ANALYSES

L’Union européenne à l’heure de la présidence bulgare : quels enjeux ?

Interview
15 février 2018
Le point de vue de


La Bulgarie a pris la présidence du Conseil de l’Union européenne le 1er janvier dernier, et ce, dans un contexte relativement difficile. Pour autant, le pays a à cœur de relever le défi que va lui imposer son mandat au cours des prochains mois. Quels sont les grands enjeux à venir ? Comment la Bulgarie compte-t-elle utiliser sa présidence pour impulser une nouvelle dynamique au sein de l’Union européenne ? Le point de vue de Pierre Colomina, chercheur à l’IRIS.

Quelles sont les grandes priorités de la nouvelle présidence bulgare à la tête du Conseil de l’Union européenne ?

Plusieurs dossiers en cours feront l’objet d’une attention particulière de la part de la présidence bulgare. La seconde phase des négociations liée à la sortie du Royaume-Uni de l’UE doit s’ouvrir. Elle portera principalement sur les futures relations (notamment commerciales) entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, le retrait devant prendre effet le 29 mars 2019. À ce jour, les balbutiements politiques outre-Manche rendent difficile la poursuite des négociations, étant donné que Bruxelles attend de Londres une clarification de sa position concernant l’avenir de sa relation avec l’UE. Il s’agira pour la Bulgarie de parvenir à maintenir l’unité des 27 États membres dans les négociations à venir.

Autre dossier important, celui de la gestion des migrants au sein de l’espace de l’Union européenne. La Bulgarie est au cœur de cet enjeu, du fait de sa frontière commune avec la Turquie, qui est également une frontière extérieure de l’UE, traversée par de nombreux migrants au cours des dernières années pour rejoindre l’Allemagne, l’Italie, la France ou encore le Royaume-Uni.

L’Europe de la défense est également à l’agenda européen, avec notamment plusieurs échéances à venir dans le courant de l’année.

Le pays s’est ainsi donné quatre grandes priorités. En premier lieu, redynamiser la citoyenneté européenne. Pour cela, Sofia souhaite redonner confiance aux jeunesses européennes en dessinant les trajectoires futures de l’Union. Il s’agit de relancer la croissance économique, de soutenir la cohésion sociale au sein de l’UE, mais également d’approfondir l’intégration économique et monétaire de l’Union, de définir le futur budget pluriannuel de l’UE et l’avenir de la politique agricole commune. Seconde priorité, le devenir des Balkans occidentaux. La Bulgarie souhaite faire réapparaître l’avenir de cette région à l’agenda européen. Troisième pilier de la présidence bulgare, la stabilité de l’Union sur le plan sécuritaire et le soutien à l’Europe de la défense. Enfin, quatrième axe, les compétences dites d’avenir et l’économie numérique.

La Bulgarie peut-elle profiter de sa position pour faire resurgir la question des Balkans occidentaux au sein de l’agenda européen ?

Le message subliminal que voudra porter la Bulgarie tout au long de sa présidence vis-à-vis des Balkans occidentaux est celui d’affirmer la confiance de l’UE envers la région et de redonner espoir aux différents États des Balkans dans la perspective si ce n’est d’une adhésion future à court terme, de renouer un dialogue constructif et prometteur entre Bruxelles et les différents pays de la région. C’est en cela que Sofia souhaite porter la voix des Balkans occidentaux, et le pays compte sur sa présidence pour y parvenir.

