ANALYSES

De qui Emmanuel Macron est-il l’espoir (ou l’angoisse…) en Europe ?

Presse
9 mai 2018
Interview de Rémi Bourgeot - Atlantico
Depuis les dernières élections en Allemagne, Angela Merkel se trouve non seulement affaiblie à la tête de son pays, mais également au sein de l’Europe. Cette perte d’influence et de capacité à convaincre profiterait « mécaniquement », selon les commentateurs, à Emmanuel Macron pour prendre le leadership européen. Mais est-ce si évident que cela ?

Il ne fait guère de doute qu’Angela Merkel est sorti affaiblie des élections fédérales de septembre. Cependant, si le rejet des propositions d’approfondissement de la zone euro a bien été renforcé par ces élections, ces projets n’étaient pour autant pas soutenus auparavant. Dès les jours qui avaient suivi l’élection présidentielle française, Wolfgang Schäuble avait exprimé son refus de façon abrupte, malgré sa sympathie pour Emmanuel Macron et en prenant la peine d’offrir quelques concessions symboliques comme la transformation du Mécanisme européen de stabilité en « Fonds monétaire européen ».

Le rejet est simplement encore plus clair désormais. Angela Merkel est affaiblie en Allemagne par l’envolée de l’extrême droite et la remise en cause de l’approche politique qu’elle suit depuis son arrivée au pouvoir en 2005. Sur la scène européenne, l’opposition allemande, fondamentale, à l’idée d’une union monétaire suivant un modèle fédérale était déjà clairement visible avant les élections de septembre et, en réalité, depuis les débats des années 1980… Mais les partisans français, italiens et espagnols de cette vision politique fondaient leurs espoirs sur la croyance en un sens de l’histoire qui mènerait irrémédiablement à une forme d’apothéose institutionnelle. Il apparait aujourd’hui de plus en plus clairement que ce projet souffre d’un soutien limité en Europe.

On a pu constater une certaine confusion dans la perception de la stratégie d’Emmanuel Macron en France et à l’étranger. Dans les cercles politiques parisiens, romains et madrilènes, on avait tendance à penser qu’il jouirait d’une telle crédibilité dans sa volonté de « transformer » la France qu’il obtiendrait en échange l’accord d’Angela Merkel pour contourner les tabous allemands en matière de partage de risque financier. Cependant, on peine à voir dans quelle réalité politique aurait pu s’ancrer ce « deal » franco-allemand. En effet, le rejet en Allemagne de l’idée d’un quelconque système de transferts financiers systématiques ne provient pas d’une analyse des maux économiques français. Ce rejet est évidemment plus profond. Par ailleurs, Angela Merkel, si elle s’est fait l’écho d’une position allemande dure dans les plans de sauvetage financier pendant la crise de l’euro, ne s’est jamais vraiment rêvée en grande prêtresse de l’union monétaire.

Si la plupart des dirigeants allemands sont effectivement favorables aux réformes mises en œuvre par le gouvernement français au niveau national, il n’y a en réalité jamais eu de raison pour que cela les incite à accepter un bond en avant fédéral pour la zone euro, qui serait synonyme pour eux de suicide sur la scène politique allemande. Cet état de fait s’imposait avant même les élections allemandes, pour peu que l’on prît la peine de suivre les débats ayant cours sur ces sujets outre-Rhin, ne fût-ce qu’en jetant un coup d’œil avisé à la presse allemande.

Cet accident industriel que connaît la politique européenne de la France illustre le problème de notre climat intellectuel. En faisant de l’adhésion personnelle à la vision hexagonale du fédéralisme européen un impératif absolu pour l’insertion des individus dans le système institutionnel français, notre connaissance concrète de nos partenaires européens et en particulier de l’Allemagne a connu un déclin marqué dans l’ensemble des courants politiques au cours des quatre dernières décennies. En imposant à marche forcée cette vision, on en a oublié qu’elle restait étrangère à la plupart des peuples et des élites en Europe.

