ANALYSES

Soumettons l’Europe au jugement de Salomon

Presse
25 avril 2020


Face à l’impossibilité d’établir la vérité dans un litige opposant deux femmes revendiquant chacune la maternité d’un nouveau-né, le roi Salomon ordonna de couper l’enfant en deux et d’en donner une moitié à chacune. L’une des femmes déclara qu’elle préférait renoncer à l’enfant plutôt que de le voir mourir. Salomon, assuré d’avoir ainsi forcé la vraie mère à se révéler, lui donna l’enfant.




Aujourd’hui, la pandémie du coronavirus a cristallisé deux visions différentes de l’Union européenne. Les pays du nord de l’Europe voient essentiellement dans l’Union un grand marché organisé autour d’une monnaie et de règles dont le but premier est d’assurer une concurrence pure et parfaite. Certes, la Chancelière allemande a bien dit qu’il faudrait plus d’Europe à la sortie de crise. Mais ce ne sont que des mots, comme l’étaient ceux « d’armée européenne » ou la nécessité pour les Européens de « prendre leur destin entre leurs mains ».




Les pays du Sud, dont fait partie la France, veulent voir dans l’Union quelque chose de plus: un projet politique. Ils se souviennent de la promesse faite à Rome en 1957 d’une « Union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ». Ils croient encore, comme il est écrit dans le Traité de Lisbonne, que: « Les États membres œuvrent de concert au renforcement et au développement de leur solidarité politique mutuelle ». C’est cette « solidarité » que la Grèce a invoquée lors de la crise de sa dette en 2010. Et c’est cette même « solidarité » que vient d’invoquer l’Italie afin de mettre en place des emprunts obligataires bénéficiant de la signature de l’Union, les célèbres Coronabonds.




Schwarz null




Alors simple marché ou Union politique en devenir? Les deux visions semblant inconciliables, sauvons l’essentiel: le marché. Et puisqu’il ne s’agit que de cela, commençons par supprimer tous les fonds structurels; que dans une logique exclusivement transactionnelle chaque pays reçoive exactement ce qu’il paie. Ni plus ni moins. Schwarz null. Fini les contributeurs nets, les transferts, les rabais. Cela aura peut-être des conséquences néfastes sur l’euro? Qu’à cela ne tienne. Coupons l’euro en deux.




D’un côté laissons à l’Allemagne, un euro fort et aux pays du Nord et de l’Est leur monnaie nationale. Laissons-les s’organiser en une simple union douanière sous leadership allemand, un Zollverein 2.0, qui n’aurait besoin ni de parlement, ni de drapeau, ni d’hymne et qui serait, bien entendu, sous la protection militaire des États-Unis.




Et de l’autre côté un euro moins fort, mais plus homogène parce que fondé sur une Union politique, avec son budget et son parlement; celle de la France, de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce et de tous ceux qui voudront s’y joindre. Une nouvelle « Union latine », un ensemble potentiel de 233 millions de citoyens, qui assurerait la solidarité entre ses membres et pourrait par des ajustements permanents de la valeur relative de sa monnaie compenser les différences de compétitivité avec la zone monétaire allemande. »Il nous faut retrouver l’unité et pour cela nous aimer avec nos qualités et nos défauts. Rejeter la part que nous n’aimons pas chez les autres, c’est arracher une partie de nous-mêmes, une partie de l’Europe. Nous sommes tous au sud de quelqu’un. »




Les pays du sud n’auront plus les moyens de s’acheter des Mercedes, des BMW ou des Audi? Qu’à cela ne tienne, ils achèteront des Peugeot, des Fiat et des Maserati. Certains pays ne pourront ou ne voudront se rattacher à l’une ou à l’autre Europe. Tant pis, ils resteront à l’écart. Et puis, bien sûr, entre ces deux Europe, des frontières: que chacun se débrouille avec ses problèmes, l’Europe du Sud avec ses migrants et ses jihadistes et l’Europe de l’Est avec les Russes et les Américains.


Bien sûr, il y a un petit risque – mais il est minime – que cela finisse mal. Après tout c’est un chemin que nous avons déjà emprunté, nous en connaissons bien les affreux précipices, les sinistres marécages et les démons qui les hantent. Tous ceux qui veulent voir l’Union détruite seront ravis de nous le voir emprunter à nouveau. Impensable avez-vous dit? Peut-être pas.




Entre ces deux visions existe une autre voie. Elle consiste à admettre que tout ordre humain est truffé de contradictions et que l’adaptation consiste précisément à essayer de les concilier. Les tensions, les conflits, les dilemmes sont inhérents à toute culture. Alors que faire?




La solution est économique, politique, mais avant tout culturelle. Elle consiste à se penser en tant qu’Européens. À s’aimer en tant qu’Européens. Comme les membres d’une grande famille. Arrêtons les mauvais clichés tels celui des « pays du Nord » et des « pays du Sud », des « cigales » et des « fourmis » qui n’ont d’autre effet que de propulser les démagogues au pouvoir.




Comme dans un tableau du Caravage…




Il n’y a pas de réponse simple à une réalité complexe. La Grèce maîtrise mieux la pandémie que la Belgique. Les Luxembourgeois sont en faveur des Coronabonds que les Espagnols ne demandent pas. Il y a des gens de qualité aussi bien au Sud qu’au Nord. Du reste, les qualités des uns ne révèlent leurs vraies couleurs qu’en les contrastant avec celles des autres. Comme dans un tableau du Caravage, la lumière n’est jamais aussi poignante qu’entourée par les ténèbres. Il nous faut retrouver l’unité et pour cela nous aimer avec nos qualités et nos défauts.




Rejeter la part que nous n’aimons pas chez les autres, c’est arracher une partie de nous-mêmes, une partie de l’Europe. Nous sommes tous au sud de quelqu’un, les Siciliens des Lombards, les Bavarois des Brandebourgeois et cela ne veut pas dire grand-chose de nos qualités et de nos défauts. L’Europe a besoin de tous ses enfants, dans la diversité de leur culture, de leur langue et de leur histoire. Nous avons besoin de pingres, car les artistes ne suffisent pas, mais les pingres ne seraient que des pingres sans les artistes. Les Allemands ne veulent pas signer des chèques en blanc. Cela peut se comprendre. Qui accepterait de payer sans décider? Mais sans l’Italie et l’Espagne, et sans la France non plus, l’Europe ne sera plus l’Europe. Cela se comprend aisément: est-ce si difficile d’en tirer les conséquences?




Le temps est venu d’une réponse collective. Décidons ensemble de ce qu’il faut financer et comment, par des dettes ou par le budget. Mettons en place une vraie politique économique, sociale, culturelle, technologique et de défense autour de notre monnaie commune. En un mot, mettons en place une authentique « Union » capable de protéger ses citoyens et de se protéger elle-même. Trouvons ensemble les solutions pour maintenir la famille unie. Ou alors, coupons là en deux. Qui sera la vraie mère ?


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