sanitaire touche bien entendu fortement cette catégorie qui n’a que rarement les épaules financières pour tenir en cas de manque prolongé d’activité. La crise du coronavirus a donc mis la population italienne en face de certaines réalités du pays qui sont connues de tous, mais qui ne dérangeaient pas tant que le système fonctionnait. Un fatalisme d’une société qui acceptait les défauts et lacunes sans se poser la question d’un possible changement. Dans un pays aussi jeune et dont la culture nationale est encore abstraite pour de nombreux citoyens, le rapport avec Rome (et donc d’un paiement d’impôt à une caisse centrale) était peu rassurant. Mais aujourd’hui pour de nombreux Italiens la participation au système national prend un sens très pratique: les aides reçues par les entrepreneurs, les ristori, sont indexées sur les déclarations de revenus de 2019. Ce qui fait que les commerçants qui avaient tendance à ne pas émettre tous les tickets de caisse afin d’éviter de payer trop d’impôts se retrouvent aujourd’hui avec des aides bien plus basses que leur chiffre d’affaires potentiel de cette année. C’est donc parce que certains se retrouvent touchés directement par cette crise que les mentalités pourraient changer.

Ce manque physique de moyens financiers pour certaines familles aujourd’hui pourrait servir de leçon non seulement à la population, mais aussi à l’État qui pourrait changer de méthode. Si l’évasion fiscale latente pouvait être plus prise en considération, aussi bien du côté de l’État que des Italiens. Une nouvelle stratégie née actuellement. Des réformes sur la base de remboursements plutôt que de sanctions: la carotte à la place du bâton.

Le gouvernement propose donc un financement allant de 50 à 110% du coût des restaurations des habitations afin de les rendre plus écologiques. À la condition, bien entendu, de présenter les factures. Même chose pour les systèmes de paiement: à partir du mois de décembre, les achats réglés par carte entre 1 et 5 euros ne devraient plus être assujettis aux commissions des banques[4]. Couplé à une autre réforme, celle du cashback (si vous payez par carte vous recevez par la suite un remboursement d’une partie de la TVA), tout est fait pour encourager les transferts de fonds électroniques et donc traçables et de bloquer toute évasion fiscale.

L’objectif est donc de rendre de moins en moins intéressants le travail au noir ou les paiements non déclarés. Une stratégie qui pourrait être payante sur le long terme, mais les prochaines élections de 2023 sont très incertaines. Plusieurs partis pourraient en effet être au même niveau d’ici quelques mois, à savoir la Ligue, le Parti démocrate ou Fratelli d’Italia. Une situation à laquelle il faut ajouter l’inconnu Mouvement 5 Étoiles, qui semble à la dérive, mais qui a les sympathies de Giuseppe Conte, lui-même fortement apprécié (pour l’instant) des Italiens.

Néanmoins ces réformes sur le long terme semblent bien loin des priorités des Italiens, qui demandent avant tout “de pouvoir travailler”. Une priorité est donc de relancer l’économie de manière légale pour ne pas retomber dans des pratiques opaques qui étaient devenues, pour certains, logiques et légitimes. Le parcours est encore long. Ce mois-ci, la police italienne découvrait en Sicile une production de palettes de chantier contrefaites, où tout le personnel travaillait au noir et touchait le revenu de citoyenneté instauré par le Mouvement 5 Étoiles. La semaine dernière, c’est la société de gestion des transports de Rome (l’Atac) qui partait en guerre contre un absentéisme excessif de ses employés (le double de ceux de Milan)[5]. Le rapport citoyen-État n’est pas encore complet, mais pour une Nation qui n’a guère plus de 150 ans, il est, malgré tout, en bonne voie.

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[1] https://www.corriere.it/salute/malattie_infettive/20_maggio_17/coronavirus-che-cosa-indice-rt-che-differenza-c-l-r0-282d6a1e-9811-11ea-ba09-20ae073bed63.shtml

[2] Unità Speciali di Continuità Assistenziale, Les unités spéciales d’assistance continue. Ces structures s’occupent uniquement de la crise sanitaire du Covid-19, aussi bien pour la prévention que pour la protection.

[3] https://www.eunews.it/2020/04/01/italia-repubblica-delle-partite-iva-oltre-46-milioni-lavoratori-autonomi-nessuno-cosi-nellue/128491

[4] https://www.adnkronos.com/soldi/economia/2020/10/08/bar-con-carta-credito-ecco-perche-conviene_7eEAuSrqovSOUlFitfwxKJ.html

[5] https://roma.repubblica.it/cronaca/2020/11/16/news/roma_assenti_per_atac_ma_al_lavoro_altrove_stanati_dagli_007_assunti_dalla_municipalizzata-274542889/?rss
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