ANALYSES

Le retour du Maroc au sein de l’Union africaine et son adhésion à la CEDEAO : quelles conséquences pour les ensembles régionaux ?

Tribune
22 juin 2017
La réintégration du Maroc au sein de l’Union africaine le 30 janvier 2017, ainsi que l’accord de principe de son adhésion à la CEDEAO les 5 et 6 juin 2017 au 51e sommet de la CEDEAO à Monrovia, sont deux grandes réussites diplomatiques pour le royaume. Elles ont été longuement préparées par les divers volets de la diplomatie marocaine qui combine diplomatie des voyages et du portefeuille, influence religieuse, accords de sécurité et coopération militaire, et surtout diplomatie économique avec les pays africains. Elles témoignent du retour de l’un des fondateurs de l’OUA en 1963 qui l’avait quitté en 1984. Cette réintégration modifie la donne vis-à-vis de l’Algérie, peut s’accompagner d’une intégration au sein de la CEDEAO et de l’UA, ainsi que peut-être participer au dénouement de l’impasse du Sahara occidental.
Nous rappellerons dans cet article : (I) les différents volets de la diplomatie marocaine et l’histoire des relations entre le Maroc et l’OUA devenue UA, notamment concernant le Sahara occidental ; avant de présenter (II) les principaux enjeux régionaux africains de cette réintégration au sein de l’UA et de son adhésion à la CEDEAO ; puis dessinerons (III) quelques perspectives.

Les liens entre le Maroc et l’UA et la question du Sahara occidental

Le Sahara occidental est longtemps resté le caillou dans la chaussure marocaine, représentant à la fois un facteur majeur de tension avec l’Algérie et de blocage de l’UMA.

Le Maroc a été actif dans la création de l’OUA. Le principe d’intangibilité des frontières a été alors adopté pour éviter d’ouvrir la boîte de Pandore concernant le caractère arbitraire des frontières, cicatrices de la violence de l’histoire, ainsi que pour réduire les risques des guerres de sécession. Il y a toutefois eu de nombreux contentieux. La question s’est posée de savoir quelle était la définition des frontières spécifiques au Sahara espagnol en 1975 : un rattachement au Maroc ou une autonomie ? Lors de son indépendance en 1956, le Maroc a demandé le respect des droits sur le Sahara espagnol antérieurs au protectorat français. Ultérieurement, la Mauritanie a réclamé le rattachement du Sahara occidental au nom de la continuité territoriale. En 1973, le front Polisario a réclamé l’indépendance soutenue par l’Algérie. En 1975, après le retrait de l’Espagne, une administration tripartite Espagne- Mauritanie-Maroc était envisagée lorsque la marche verte de 35 0000 Marocains a conduit au maintien du Sahara occidental dans l’espace national du Maroc. En 1976, la République arabe sahraouie démocratique (RASD) est reconnue par 72 États des Nations unies (40 aujourd’hui). En 1984, 26 des 50 États membres de l’UA ont admis la République sahraouie (RASD) au sein de l’UA. Le Maroc a alors décidé de quitter cette organisation et des affrontements armés ont eu lieu jusqu’en 1992. L’Algérie a fait de la question sahraouie et du soutien au Polisario un cheval de bataille. La force des Nations unies MINURSO est présente depuis 26 ans (1991), avec pour mandat de surveiller le cessez-le-feu, de vérifier le départ des troupes marocaines et initialement d’organiser un référendum. La bataille juridique a été menée par le Maroc et de fortes tensions sont apparues en 2016 entre le royaume et Ban Ki Moon, qui avait parlé d’occupation. Le Polisario a, quant à lui, perdu de sa capacité armée, tout en présentant un risque de liaison avec les trafiquants, les djihadistes et de non contrôle de la sécurité des frontières.

Les Nations unies ont préconisé une autonomie mais pas une indépendance du peuple sahraouie (25 0000 pour 540 000 habitants). Le principe d’un référendum a été accepté mais avec contentieux pour savoir si les Marocains présents avaient un droit de vote.  La donne a toutefois changé avec le temps. On note une lassitude des Nations unies face au coût de la MINURSO ; tandis que le Maroc a intégré de fait le Sahara occidental dans son espace territorial par des infrastructures et des implantations de population et d’entreprises.