Les vents sont d’ailleurs favorables en ce début d’année 2018 puisque la Commission européenne est allée dans ce sens en publiant le 6 février dernier sa stratégie pour les Balkans occidentaux[1], intitulée « une perspective crédible d’élargissement et un renforcement de l’engagement européen avec les Balkans occidentaux ». Celle-ci marque un tournant puisqu’elle relance le processus d’adhésion des États de la région, en ré-ouvrant le processus de négociations à l’attention des six pays concernés par une future adhésion à l’UE, et en premier lieu la Serbie et le Monténégro, pays tous deux actuellement candidats officiels à l’adhésion. Celle-ci pourrait être effective dès 2025, bien que cela soit intimement conditionné aux progrès réalisés en matière d’État de droit. Si elle paraît très (trop) ambitieuse, cette date est en elle-même un évènement puisqu’elle a le mérite de fixer pour la première fois un horizon dans l’agenda des négociations d’adhésion de ces deux pays. Quant à la Macédoine et l’Albanie, ceux-ci pourraient faire l’objet d’une ouverture des négociations d’adhésion à moyen terme. Pour ce qui est de la Bosnie-Herzégovine, le pays pourrait devenir officiellement candidat à l’adhésion de l’UE. Le Kosovo, quant à lui, devra faire face à différents obstacles, d’abord parce que plusieurs pays de l’UE – l’Espagne, la Roumanie, la Grèce, la Slovaquie et Chypre – ne reconnaissent pas le pays en tant que tel, mais aussi, car les inculpations à venir dans le cadre du tribunal spécial en charge de juger des crimes de l’UCK pourraient bien viser certaines élites politiques du pays.

La Bulgarie a suivi le chemin de l’adhésion à l’UE avant d’y parvenir officiellement en 2007. Elle compte partager son expertise en la matière avec les différents Etats dont le processus d’adhésion est en cours de négociation, tout en soutenant un ensemble de projets relatifs à la coopération régionale et à une meilleure connexion géographique et numérique des États balkaniques avec le reste de l’UE.

Le temps présent joue donc en faveur d’un retour des Balkans occidentaux à l’agenda européen, et la Bulgarie est bien ancrée dans cette perspective. En ligne de mire pour Sofia, le sommet UE-Balkans occidentaux de 2018 qui se tiendra en mai prochain dans la capitale bulgare, et qui sera lui-même suivi du prochain sommet des Balkans occidentaux à Londres en juillet 2018 dans le cadre du Processus de Berlin.

En matière de défense et de sécurité, quelle sera la vision de la présidence bulgare alors que l’Europe de la défense est à l’agenda de l’UE pour 2018 ?

Le troisième pilier de la présidence bulgare, consacré à la sécurité européenne comprend également un volet défense. Sofia entend ainsi jeter « jeter les bases d’une Union de défense, y compris en mettant en place la première coopération structurée permanente au sein de l’UE »[2]. La Bulgarie a en effet à cœur de peser sur les évolutions en la matière, et cela pourrait se traduire à différents niveaux.

Tout d’abord à l’échelle de la PSDC. À ce titre, Sofia entend bien soutenir la perspective de l’Union d’être un acteur majeur de la défense européenne. Le pays s’est également joint à la Coopération Structurée Permanente (CSP, ou PeSCo en anglais), et la Bulgarie favorisera la mise en œuvre de cette initiative qui regroupe aujourd’hui la quasi-totalité des États européens à travers 17 projets de coopération liés à la formation militaire, aux évolutions industrielles et technologiques de certains équipements de défense (drones, technologies cyber, systèmes de surveillance maritime…).

Aussi, c’est durant la présidence bulgare que devrait être adopté le règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense, sorte d’action préparatoire du volet capacités du Fonds européen de défense qui couvrira les années 2019 et 2020. L’objectif désormais affiché par l’Union est de parvenir à développer une base industrielle et technologique de défense commune, en favorisant le développement de technologies, en soutenant la compétitivité de l’Union et en finançant la recherche à l’échelle européenne en matière de capacités de défense. Ce processus devra permettre le renforcement d’une autonomie stratégique désormais affichée par l’Union européenne.

Quelque peu désillusionnée depuis son intégration dans l’UE, il n’en reste pas moins que la Bulgarie a à cœur de se montrer à la hauteur des responsabilités qui incombent à la présidence du Conseil de l’Union européenne. Il sera nécessaire de faire le bilan de ce mandat avant que la Bulgarie ne passe le flambeau à l’Autriche le 1er juillet prochain.

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[1] Voir l’analyse de Loïc Trégourès, http://www.iris-france.org/107190-lunion-europeenne-peut-elle-reussir-lintegration-des-balkans-occidentaux/

[2] La présidence bulgare du Conseil de l’Union européenne, Programme, https://eu2018bg.bg/fr/programme
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