ANALYSES

Vers un budget record de la défense japonaise, la défense antimissiles prioritaire

Tribune
7 septembre 2018


Le ministère de la défense japonaise souhaite un budget record pour l’an prochain afin d’améliorer de façon significative les capacités de défense du pays, alors que la menace nord-coréenne est toujours perçue avec une grande inquiétude par Tokyo malgré le dialogue renoué entre Pyongyang et Washington.

Le ministère de la défense a indiqué vendredi 31 août qu’il souhaitait une augmentation de 2,1 % du budget militaire à 5 298 milliards de yens (40 milliards d’euros au taux de change actuel ou quelque 48 milliards de dollars), couvrant la période allant du 1er avril 2019 au 31 mars 2020. Ce serait, si le budget est adopté, la septième hausse consécutive annuelle. Le budget militaire reste cependant encore en deçà du plafond fixé en 1976 de 1 % du PIB, remarque Nippon.com. Le « réarmement » japonais demeure encore modéré même si le gouvernement du Premier ministre Shinzo Abe a approuvé en juillet l’option du conseil économique et fiscal de « renforcer de façon substantielle ses capacités de défense ».

Dans son dernier livre annuel sur la défense, le ministère de la défense japonais met, comme depuis plusieurs années, l’accent sur la nécessité de renforcer les défenses antimissiles du fait que la Corée du Nord n’a pas fait d’efforts concrets pour dénucléariser son arsenal malgré sa promesse de le faire. Depuis 2016, Pyonyang a procédé à plusieurs essais nucléaires, dont un sixième en septembre 2017, et a testé plus de 40 missiles, y compris des missiles balistiques intercontinentaux passant au-dessus ou tombant près du Japon. La Corée du Nord a également déployé plusieurs centaines de missiles à plus courte portée capables de frapper l’archipel.

Défenses antimissiles améliorées

La plus grande dépense proposée dans le budget militaire concerne donc la défense antimissile balistique.

Le Japon va acquérir des systèmes d’armes américains qui lui permettront de mieux couvrir son territoire face aux missiles balistiques à haute altitude. Le ministère de la défense demande 235 milliards de yens (environ 1.8 milliards d’euros au taux de change actuel) pour acquérir deux nouvelles stations radar de poursuite de missiles Aegis Ashore, qui sont basées au sol et sont construites par Lockheed Martin Corp.

L’armée japonaise veut également allouer des fonds, d’une part pour acheter des missiles intercepteurs SM-3 Block IIA Raytheon Co. à longue portée, qui sont conçus pour frapper des missiles ennemis dans l’espace, et, d’autre part, des moyens pour améliorer la portée et la précision de ses batteries de missiles PAC-3.

Cela confirme ce que le gouvernement japonais avait déjà annoncé fin juillet 2018, à savoir un investissement de 3,6 milliards d’euros sur les 30 prochaines années pour installer et exploiter le dispositif terrestre américain d’interception de missiles, destiné à parer une éventuelle attaque nord-coréenne.

Le Japon a actuellement un système de défenses antimissiles à deux étages : des intercepteurs sur des destroyers dans la mer du Japon et, en cas de défaillance, des systèmes PAC-3 mobiles pour l’approche finale des missiles ennemis. Techniquement, la configuration actuelle des systèmes antimissiles peut traiter des débris ou des missiles visant le Japon, mais elle est insuffisante face aux missiles à haute altitude ou face à des attaques multiples, selon les experts.

Selon ces experts, des systèmes Aegis basés au sol pourront couvrir l’ensemble du territoire japonais.

« Il faudra environ six ans pour que le système devienne opérationnel, ont déclaré des responsables de la défense. Cela pourrait également prendre plus de temps car le plan fait face à l’opposition de nombreux habitants des sites de déploiement prévus – Akita au nord du Japon et Yamaguchi au sud-ouest. » indique le Asahi Shimbun.

Par ailleurs, le Japon met actuellement à jour ses directives de défense nationale et son programme de défense à moyen terme – des annonces sont prévues pour la fin de l’année -, afin de mieux prendre en compte la menace de la Corée du Nord.

Mercredi 29 août, observe L’Orient Le Jour que « le Premier ministre a lancé les discussions d’un comité consultatif pour les nouvelles directives pour le programme de défense japonais (National Defense Program Guidelines, NDPG), un document de politique générale qui décrit les objectifs de défense du pays pour la prochaine décennie. Les dernières directives datent de 2013 seulement, et le vice-président de ce comité explique à la presse que la raison pour laquelle le gouvernement n’attend pas cinq ans de plus pour en produire de nouvelles est qu’il y a eu « des changements majeurs dans des situations internationales et dans le développement technologique », avant d’affirmer « qu’il n’y a pas d’autre choix que de les réviser maintenant ». Durant ces discussions, il a notamment été question de capacités militaires japonaises concernant le cyberespace et le cosmos, nouveaux domaines dans lesquels M. Abe a jugé « essentiel de conserver des avantages ».

La demande de budget comprend 93 milliards de yens (soit 717 millions d’euros au taux de change actuel) dans le domaine de l’espace et de la cyberdéfense, y compris l’achat de radars de surveillance de l’espace lointain, et la mise en place d’une unité de cyberdéfense.

Menace chinoise

Mais Tokyo s’inquiète aussi de la menace de la Chine qui ne cesse d’accroître son budget militaire, de moderniser ses équipements et d’affirmer ses prétentions sur la mer de Chine, accroissant notamment ses capacités amphibies afin de défendre les îlots et atolls contestés.

Face à la menace aérienne chinoise, le Japon va acquérir de nouveaux avions F-35 et moderniser ses intercepteurs F-15 qui sont plus anciens, notamment en accroissant leurs capacités de guerre électronique et leurs capacités d’emport, y compris de missiles de croisière.

Parmi les grosses acquisitions, on compte donc six chasseurs furtifs F-35 de Lockheed Martin pour 91,6 milliards de yens (soit 704 millions d’euros au taux de change actuel) et deux avions patrouilleur d’alerte aérienne avancée Hawkeye E-2D construits par Northrop Grumman. La Force d’autodéfense maritime (la marine de guerre) veut également des fonds pour construire deux nouveaux destroyers et un sous-marin d’une valeur combinée de 171 milliards de yens (soit 1.3 milliards d’euros au taux de change actuel).

Dans ce contexte, les achats d’armes américaines atteignent un record. Dans la demande de budget, les achats d’armes au Japon dans le cadre du programme de ventes militaires à l’étranger américain augmenteraient de 70 % par rapport à l’année dernière pour atteindre le chiffre record de 692 milliards de yens (soit 5.3 milliards d’euros au taux de change actuel, ou 6,2 milliards de dollars). Outre la volonté de moderniser les équipements militaires des forces japonaises, « les achats de matériel de fabrication américaine pourraient aider Tokyo à atténuer les frictions commerciales avec Washington alors que le président américain Donald Trump incite le Japon à acheter davantage de produits américains, y compris des équipements militaires, tout en menaçant d’imposer des droits de douane aux importations japonaises », remarque le Japan Times.

La dernière demande de budget du ministère de la défense intervient avant une éventuelle rencontre entre le Premier ministre japonais Shinzo Abe et le président américain Donald Trump en septembre, date à laquelle le dirigeant japonais devrait être présent aux Nations Unies à New York.
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