Le Maroc a surtout changé de stratégie via quatre principaux volets de diplomatie :

– par les ambassades, les voyages et les accords diplomatiques. Il a patiemment noué des liens avec la majorité des États africains par une diplomatie des voyages et un élargissement des alliances. Le roi Mohamed VI a ainsi effectué plus de 40 voyages en Afrique.

– par le soft power religieux et une lutte contre le salafisme et le wahhabisme. De nombreuses relations ont ainsi été mises en œuvre dans le champ religieux (mosquées, formations d’Imam dont 500 au Mali, confréries Tidjane avec le Sénégal, islam malékite).

– par une coopération sécuritaire renforcée. Le « roi Africain » a su trouver la majorité des alliés lui permettant de réintégrer l’UA contre les positions de l’Algérie, de l’Afrique du Sud, de l’Angola ou du Nigeria. Il n’a plus posé comme condition de sa réintégration le départ de la RASD. Certains opposants considèrent toutefois que le loup était rentré dans la bergerie pour éliminer ensuite le mouton noir.

Les enjeux internationaux et régionaux    

Une diplomatie Sud/Sud

Le Maroc a une diplomatie Sud/Sud qui se situe dans la longue histoire de l’État Maghzen, tout en intégrant les changements de la donne nationale, régionale et mondiale.

Le royaume s’insère dans un contexte mondial multipolaire caractérisé par un essoufflement du multilatéralisme, une montée du multi-partenariat et une prolifération des accords régionaux ou bilatéraux.  Il s’insère dans les chaînes de valeur mondiale, tout en ayant une politique active d’industrialisation. Sa compétitivité résulte à la fois d’une politique territoriale (par exemple, les écosystèmes industriels de Tanger) ; d’avantages compétitifs transférés par les firmes multinationales (savoir-faire, brevets, licences, sous-traitance etc.) ; d’une stratégie d’attractivité des capitaux (la Place financière de Casablanca est devenue la première d’Afrique) ; et d’une construction d’avantages compétitifs par les holdings du roi et des firmes publiques (capitalisme d’État).

Sur le plan national, la nouvelle Constitution de 2011, le plan émergence et le poids du parti islamiste (le PJD) dominant face au parti du pouvoir royal (le PAM), traduisent un relatif consensus sur la politique internationale. Quant à la politique sociale, elle essay=ie d’atténuer les énormes inégalités et le très fort chômage, notamment chez les jeunes (plus de 30%).

Sur le plan régional, le Maroc combine une politique de fortes relations avec l’Union européenne (UE), bien qu’en déclin, avec une réorientation vers le Proche et Moyen-Orient, ainsi que vers l’Afrique. La demande d’intégration de l’UA se situe dans une nouvelle diplomatie Sud/Sud de la part de l’Empire chérifien, longtemps lié à l’Europe et au monde occidental. On note, en outre, une ouverture vers la Russie et plus récemment vers la Chine mais également vers les pays du Golfe, parallèlement à un certain relâchement avec l’UE. Le risque de rupture avec la Suède a été grand à propos du dépôt en septembre 2015 d’un projet de loi reconnaissant la République sahraouie démocratique, avant que ce projet soit retiré par Stockholm. Le Maroc a progressivement développé une politique de non alignement et, en tant que pays francophone et arabophone, il a noué des liens au sein de ces deux mondes. À la différence de son rival algérien, le Maroc accepte de s’engager hors de ses frontières et a une diplomatie active avec son Sud. Le Comité d’État-major opérationnel conjoint (CEMOC, regroupant l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger) reste une coquille vide, même si l’Algérie a pesé dans les accords d’Alger sur le devenir du Mali.

Les enjeux régionaux

Le Maroc adopte une approche pluridimensionnelle du développement Sud/Sud qui a été initié il y a 10 ans en Afrique de l’Ouest et s’étend en Afrique orientale. Les projets sont sécuritaires, religieux et sociaux. Il importe de différencier le régionalisme – règles et appartenance à des organisations régionales – de la régionalisation – projets, coopération et acteurs.

Les organisations régionales

Le Maroc fait partie de deux organisations régionales : l’UMA et la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD).

L’UMA est une coquille vide du fait des relations tendues entre l’Algérie et le Maroc. Elle traduit la paralysie de la construction maghrébine et la question du Sahara occidental ne fait que cristalliser ces antagonismes. Elle est également un prétexte qui n’a pas empêché la création de l’UMA en 1989 et une réouverture momentanée des frontières. On peut espérer que sa solution favorise la fin des blocages dont le coût est considérable pour le Maroc comme pour l’Algérie. Le Maroc reste le pays le plus intégré au sein de l’UMA. En revanche, son adhésion à la CEDEAO est le signe d’un désengagement vis-à-vis de l’organisation.