Hors d’Europe, en particulier dans les milieux économiques, tout en prenant souvent en compte les tabous allemands en la matière, de nombreux commentateurs interprétaient à tort les propos d’Emmanuel Macron comme une promesse d’engager une négociation poussée avec Angela Merkel, une sorte de bras de fer, pour imposer sa vision institutionnelle de la zone euro, et non pas comme l’attente d’un cadeau de la part de Berlin pour récompenser une France devenue première de la classe européenne.

Le Président de la République devait, du fait de son impulsion politique en Europe, jouir de l’aura du héros qui aurait remis le continent sur la voie fédérale. Son projet européen est néanmoins confronté à une impasse, qui était malheureusement prévisible, si bien qu’il est constamment amené à revoir ses projets de réforme européenne à la baisse. Il est donc difficile de dire qu’Emmanuel Macron pourrait bénéficier de la perte d’influence d’Angela Merkel. C’est plutôt le contraire en réalité ; cela ne fait qu’aggraver la dure réalité à laquelle il est confronté.

Quelles sont les catégories de la population européenne qui pourraient le soutenir? Quelles réformes et quels intérêts peut-il encore incarner après avoir revu à la baisse ses ambitions en s’étant confronté aux blocages allemands »?

Les partisans de ce type d’orientation européenne se concentrent désormais essentiellement au sein d’une partie de l’élite en France, en Italie et en Espagne. En dehors des provinces romaines, le rêve d’une grande construction fédérale est beaucoup moins présent. En Allemagne, les sociaux-démocrates sont menacés d’effondrement et ont d’ores et déjà enterré l’approche de Martin Schulz, qui a dû renoncer à participer au gouvernement et à diriger le parti ; ce dont témoigne notamment l’adhésion du ministre des Finances social-démocrate Olaf Scholz à la doctrine Schäuble sur les sujets européens. On voit par ailleurs une coalition assez soudée de plus petits pays du Nord de l’Europe s’entendre pour refuser tout grand pas en avant dans le parachèvement institutionnel de la zone euro. Et naturellement, en Europe centrale sur la question plus générale de l’UE, l’évolution politique est encore plus hostile. Il est intéressant à cet égard de noter que même les courants pro-européens dans ces pays sont éloignés des conceptions d’une Europe fédérale à la française. Ainsi, Donald Tusk, l’ancien premier ministre polonais et actuel président du Conseil européen, est l’ennemi juré de la droite populiste de son pays et il se présente comme fortement pro-européen. Ses conceptions de la coopération européenne s’avèrent néanmoins ancrées dans l’intergouvernementalité et très éloignées d’un véritable projet fédéral, dont il ne manque pas de dénoncer la distance vis-à-vis des réalités politiques nationales. Ce qui aggrave la profonde hostilité que lui manifeste Jean-Claude Juncker, qui œuvre en coulisses à la suppression pure et simple du poste de son rival.

Mais, au final, qui peut encore fédérer parmi les leaders européens ?

On constate aujourd’hui une remise en cause profonde de la centralisation européenne et des déséquilibres entre pays. Cette remise en cause prend des formes différentes, parfois dérangeantes, d’un pays à l’autre. Les projets d’intégration plus poussée de l’UE ou de la zone euro sont aujourd’hui au point mort. Tous les dirigeants européens, quelles que soient leurs options idéologiques, en sont désormais conscients. Il s’agit désormais de développer un mode de coopération qui permette de reprendre la voie de l’équilibre entre les pays et de répondre aux aspirations des populations.


Emmanuel Macron pourrait s’engager sur cette voie. Cela nécessiterait néanmoins une réorientation fondamentale et rapide, en prenant acte de l’éloignement de la vision européenne qu’il a portée au cours de son ascension politique et en renouant peut-être avec celle qui était la sienne il y a une quinzaine d’années.


 
Sur la même thématique