ANALYSES

Les trois défis du futur avion de combat européen

Presse
17 juin 2019
Derrière le nom barbare de Scaf se cache le projet qui conditionne le futur de l’aéronautique de combat française et européenne, ainsi que l’affirmation d’une politique de défense pour renforcer la sécurité du continent, explique Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut des relations internationales stratégiques (Iris).

Lors du Salon du Bourget a été annoncée la signature du contrat de développement du démonstrateur du futur avion de combat européen, projet qui réunit aujourd’hui trois pays européens la France, l’Allemagne et l’Espagne. Derrière le nom barbare de Scaf, pour système de combat aérien futur, se cache le projet qui conditionne le futur de l’aéronautique de combat française et européenne, ainsi que l’affirmation d’une politique européenne de défense pour renforcer la sécurité des citoyens européens. Ce projet d’avion de combat européen présente trois défis majeurs que la France et l’Union européenne doivent absolument relever:

Le défi technologique et industriel

Le Scaf conditionne le futur de l’aéronautique de combat en Europe. Cet avion succédera au Rafale français et à l’Eurofighter que le Royaume-Uni, l’Allemagne l’Italie et l’Espagne ont développé en coopération. Le Scaf est un défi car ce n’est pas seulement un avion, c’est un système de combat connecté qui devra être en mesure de dialoguer avec de nombreux autres systèmes tels que des drones de reconnaissance des satellites des autres types d’avions de combat, et qui devra être protégé contre les attaques cyber. Ce n’est donc pas uniquement un avion de sixième génération pour l’horizon 2035/2040 qu’il faut construire mais toute l’architecture de notre système de défense dans la troisième dimension ce qui impose de conjuguer toutes les capacités technologiques de l’industrie européenne de défense.

Le défi de l’autonomie stratégique européenne

Le Scaf conditionne le futur de l’autonomie stratégique européenne. Le Scaf c’est à la fois la capacité qu’auront les Européens à combattre ensemble dans la troisième dimension mais également la capacité à mettre leurs moyens technologiques, industriels et financiers en commun. C’est un défi car nous avions échoué il y a trente-cinq ans à nous rassembler sur un projet commun. Il existe aujourd’hui trois avions de combat européens, le Rafale, l’Eurofighter et le Gripen suédois qui se font une concurrence destructrice sur les marchés à l’exportation. De ce fait, les capacités technologiques et financières européennes se sont érodées au fil du temps d’autant plus que certains États ont préféré acheter le coûteux F-35 américain et ce sans bénéficier de transferts de technologie de la part des entreprises américaines.

Le Scaf est donc le symbole de la capacité des Européens à se rassembler derrière un même projet dans le domaine de la défense. Or le risque de voir l’Union européenne se diviser comme il y a 35 ans existe. Les Britanniques ont annoncé il y a un an leur volonté de développer un projet concurrent, le Tempest, et il est possible que l’Italie et la Suède rejoignent ce projet coupant l’Europe en deux. Pour le moment, une telle division n’est pas encore dommageable, car on est encore loin d’être au stade de la fabrication d’un système complet. On doit décider de la fabrication d’un démonstrateur. À ce stade, il n’y a pas de répartition industrielle entre les entreprises européennes qui soit précisément définie. Mais le symbole politique de voir se développer deux projets européens concurrents serait déjà fort et potentiellement dommageable. Il faut que les États et les entreprises comprennent qu’une telle rivalité ne pourra durer trop longtemps sans affecter l’image d’unité de l’Union européenne.

S’ils restent divisés, les pays de l’Union européenne n’auront pas les moyens de développer un projet donc le coût total pourrait être compris entre 60 et 80 milliards d’euros. Continuer le développement de ces deux projets concurrents conduirait à leur échec respectif. Ce serait faire le lit de l’industrie américaine de défense et la fin de la perspective de voir naître une autonomie stratégique européenne. Le Royaume-Uni dispose de capacités industrielles et technologiques significatives dans le domaine de l’aéronautique de combat et les Britanniques ont occupé une place prépondérante dans l’Eurofighter. Ils auront donc naturellement leur place dans un projet européen commun, quelle que soit l’issue du Brexit, à condition de ne pas essayer de diviser les Européens.

Le défi transatlantique

Dans le Scaf, il y a également un défi transatlantique. Vu des États-Unis, un projet d’avion de combat européen est souvent perçu comme une concurrence inutile pour l’industrie de défense américaine. Washington devrait plutôt analyser ce projet sous l’angle de la sécurité et non sous l’angle commercial. Le projet Scaf est le projet le plus emblématique d’une Europe qui souhaite enfin prendre en main sa sécurité et qui ne veut plus dépendre éternellement de la bonne volonté des Américains pour assurer celle-ci. Ce que font les Européens, c’est ce que le président américain Donald Trump leur demande à longueur de tweets, et c’est ce que demande également le peuple américain qui ne veut plus que ses soldats soient engagés à la moindre crise dans le monde. Il faut donc que les Américains comprennent qu’ils ne peuvent demander aux Européens de faire plus pour leur défense tout en leur demandant de consacrer l’argent qu’ils auront dépensé en plus pour acheter du matériel militaire américain. Ce projet d’avion de combat européen, c’est aussi le symbole du fait que les Européens accèdent enfin à l’âge de la maturité pour leur politique de défense et de sécurité.
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