La CENSAD créée le 4 février 1998 comprend  28 Etats africains. Le Maroc y joue un rôle important.

Le royaume a demandé son intégration à la CEDEAO. Des liens institutionnels ont été noués depuis 2000 avec 24 visites dans onze des quinze pays membres. Le Maroc a fait sa demande d’adhésion après avoir intégré l’UA et le 24 février dernier, une lettre a été envoyée à la présidence de la CEDEAO pour passer du statut d’observateur à celui de membre à part entière. La décision a été prise les 5-6 juin 2017 à Monrovia d’un accueil de principe dont il reste à définir les modalités juridiques, alors que la Tunisie a obtenu un statut d’observateur et que la Mauritanie n’a pas été intégrée. Il fallait un accord à l’unanimité et donc lever la réserve du Nigeria. Cette intégration permet au Maroc de contourner l’échec de l’UMA et d’institutionnaliser son ancrage au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Cependant, de nombreuses dispositions juridiques doivent être prises pour rendre cette décision effective ; tandis que plusieurs dossiers devront être réglés, notamment monétaires et commerciaux avec la mise en place d’un Tarif extérieur commun (TEC) pour un marché de 350 millions de consommateurs réels ou potentiels. La CEDEAO deviendrait avec le Maroc la 16e puissance économique mondiale

Concernant la prolifération des accords bilatéraux, on estime à 500 le nombre d’accords juridiques de coopération avec les pays africains, dont 14 accords commerciaux bilatéraux de type NPF (nation la plus favorisée).

La régionalisation de facto et le multi-partenariat

Le Maroc demeure largement polarisé sur l’Europe. Il bénéficie du statut avancé avec l’UE et est à la fois un interlocuteur privilégié des pays du Conseil de coopération du Golfe. Le commerce avec l’Afrique s’élève à 6% du commerce mais les échanges commerciaux avec le continent croissent rapidement, notamment du fait de la montée en puissance d’une classe moyenne : ils sont passés de 1 milliard de dollars (2004) à 4,4 milliards (2014) et l’Afrique de l’Ouest correspond à la moitié de ses exportations. Les indices d’intégration régionale (16 indicateurs dans cinq domaines : commerce, production, infrastructures, libre circulation des personnes, finance) sont élevés. L’essentiel du processus d’intégration régionale résulte des secteurs privé et public marocains. Le Maroc est ainsi devenu le second investisseur africain dans le continent via les holdings du palais et les firmes multinationales, tels Saham dans la santé, Maroc Telecom, Royal Air Maroc, les banques Attijariwafa Bank implantées dans 14 pays africains, la Banque centrale populaire dans les huit pays de l’UEMOA, le partenariat avec Commercial Bank of Ethiopia, l’hydraulique, la construction et les BTP…

Le Maroc se positionne comme intermédiaire dans la division internationale du travail. Il joue notamment le rôle de hub entre les investissements étrangers, notamment européens, vers les pays africains. Il a une position subordonnée envers les investissements européens mais dominante face aux pays africains. 1/3 des exportations vers l’Afrique sont à haute valeur ajoutée. Les groupes d’intérêt économique se constituent avec des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire et des joint-ventures se développent.

Certains secteurs sont entraînants, notamment à partir de Tanger. Parmi eux, le secteur aéronautique marocain est au 15e rang mondial avec 121 entreprises, 11 000 emplois et 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Il participe de l’écosystème industriel de la zone de Tanger et doit doubler d’importance avec le récent accord avec Boeing. Le secteur automobile (avec une usine Renault/Nissan à Tanger) a permis le développement de sous-traitants (moteurs de transmission, câblage, batterie, etc.) et occupe la première place des exportations devant le phosphate et les produits agricoles. L’Office chérifien des phosphates (OCF) est à la conquête de l’Afrique avec une capacité de 1 million de tonnes d’engrais destiné au continent (Africa Fertilizer complex) ; 14 filiales ont ainsi été implantées, notamment au Rwanda et en Ethiopie. Le Maroc est aussi spécialisé dans l’offshoring et les activités liées au tourisme ; tandis que les grands chantiers structurants concernent le gazoduc Maroc-Nigeria ou l’autoroute Tanger-Lagos. Enfin, le Maroc est aussi en pointe dans les nouvelles technologies du numérique.

