ANALYSES

Brexit : où en est-on ? Que nous dit l’exemple de Galileo sur le volet défense du Brexit ?

Interview
6 décembre 2018
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny


Le Royaume-Uni a officialisé, ce vendredi 30 novembre, son retrait de la partie militaire du futur système de navigation satellite communautaire Galileo. Quelles sont les conséquences directes et à moyen terme de ce retrait ? Existe-t-il d’autres écueils et obstacles en termes de défense entre Londres et Bruxelles ? Plus globalement, les négociations sur le Brexit entrent dans leur phase finale après 17 mois de difficiles négociations. Quelles seront les conséquences, selon si l’accord négocié par Theresa May est adopté ou non par les députés du Royaume-Uni actuellement en plein débat ? Le point de vue de Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

Que signifie le retrait du Royaume-Uni du système satellite européen de géolocalisation Galileo, tant pour l’Union européenne (UE) que pour les Britanniques ?

Il y a un côté « effet d’annonce » dans la décision britannique. En réalité l’UE a indiqué dès le mois de mars de cette année que les entreprises britanniques ne pourront plus postuler aux appels d’offres dans le cadre du programme Galileo pour ce qui concerne les éléments correspondant au signal sécurisé utilisable notamment dans le domaine de la défense.

Deux raisons à cela.

La première est que Galileo est un programme européen financé exclusivement par l’UE, alors que le Royaume-Uni sortira le 29 mars 2019 de l’UE. Il est donc logique que les industriels britanniques ne puissent plus participer aux contrats sur Galileo pour les parties du programme qui ont trait au signal sécurisé puisque le Royaume-Uni deviendra un État tiers de l’Union européenne après le 29 mars 2019.

La deuxième raison repose sur le fait que le signal militaire de Galileo est sécurisé. Cela pose le problème de l’accès à des informations classifiées qui proviennent et appartiennent à l’UE ce qui fait que des entreprises étrangères ne peuvent plus avoir accès à ces données. Pour ce qui est de l’accès en tant que tel au signal sécurisé de Galileo, les instances européennes ont proposé que le Royaume-Uni négocie un accord pour avoir accès à celui-ci, proposition qui a également été faite aux États-Unis. Enfin il faut bien voir que les citoyens britanniques auront toujours accès au signal « civil », comme tous les citoyens européens ont accès au GPS américain. A noter également que les Britanniques s’étaient opposés quand le programme a été lancé à ce que Galileo ait une finalité militaire.

Si Galileo est le symbole des tensions actuelles entre Londres et Bruxelles, quid des autres points d’achoppements en matière de défense dans le cadre du Brexit ?

Il est vrai que Galileo est assez révélateur, quant à sa partie militaire, de la problématique actuelle en matière de défense du Brexit. Il faut distinguer deux domaines.

Le premier concerne les opérations militaires de l’UE. Au cas par cas, le Royaume-Uni pourra participer aux opérations militaires de l’UE. Les Britanniques ne pourront pas participer à la décision décidant d’une opération de l’UE puisqu’ils ne seront plus membres de l’UE. Mais ils seront associés dans les chaînes de commandement de l’opération à hauteur de leur participation.

Concernant les équipements, la question est plus problématique pour les Britanniques et on en a vu les prémisses avec Galileo. Depuis début 2017, il existe un budget communautaire pour la défense, notamment pour les programmes d’équipements, nommé Fonds européen de défense, budget qui devrait sensiblement augmenter à partir de 2021. Or, cet argent communautaire est réservé aux entreprises européennes. C’est assez logique : les citoyens européens ne comprendraient pas que cet argent communautaire bénéficie à des entreprises de pays non membres de l’Union européenne. Partant de ce principe, les entreprises britanniques ne pourront pas avoir accès au Fonds européen de défense qui servira à financer de la recherche et des programmes d’armements européens. La seule condition pour que les entreprises britanniques aient accès aux crédits de ce Fonds est qu’elles aient des filiales localisées dans les pays membres de l’Union européenne, que celles-ci ne soient pas contrôlées par les maisons-mères britanniques, et que cela ne remette pas en cause les intérêts de sécurité européens.

