ANALYSES

Le poids de l’extrême droite au Parlement européen

Presse
22 mai 2019
Douze partis d’extrême droite se sont rassemblés samedi 18 mai pour un grand meeting. Une alliance est-elle possible entre ces partis au Parlement européen ?

Oui, ils y travaillent. Mais ce n’est pas seulement parce qu’ils ont un certain nombre d’idées en commun. C’est parce que dans tous les parlements du monde, la logique du travail parlementaire consiste à se rassembler. Quand vous êtes en groupe, vous avez des moyens, financiers, techniques, du personnel qui est mis à votre disposition. Quand vous siégez comme non-inscrits, vous êtes seuls – c’est ce qui arrive à Marine Le Pen et à ses collègues au Parlement français – vous avez moins de temps de parole, moins de capacité à présenter des propositions de lois, moins d’assistants, moins de budget.

Cela serait une erreur de penser que tous les groupes au Parlement européen sont d’une homogénéité idéologique totale. Il y a aussi des logiques de rassemblement, de regroupement, qui tiennent à la mécanique parlementaire.

Quelles sont les divergences entre les partis d’extrême droite dans l’Union européenne ?
Certains sont, en économie, plus libéraux que d’autres. D’autres, notamment en Europe de l’est, sont très attachés à une vision plutôt catholique et conservatrice de la famille et de la société. Ce que Marine Le Pen ne partage pas en totalité. Pendant la manif pour tous, elle ne s’est pas beaucoup montrée. Ce n’est pas sa priorité principale d’interdire l’avortement et le mariage homosexuel. En Europe de l’Est, en Grèce et pour les espagnols de Vox, la religion a un lien assez fort avec la politique. Ils sont plus engagés sur ces questions-là.

Il y a également des attitudes assez variables sur l’appartenance à l’Otan, en sortir ou y rester. Des attitudes variables par rapport à la Russie. Dans les pays baltes ou en Pologne, c’est assez compliqué de dire que la Russie est un modèle.

Il y a des partis qui sont plutôt partisans d’un Etat centralisateur, on dirait « Jacobin » en France, et au contraire des partis comme la Ligue (en Italie) qui sont fédéralistes. Au départ, La ligue du nord, a commencé par vouloir l’indépendance du nord de l’Italie, puis elle a évolué. Mais elle considère que chaque région doit avoir son autonomie fiscale et administrative. Au contraire, Vox, en Espagne, est carrément pour la suppression du statut d’autonomie aux régions. Marine Le Pen est plus jacobine sur ces questions-là.

Par quels moyens les partis d’extrême droite peuvent-ils créer une alliance au Parlement européen malgré leurs différences ?

Ils ont des points communs. D’abord, la volonté de s’opposer à la construction européenne telle qu’elle est. Ils partagent une volonté d’arrêter l’immigration, une opposition commune à la société multiculturelle, un sentiment que l’Europe est rentrée dans une phase de décadence.

L’idée globale des partis d’extrême droite, c’est d’être une alternative –globale elle aussi- à ce qu’ils appellent le système. Le système, c’est l’ensemble des partis politiques qui participent de l’alternance politique, la gauche sociale-démocrate, les libéraux, les conservateurs classiques…Pour les partis d’extrême droite, tout a échoué.

On peut avoir l’impression que c’est une alliance « contre » des adversaires communs mais c’est aussi une alliance « pour » une Europe fermée sur l’extérieur, sur la question de l’immigration en particulier. C’est une Europe des Etats nations. Si on suit le raisonnement de l’extrême droite, on démantèlerait l’Union Européenne pour revenir à ce qu’était le marché commun des années 60. C’est-à-dire, des Etats nations qui coopèrent entre eux sur les sujets qui les intéressent mais où, en matière de droit et d’économie, chacun reste maître chez lui.

Quels poids peuvent avoir les partis d’extrême droite au Parlement européen ? Est-ce que l’extrême droite peut réellement peser dans les décisions ?

Ce que dit l’extrême droite, c’est qu’elle va essayer de changer la donne de l’intérieur. Il faut être le plus nombreux possible à siéger pour pouvoir bouleverser les règles. L’extrême droite a abandonné l’idée de quitter l’Europe car elle s’est aperçue, après le vote du Brexit, que ce n’était pas si simple que cela. L’idée n’est plus de sortir, en tout cas pas immédiatement, mais de dire plus « plus on va être nombreux à Bruxelles, plus on va être nombreux à changer les règles de l’intérieur ».

Le seul problème, c’est que ces partis expliquent que ce n’est pas le Parlement européen qui a la main sur les décisions, mais la Commission et le Conseil. Et c’est compliqué pour l’extrême droite d’avoir la main dessus.

Ce qu’ils espèrent, c’est que la participation de leurs partis aux gouvernements dans un certain nombre de pays (Italie, Pologne, Hongrie…) va au minimum donner la possibilité de voir émerger quelques commissaires européens eurosceptiques. Et peut-être des pays qui, au sein du Conseil, taperont du poing sur la table. Est-ce que l’extrême droite peut devenir la troisième ou quatrième force au Parlement européen ? Oui, incontestablement. Mais cela est une chose, réussir à changer la donne en est une autre.
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