ANALYSES

Changement climatique et terrorisme : quelle corrélation ?

Interview
3 mai 2017
Le point de vue de Bastien Alex, Alice Baillat
Un rapport [1] a récemment mis en lumière les liens existant entre changement climatique et risques terroristes. Explications de Bastien Alex, chercheur à l’IRIS en charge du Programme Climat, énergie et sécurité, et d’Alice Baillat, chercheuse à l’IRIS [2].

En quoi le changement climatique agit-il comme un « multiplicateur de menaces » ?

Alice Baillat : Les liens entre environnement, climat et sécurité ont commencé à être débattus dès les années 1970. Toutefois, c’est à partir des années 2000, lorsque le changement climatique s’est imposé comme un nouvel enjeu international majeur, que ce débat est revenu au goût du jour avec une attention politique renforcée et renouvelée. Dans quelle mesure le changement climatique va-t-il menacer la sécurité humaine des individus, c’est-à-dire leur santé, leur sécurité alimentaire, leur habitat, leurs moyens d’existence, etc. ? Le changement climatique va-t-il devenir une menace et un facteur d’instabilité pour les États, en provoquant tensions, conflits et migrations massives ?

Pour l’heure, les experts s’accordent pour dire que le changement climatique est un multiplicateur de menaces, au sens où il agit de manière indirecte sur les facteurs d’instabilité et de violence. Le rapport montre notamment que les changements climatiques affectent en premier lieu la sécurité humaine des individus. Par exemple, les rendements agricoles peuvent baisser en raison des dégradations climatiques et provoquer une volatilité des prix des produits alimentaires de base. Mauvaise récolte et hausse des prix vont se combiner et accroître l’insécurité alimentaire des individus, en particulier dans les pays en développement où les populations restent très dépendantes de l’agriculture. Des tensions communautaires, des soulèvements populaires et des émeutes de la faim peuvent alors apparaître et conduire à un climat de violence. Plusieurs pays africains et asiatiques ont ainsi connu des manifestations et des émeutes lors de la crise alimentaire mondiale de 2007-2008, celle-ci étant aussi désignée comme l’un des facteurs à l’origine des printemps arabes. La sécheresse qui a sévi en Syrie entre 2007 et 2010 a provoqué une baisse importante des rendements agricoles, ainsi qu’une forte hausse des prix alimentaires et des déplacements internes de population massifs. C’est pourquoi cette sécheresse a été considérée par plusieurs experts comme l’un des éléments déclencheurs des soulèvements populaires en mars 2011.

Pour résumer, le changement climatique n’est jamais le seul facteur conduisant à une escalade de la violence. Il agit toujours en interaction avec des facteurs politiques, économiques et sociaux, qu’il vient exacerber. C’est la raison pour laquelle il est aujourd’hui important de parler du changement climatique comme d’un multiplicateur de menaces, afin d’éviter la dépolitisation des crises. En effet, en désignant le changement climatique comme premier facteur d’insécurité, on a alors tendance à négliger les autres facteurs responsables du déclenchement de ces crises, comme par exemple la pauvreté, les inégalités sociales, la corruption, la persécution, l’absence ou la mauvaise gouvernance, etc.

Bastien Alex : De plus, le changement climatique amplifie la fréquence et/ou l’intensité de risques naturels déjà existants comme les inondations ou la sécheresse. Le changement climatique vient donc s’insérer comme un facteur supplémentaire aggravant mais rarement déclencheur en lui-même.

Ce rapport a établi un lien entre les groupes terroristes Boko Haram/Daech et le changement climatique. Comment comprendre cet état des lieux ?

Bastien Alex : Le lien entre terrorisme et changement climatique est encore à l’état d’hypothèse et il faut différencier le lien direct de causalité d’une simple corrélation. Si des populations sont soumises à des aléas climatiques ou à des dégradations des conditions de vie liées aux changements environnementaux, leur territoire s’en trouvera modifié et n’offrira plus des conditions d’habitabilité optimales. Ces populations peuvent alors être tentées de rejoindre les centres urbains paupérisés qui n’offrent ni perspectives d’emploi, ni services publics, du fait d’un État défaillant. Dans ce genre de situation extrême et lorsque l’on a une famille à nourrir, il faut trouver des ressources. Or, ces dernières peuvent être offertes par la voie de la criminalité ou du terrorisme. Cela signifie que pour subvenir à ses besoins, on peut devenir criminel, passeur de drogue ou encore, être tenté par le terrorisme islamiste. La situation de précarité et de détresse peut donc pousser les gens dans les bras des djihadistes, avec un degré d’adhésion plus ou moins important. Le rapport entend décrire ces mécanismes : comment le terrorisme se nourrit de la misère et comment le changement climatique peut contribuer à créer ce genre de situation qui favorise ces trajectoires. On observe surtout ce phénomène auprès des populations du Moyen-Orient et du Sahel, zones d’activité du djihadisme.

Alice Baillat : Les groupes terroristes peuvent aussi profiter des catastrophes naturelles pour tenter de mettre sous leur joug des populations vulnérables. Au Bangladesh par exemple, après le passage d’un cyclone dévastateur, la présence d’ONG créées par, ou associées à des groupes terroristes, a pu être observée. En apportant leur soutien aux victimes et en s’engouffrant ainsi dans la brèche laissée par l’absence ou l’insuffisance de l’aide apportée par l’État, ces groupes terroristes espèrent rallier ces populations à leur cause, voire en recruter certains dans leurs rangs.

Face à cette corrélation changement climatique/terrorisme, comment les États peuvent-ils réagir ?

Bastien Alex : Si on crée les conditions d’un développement serein des sociétés, on empêche que les populations soient tentées par d’autres trajectoires violentes, comme le terrorisme ou le grand banditisme.

Pour lutter contre le changement climatique, les États doivent arrêter de le prendre comme un simple problème environnemental ou climatique. En réalité, c’est un problème transversal et global, à la fois sur le plan géographique – les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas de frontière –, ainsi que sur le plan politique, économique, social, énergétique, etc. Pour y répondre, au lieu d’essayer de traiter en tant que tel le problème climatique, il faut plutôt essayer de prendre en compte ses impacts aux différents niveaux de la société. Il s’agit d’intégrer le paramètre climatique à l’ensemble des politiques publiques, de manière diffuse plutôt que par des mesures ciblées. De cette manière, l’idée est de prendre en compte le changement climatique de façon transversale, au lieu de le faire artificiellement en l’isolant des autres paramètres.

Alice Baillat : En Syrie, Daech s’est développé en particulier dans les régions affectées par la sécheresse et où il y a eu un manque total de soutien de la part de l’État. Aider sa population à faire face aux aléas climatiques, grâce par exemple à des systèmes d’assurance et de protection sociale, pour éviter qu’elle ne devienne encore plus fragile et vulnérable est un moyen pour les États de réduire les risques de radicalisation et de menace terroriste. C’est en effet lorsque les individus se sentent abandonnés par leur État – voir lorsqu’ils désignent celui-ci comme responsable de leurs maux – qu’ils sont alors tentés, ou contraints, de céder à la pression des groupes terroristes.

[1] Adelphi, Insurgency, Terrorism and Organised Crime in a Warming Climate: Analysing the Links Between Climate Change and Non-State Armed Groups (2016). 

[2] Alice Baillat et Bastien Alex ont rédigé un rapport abordant le lien entre changement climatique et sécurité/défense dans le cadre de l’Observatoire géopolitique des enjeux des changements climatiques en termes de sécurité et de défense.
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