ANALYSES

Franc CFA : fin de partie ?

Tribune
25 novembre 2019


Le président du Bénin, Patrice Talon, a annoncé le 9 novembre sur le plateau de France 24 : « le retrait des réserves de changes [CFA] détenus par la Banque de France ». Si cette déclaration semble montrer que la question du franc CFA et son remplacement par une nouvelle monnaie s’impose progressivement dans l’agenda des chefs d’État africains, elle demeure, à maints égards, problématique. Ni les modalités pratiques ni un calendrier n’ont été arrêtés sur un sujet extrêmement délicat qu’est celui d’un transfert de compte d’opérations qui ne saurait, pourtant, souffrir l’impréparation. Abdoul Mbaye, ancien haut fonctionnaire de la BCEAO, ancien Premier ministre du Sénégal, s’est montré réservé dans une interview accordée à RFI, le 14 novembre dernier, estimant que « le président Talon [était] peut-être allé un peu trop loin ». S’il a souligné, mesurant ses propos, que cette voie pouvait être « une piste de réforme », il a, en revanche, plaidé pour que « des solutions alternatives » soient examinées suggérant ainsi l’évaluation de différents scénarii par des experts.

Le CFA : une question davantage psychique que technique ?

Lors de son interview radiotélévisée, le président Talon a affirmé que le blocage sur le CFA était davantage de l’ordre psychique que technique. Pourtant les deux propositions ne sauraient être exclusives. La réforme du franc CFA suppose un très haut degré de technicité : examen du transfert des réserves de change, perpétuation ou non de l’indexation de ladite monnaie sur l’euro ou élargissement à un panier de devises, etc. Ce sont là des questions qui se posent, même si avant tout débat, le président ivoirien, Alassane Ouattara, président en exercice de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), lors du sommet des chefs d’État de la zone, réuni le 12 juillet à Abidjan, a pris position pour un maintien d’un taux de change fixe avec l’euro, ayant seulement concédé à un changement de nom. Exit donc le franc CFA au profit de l’ECO[1], réduction de l’acronyme ECOWAS (version anglaise de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). L’adoption de ce nom, enfin, suggère la mise en circulation à venir d’une monnaie commune à l’ensemble des pays membres de la CEDEAO, bien que l’espace pertinent retenu dans un premier temps semble être celui de la zone CFA (UEMOA), espace géographique inclus dans la CEDEAO. Si une partie des enjeux sont éminemment techniques, au risque d’être dépolitisés, il convient de ramener le sujet sur un plan plus politique. Les détracteurs du franc CFA appellent clairement à une souveraineté pleine et entière de leurs États sur une question régalienne fondamentale qu’est celle de la politique monétaire. Il s’agit pour eux de rompre les liens de dépendance, campés par l’expression « servitude volontaire », entre les pays africains concernés et la France. Il s’agit enfin pour eux de parachever le processus de décolonisation et de promouvoir de nouveaux rapports géopolitiques.

L’impossible maintien du franc CFA

Force est de constater que si un besoin de changements de paradigmes s’impose, il interroge tout à la fois les classes dirigeantes africaines et françaises. À ce stade, aucune issue crédible n’apparaît et le calendrier 2020, retenu, un horizon improbable sinon à se satisfaire d’un changement de nom cosmétique en inadéquation avec les attentes de nombreux jeunes, de militants et d’universitaires qui, depuis plusieurs années, se battent pour un changement radical. Face à ces enjeux, on observe le silence de la plupart des chefs d’États africains concernés par ce sujet. L’annonce de Patrice Talon semble ne pas avoir rencontré d’écho parmi ses homologues et n’avoir guère dépassé le plateau de France 24…. Si quelques rares activistes y ont vu le signe d’un processus désormais inéluctable de sortie du franc CFA, en revanche, la plupart d’entre eux, tout comme les intellectuels engagés sur cette question n’ont pas réagi dans l’attente d’une réponse concertée des chefs d’État, l’un des objectifs demeurant de réunir les conditions de création d’une monnaie commune au service de l’intégration régionale, même si des questions se posent encore quant à son périmètre. Côté français, hormis l’« ouverture » du président Emmanuel Macron, on observe également l’absence de prise de position de la classe politique française, laissant l’initiative de la critique à l’Italie de Di Maio, aux États-Unis de Trump ou encore au Brésil de Bolsonaro… Par contrepoint, les silences cumulés, dont les motivations sont évidemment différentes, interrogent sur les blocages « psychiques », à un niveau a priori moins attendu, concernant l’évolution effective du franc CFA et la possible renégociation ou non des liens entre la France et les pays africains. La situation, pour être charnière, n’est pourtant satisfaisante pour aucun des acteurs en présence. Les chefs d’État africains sont caricaturés, raillés, enfermés dans une posture de servilité à l’égard de la France ; un écueil pour le moins gênant dans l’exercice de leurs fonctions… Quant à la France, si le président Macron par la voix de son ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, s’est déclaré favorable à une « réforme ambitieuse » — dont il faudrait force imagination pour en discerner les contours —, elle ne cesse d’être conspuée par les activistes anti-CFA ayant une forte audience auprès d’une jeunesse désireuse de changement. On observe, en effet, une montée du ressentiment anti-français qui s’exprime sur les réseaux sociaux, mais pas que, et dont la question du franc CFA n’est qu’un argument parmi d’autres. Les tags « France dégage » commencent à orner les murs de certaines capitales africaines… Décomplexées, les langues se délient, quitte à embrasser des arguments simplistes et démagogiques… Bref, la situation de statu quo actuel semble intenable sur la longue durée.

En attendant la fin du franc CFA

À ce stade, en dépit de timides inflexions et une modeste concession sur un changement de nom, on observe l’absence de décision concertée. De nombreuses questions restent en suspens : quelle feuille de route ? Pour quels objectifs ? Quelle méthodologie ? Quel calendrier ? Quel rôle les chefs d’États africains doivent-ils prendre dans ce processus ? Si l’option est pour l’instant écartée, la France pourrait-elle prendre l’initiative ? La proposition du Premier ministre, Abdoul Mbaye, suggérant la réunion d’experts ayant mandat de soumettre des propositions aux chefs d’État africains et français n’est-elle pas pertinente ?

Reste désormais à savoir s’il y a une volonté politique ou si les déclarations n’ont qu’un objectif de diversion à des fins dilatoires.

 

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[1] Ce nom ECO n’est pas tout à fait nouveau dans le paysage ouest-africain, dans la mesure où a existé un projet de monnaie ECO pour les pays de la zone CEDEAO non membres de la zone CFA (UEMOA).
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