L’influence du royaume concerne également l’économie verte et les énergies renouvelables (cf. la COP 22 à Marrakech). Dépendant en énergies fossiles (97% est importée pour l’électricité), le Maroc a prévu que 42% de l’électricité proviennent d’énergies renouvelables en 2020 (solaire ou éolienne, cf. la centrale solaire de Noor à Ouarzazate pour un investissement de 9 milliards de dollars). L’objectif est de réduire de 32% les émissions de GES d’ici à 2030.

Par ailleurs, le Maroc est une terre d’asile pour les migrants et les réfugiés. En 2014, 30 000 migrants et réfugiés ont été régularisés malgré un taux de chômage de plus de 30% pour les jeunes. Le pays est aussi un lieu de transit pour les migrants cherchant à atteindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Quelles perspectives ?

De nombreuses inconnues demeurent dans un pays où la monarchie assure l’unité politique et religieuse, où de nombreux secteurs émergent mais où les risques de sociétés à deux vitesses demeurent et les fractures sociales et territoriales sont grandes. La politique extérieure est également fonction de la stabilité politique et de la puissance économique. Les liens entre le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne remettent en question le clivage Afrique sub-saharienne et Afrique arabo-musulmane qui caractérise les découpages internationaux à commencer par l’UE qui différencie des accords de libre échange (processus de Barcelone) avec l’Afrique septentrionale et les APE post-Cotonou avec l’Afrique subsaharienne, exceptée l’Afrique du Sud.

Un rôle important au sein de l’UA

Le Maroc va jouer un rôle important au sein de l’UA. Il est un poids lourd qui modifie les équilibres et le rôle dominant de quelques États comme l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Algérie. L’UA, copie des institutions européennes, a été une avancée sur le plan institutionnel mais non un facteur important de régionalisation par les projets et les acteurs. Elle reste un syndicat de chefs d’État, dépendante financièrement et manquant de moyens et de volonté. Déchiré entre une intégration continentale ou régionale et la souveraineté nationale (point de vue algérien et sud-africain), le Maroc va peser pour une intégration régionale plus forte. Il va également renforcer le poids des pays francophones par rapport au poids des pays anglophones.

Dans l’architecture de paix et sécurité, le Maroc est la 45e puissance militaire mondiale et la première force aérienne africaine.

Dans le domaine diplomatique, le royaume joue un rôle d’intermédiaire entre le monde occidental et l’Afrique sub-saharienne.

Un dénouement de la question du Sahara Occidental ?

Le devenir du Sahara occidental est évidemment central. Il peut y avoir une évolution conduisant à une autonomie plus grande, même si les symboles de la souveraineté marocaine demeurent (drapeau, monnaie). Pour l’heure, le Polisario est sous perfusion caritative et algérienne. Les pays du Maghreb n’ont pas nécessairement intérêt à un vote d’autodétermination qui conduirait à l’indépendance d’un espace dominé par tous les trafics, alors que la menace terroriste a été relativement endiguée.

Trois scenarii sont envisageables : le moins probable est l’indépendance après référendum du Sahara occidental ; le second est le statu quo ; le troisième, favorisé par l’entrée du Maroc au sein de l’UA, est une autonomie accompagnée d’une politique de développement économique et social, qui affaibliraient les revendications indépendantistes et traduiraient une victoire du Maroc sur l’Algérie. Les solutions se jouent au sein de l’UA mais surtout des Nations unies. Pour le moment, un bras de fer entre l’Algérie, le Polisario et le Maroc a lieu dans la zone de Guerguerat. La route nationale allant de Tanger à la Mauritanie de 2379 km est coupée sur 4 km le long de la frontière mauritanienne. Cette zone de non-droit est au cœur des différents trafics. Récemment, l’ancien président du Mozambique, Joachim Chissano, soutenant le Polisario a été boycotté par le Maroc.  Pour l’Algérie, la question sahraouie est coloniale et la demande reste celle d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU, comme le Maroc et la RASD s’y sont engagés. La RASD reste soutenue par une vingtaine d’États africains, dont deux francophones (Mali et Mauritanie) et douze anglophones.
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