ANALYSES

La montée en puissance de la Royal Australian Navy

Tribune
22 mai 2020
Par le Capitaine de frégate Ghislain Deleplanque, auditeur de la 27e promotion de l’École de Guerre


Alors que le monde entier est focalisé sur la crise du coronavirus, la Chine poursuit l’affirmation de ses revendications territoriales, en déployant son groupe aéronaval à proximité de Taïwan et en proclamant deux nouvelles provinces dans les récifs contestés de la mer de Chine méridionale. Les États-Unis ont répliqué en déployant un groupe aéronaval centré sur le navire d’assaut USS America (équipé d’avions F-35 de dernière génération) et escorté par une frégate anti-aérienne de la marine australienne, le HMAS Parramatta. Ce déploiement illustre la volonté de Canberra de s’impliquer dans cette zone de tensions.

Plus largement, la Royal Australian Navy prend une part de plus en plus importante dans l’affirmation de la politique étrangère australienne, et bénéficie à cet effet d’importants programmes de modernisation. Un tour d’horizon de ces programmes permettra de mieux comprendre les ambitions de cette marine, et au-delà, d’appréhender les préoccupations d’un allié clé de la France dans cette région du monde.

Cette recapitalisation de la marine australienne vise à répondre aux enjeux identifiés dans le livre blanc de la défense de 2016 et s’appuie sur une politique industrielle volontariste fondée sur la diversification des fournisseurs, l’acquisition de savoir-faire complexes et l’interopérabilité avec l’US Navy.

Le contrat des sous-marins, préserver un rapport de force favorable dans la région

Mi-2016, l’Australie choisit de confier à Naval Group la réalisation du plus gros marché d’armement jamais lancé par ce pays. Ce contrat colossal – 34 milliards d’euros sur une durée de 50 ans – vise à acquérir 12 sous-marins conventionnels dérivés du modèle Barracuda[1]. Ces sous-marins seront construits localement, avec une part importante du contrat confiée à l’américain Lockheed Martin pour la fourniture des systèmes de combat.

L’enjeu est double pour l’Australie. En terme industriel, il s’agit de bâtir une filière de construction de sous-marins, de maîtriser la conception d’un objet particulièrement complexe, concentrant en un espace réduit une haute densité de technologies de pointe. Un chantier naval dédié sera rénové près d’Adélaïde dans le but de livrer en 2032 le premier sous-marin de la classe Attack, du nom choisi par les autorités australiennes.

Mais l’enjeu est surtout opérationnel, avec l’ambition de disposer d’une capacité militaire technologiquement supérieure à la marine chinoise en pleine expansion. Un tel sous-marin, capable d’opérer en toute discrétion, loin et longtemps[2], et de frapper fort – missiles de croisière, antinavires, torpilles, mines et drones – constituera ainsi une capacité clé dans l’appareil de défense australien.

Enfin, ce contrat constitue aussi un véritable partenariat stratégique entre France et Australie, signe visible d’une confiance réciproque et de la volonté partagée de conserver un équilibre dans les rapports de force dans la région indopacifique.

Une capacité d’intervention en haute-mer

Outre la flotte de sous-marins, la marine australienne souhaite disposer de capacités de projection. Elle se dote ainsi progressivement d’un groupe de combat naval de premier plan pour intervenir en haute mer et vers la terre, dans une région du monde de plus en plus militarisée.

Ainsi, en 2014-2015, elle a intégré dans sa flotte deux porte-hélicoptères d’assaut, l’Adélaïde et le Canberra. Ces navires polyvalents de 27.800 tonnes, construits par l’espagnol Navantia, disposent d’importantes capacités amphibies et aéronautiques. Ils pourraient à terme, moyennant des modifications, accueillir des avions à décollage vertical F-35 et s’apparenteraient ainsi à de petits porte-avions. Ils constituent également un moyen d’intervention humanitaire de premier plan dans une région caractérisée par un fort risque de catastrophes naturelles (cyclones, tsunamis, incendies).

