ANALYSES

Au retour de la mission Clemenceau, le porte-avions Charles de Gaulle comme outil de puissance et d’influence

Tribune
11 juillet 2019
Par


Alors que le porte-avions Charles de Gaulle avait été immobilisé pendant près de 19 longs mois entre février 2017 et septembre 2018, son premier déploiement opérationnel de longue durée, la mission Clemenceau aura suscité un intérêt certain. Escorté par un groupe aéronaval conséquent (GAN), la Task Force 473, composée des frégates Forbin, Latouche-Tréville et Provence, du bâtiment de commandement et de ravitaillement (BCR) Marne et d’un sous-marin nucléaire d’attaque, le porte-avions Charles de Gaulle a ainsi parcouru la Méditerranée et l’océan Indien pour contribuer au rayonnement des armées françaises.

Si la mission Clemenceau ne constituait évidemment pas le premier déploiement long de ce type du Charles de Gaulle – on se souviendra de l’opération Bois-Belleau et des missions Arromanches –, elle représentait pour la Marine nationale et l’ensemble des armées françaises un enjeu conséquent, le porte-avions devant faire la démonstration de ses capacités renouvelées après un arrêt technique majeur (ATM2) ayant mobilisé, à travers l’entreprise Naval Group, la Direction générale de l’armement (DGA) et le Service de soutien de la flotte (SSF), jusqu’à 2 100 personnes, pour un budget avoisinant les 1,3 milliard d’euros. Adapté au « tout Rafale » après le retrait des derniers Super Etendard Modernisés (SEM) en 2016 et désormais doté de capacités mises à jour, le porte-avions Charles de Gaulle a retrouvé son rôle de navire amiral de la Marine nationale.

La mission Clemenceau contribuait à trois objectifs concomitants. Il s’agissait d’une part et comme évoqué plus tôt, d’acter la remontée en puissance du Charles de Gaulle, ce bâtiment constituant toujours l’unique porte-avions n’employant pas d’avions à atterrissage vertical d’Europe, mais aussi, d’autre part, de multiplier les exercices aux côtés de marines militaires alliées et partenaires. Enfin, la Task Force 473 aura directement contribué à l’action de la France au Levant en participant à l’opération Chammal, son groupe aérien embarqué (GAE) représentant 25 aéronefs, dont 20 Rafale Marine prenant part aux opérations aéronavales françaises dans la région, encore une fois aux côtés de marines alliées et avec le soutien de la frégate antiaérienne danoise Niels Juel.

Dans l’ensemble, la mission Clemenceau aura été placée sous le signe de la diplomatie navale en assurant, à travers diverses missions, la promotion et la sauvegarde des intérêts français via le déploiement des bâtiments de la Task Force 473. La participation de bâtiments militaires européens à cette mission, en ce sens, peut être interprétée comme une démonstration de l’attachement de la France au multilatéralisme. De la même façon, les exercices Varuna et La Pérouse de mai 2019 aux côtés des marines indienne, australienne, japonaise et états-unienne ont permis, tout en contribuant à l’amélioration des capacités opérationnelles françaises, de mettre en scène les bonnes relations qu’entretient Paris avec une série de puissances de l’Indopacifique.

La diplomatie navale française est une déclaration : elle repose sur une démonstration de force censée illustrer l’attachement de l’État français à certains principes internationaux incontournables et en l’occurrence au droit de la mer, tel qu’encadré par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM ou UNCLOS) à laquelle adhèrent 150 pays à ce jour. De nombreux États considèrent aujourd’hui les actions entreprises par Pékin en mer de Chine comme une violation directe du droit de la mer, la construction d’îlots artificiels devant conduire la Chine à revendiquer in fine une souveraineté exclusive sur de larges espaces maritimes dans l’Indopacifique. En ce sens, la mission Clemenceau, dans sa dimension pacifique, s’inscrit dans une opposition directe à la politique du fait accompli, le déploiement du porte-avions Charles de Gaulle, navire amiral de la Marine nationale, attestant du sérieux de la position française sur le sujet. Par ailleurs, la présence française dans l’Indopacifique n’est pas seulement liée à des considérations internationales : dans le sillage de l’essor dans la région de nouvelles puissances navales, la France doit assurer la sécurité de ses territoires ultramarins et des zones économiques exclusives (ZEE) qui en dépendent.

Entre autres illustrations de cet état de fait, la participation de la ministre des Armées, Florence Parly, au Shangri-La Dialogue (SLD) en parallèle d’une escale du Charles de Gaulle à Singapour, témoigne bien de la façon dont un outil militaire peut appuyer, par sa seule présence, une action diplomatique plus conventionnelle. La mission Clemenceau, en ce sens, illustre l’intérêt croissant de la France pour l’Indopacifique, un espace maritime représentant une part conséquente des échanges commerciaux mondiaux où se jouerait, à travers la réémergence de la Chine et la multiplication des tensions internationales, le destin du monde. La France s’oriente ainsi vers un approfondissement de ses relations avec l’Inde, l’Australie et les États-Unis, mais aussi avec le renforcement de sa coopération avec le Vietnam et le Japon, dans l’objectif de contenir l’émergence d’une Chine bleue convaincue de la nécessité de s’imposer sur les mers. La France entretient d’ores et déjà avec deux de ces acteurs une relation privilégiée : avec l’Inde à laquelle elle fournit des Rafale et surtout avec l’Australie, qui s’équipera à l’avenir de Barracuda, un modèle de sous-marins d’attaque comparables aux futurs Suffren français, mais disposant d’une propulsion conventionnelle.

Important succès pour la diplomatie navale française, la mission Clemenceau aura vu le déploiement d’une demi-douzaine de bâtiments et de plus d’un millier de personnels militaires français pour quatre mois. Pour autant, ce succès ne peut totalement occulter les limites de la stratégie de défense française dans l’Indopacifique où les effectifs et les moyens français d’être réduits malgré de récents efforts. Pour être viabilisée, la présence française dans l’Indopacifique devra nécessairement s’appuyer sur le déploiement renouvelé de forces permanentes, un effort que la France ne pourra consentir sans revoir au préalable à la hausse ses dépenses militaires pour pouvoir se doter, in fine, de nouveaux bâtiments, de nouveaux systèmes, mais aussi de nouveaux équipages.
Sur la même thématique
COP28 : Que peut-on en attendre ?
Qui doit défendre l’Europe ?