Néanmoins, on peut penser que des aménagements seront mis en place, car l’objectif n’est pas non plus d’empêcher les Britanniques de participer à des coopérations en matière d’armement avec les Européens, car leur industrie possède des compétences non négligeables. Ainsi, le jour venu, il est possible que l’on associe les Britanniques au programme d’avion de combat franco-allemand, qui devrait en toute logique être également financé par des crédits communautaires. Mais cela se fera aux conditions définies par les Européens qui visent simplement à réserver les crédits européens aux entreprises européennes.

Le Parlement britannique est en plein débat avant son vote historique qui acterait le divorce entre le Royaume-Uni et l’UE, après 17 mois de difficiles négociations. Quelles seront les conséquences, si l’accord négocié par Theresa May est adopté ou non par les députés du Royaume-Uni ?

C’est encore difficile à déterminer, car, dans ce Brexit, on avance en marchant et des dispositions qui n’étaient pas prévues à l’origine ont dû être imaginées. C’est notamment le cas de ce que l’on appelle la période de transition. Celle-ci a été demandée par les Britanniques dès juillet 2017 et acceptée par les Européens en mars 2018. Elle prévoit qu’une fois le Brexit consommé, le Royaume-Uni reste dans le marché unique et dans l’Union douanière jusqu’au 31 décembre 2020. En effet, il était tout simplement impossible de négocier un nouvel accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et l’Union européenne dans le temps imparti avant la prise d’effet du Brexit et de rétablir notamment tous les outils nécessaires au rétablissement des frontières avec des douanes. Il a ainsi été admis qu’il pouvait y avoir cette période de transition. Aujourd’hui, celle-ci doit permettre également de négocier la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, car il faut bien dire qu’au-delà des principes de cette relation future qui sont fixés dans l’accord de retrait la négociation a peu avancé.

Pour le moment, la question principale porte sur le vote du Parlement britannique sur l’accord de retrait qui doit avoir lieu le 11 décembre. Si le Parlement britannique refuse l’accord, le Royaume-Uni va se retrouver en grande difficulté après le 29 mars 2019. C’est l’hypothèse du « no deal » avec des conséquences économiques qui seraient catastrophiques pour le Royaume-Uni.

Il est possible que les parlementaires britanniques refusent l’accord sans enlever leur confiance au Gouvernement britannique et demandent à Theresa May de renégocier l’accord. Cependant, l’un des problèmes majeurs est le temps très restreint pour négocier un nouvel accord. Il ne faut pas oublier que celui-ci doit être ratifié par le Parlement britannique, mais également par le Parlement européen, puis approuvé par le Conseil de l’UE à la majorité qualifiée. Le processus d’approbation de l’accord de retrait prend donc un certain temps. De plus, les marges de négociation sont extrêmement faibles pour l’UE, notamment du fait de la problématique irlandaise, car on ne peut rétablir de frontières entre les deux Irlande et qu’il est difficile également de créer de fait une frontière entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. On peut certes imaginer une sorte de coup de pouce de l’UE pour obtenir l’accord de la Chambre des communes, mais les aménagements à l’accord actuel resteront certainement mineurs en cas de renégociation de l’accord.

On pourrait également imaginer, mais personne ne veut évoquer cette solution, qu’un délai supplémentaire soit décidé pour la négociation de l’Accord de retrait. Cela peut être possible en recueillant l’unanimité des pays de l’UE, puisqu’on contreviendrait à l’article 50 du Traité de l’Union européenne, qui prévoit un délai de deux ans entre l’invocation par un pays de son retrait de l’UE et la prise d’effet de ce retrait. Dans ce cas, le Brexit ne se ferait pas le 29 mars 2019. Mais cela semble quand même difficilement envisageable, car le Parlement européen cessera ses travaux vers le 15 février du fait des élections européennes qui auront lieu fin mai 2019. Cela reporterait ainsi une ratification d’un nouvel accord après l’été 2019 ce qui semble bien lointain voir aléatoire. Il est donc peu probable que le négociateur européen, Michel Barnier, propose cette solution aux pays membres de l’UE : le money time a déjà commencé.
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