Pour exploiter au mieux le potentiel de ces bâtiments, en zone de conflits notamment, des navires d’escorte sont nécessaires. Trois destroyers antiaériens – Hobart, Brisbane et Sydney – ont été lancés entre 2017 et 2020. Sur la base d’un design là aussi espagnol, ces navires embarquent un système de combat américain et seront prochainement modernisés pour lutter contre la menace de missiles balistiques, nord-coréens notamment.

Enfin, un tel groupe de combat doit être capable de durer à la mer et doit disposer pour cela de navires ravitailleurs : deux nouveaux pétroliers sont en cours de construction par Navantia.

Une flotte nombreuse pour maintenir son influence régionale et protéger ses approvisionnements

La marine australienne doit également préserver la taille de sa flotte, c’est-à-dire équilibrer qualité et quantité, afin de pouvoir déployer en permanence des moyens, participer aux coalitions internationales et exercer son influence régionale. C’est le sens du contrat passé en 2018 pour le renouvellement des frégates, navire polyvalent qui constitue l’ossature d’une flotte militaire. Neuf nouveaux navires seront mis en service d’ici 2030 sur la base d’un design britannique, avec un effort porté sur les capacités anti-sous-marines, menace proliférante en Asie.

L’Australie, puissance dominante du Pacifique Sud, entretient des relations privilégiées avec les États insulaires. Pour cela, le pays met notamment à leur disposition une flotte de patrouilleurs et l’assistance technique associée. L’enjeu du renouvellement de cette flotte, avec la construction de 19 nouveaux bateaux, est particulièrement crucial alors que l’influence chinoise se fait de plus en plus pressante dans la région. Pour cela, la coopération avec les forces françaises implantées en Nouvelle-Calédonie constitue un autre levier pour continuer à peser.

Assurer la défense de sa souveraineté

La surveillance des approches de l’Australie, pays-continent disposant d’une façade maritime de 36.000 km[3], constitue le dernier enjeu. Pour cela, l’État australien a initié un renouvellement complet de ses moyens en misant sur la complémentarité entre surveillance aérienne et intervention maritime.

L’armée de l’Air disposera ainsi de drones MQ-4 Triton et d’avions de patrouille maritime P-8 Poséidon, version militarisée du Boeing 737. La combinaison de ces deux moyens permet de surveiller de manière exhaustive ces larges étendues maritimes[4], y compris sous la surface de l’eau[5].

La Marine, en coordination avec les moyens de la police aux frontières, agit ensuite contre les activités illicites reportées : trafic de stupéfiants, pêche illégale, immigration clandestine… Douze nouveaux patrouilleurs de haute mer (classe Arafura) seront lancés pour cela.

Indéniablement, l’Australie fait preuve d’un grand volontarisme pour se doter d’une marine militaire en phase avec ses ambitions stratégiques et la volonté de continuer à peser dans la région indopacifique.  Les montants en jeu dans ce plan d’équipement naval – 60 milliards d’euros – et les durées de réalisation associées illustrent bien le fait que vouloir constituer une flotte de haut niveau requiert vision à long terme et constance politique.

De la même manière, disposer d’une ressource humaine qualifiée et en nombre suffisant requiert là aussi un effort constant. Parvenir à cet objectif constituera probablement le défi le plus délicat à relever pour la marine australienne, comme l’ont illustré les difficultés à armer les équipages de ses sous-marins de la classe Collins.

Article publié en partenariat avec le Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM).

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[1]En cours de construction pour la marine française, le Suffren, premier de série, a effectué sa 1re plongée le 28 avril dernier.

[2]L’utilisation de piles à combustible pourrait conférer une autonomie de plusieurs semaines en plongée.

[3]Associée à une zone économique exclusive (ZEE) de 13 millions de km².

[4]Grâce aux capteurs optimisés pour la surveillance maritime du drone Triton et à sa grande autonomie (24h).

[5]Le P-8 possède d’importantes capacités de lutte anti-sous-marine.
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