ANALYSES

Les négociations sur le TTIP peuvent-elles échouer ?

Interview
27 avril 2016
Le point de vue de
En quoi la visite de Barack Obama à Hanovre, en Allemagne, est-elle stratégique ? Quels sont les enjeux de la rencontre entre le président américain, la chancelière allemande Angela Merkel, et les dirigeants italiens, britanniques et français ?

C’est d’abord la visite de Barack Obama à Londres qui était stratégique, car le Brexit affaiblirait très sensiblement la Grande Bretagne et l’Union européenne. La visite à Hanovre, et notamment la rencontre avec les dirigeants de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de la Grande Bretagne, était stratégique pour deux autres raisons.

Le président américain veut que l’Europe se consolide et reste, ou du moins devienne, unie et forte sur des questions essentielles telles que l’Ukraine, la Russie, la Méditerranée, la crise des réfugiés, y compris vis-à-vis de la Turquie. Une Europe faible et désintégrée est une source de grande préoccupation pour les Etats-Unis. L’Amérique du Nord n’a pas de meilleur allié que les pays européens. Il est intéressant de constater qu’il n’y avait aucun représentant de l’Union européenne à Hanovre. Cela suggère que Barack Obama considère que le pouvoir de décision et de mise en œuvre politique reste très largement dans les mains des Etats Nations.

Au-delà de la question du Brexit et de la solidarité européenne, l’importance géostratégique de la visite de Barack Obama à Hanovre était aussi dans la démonstration que la diplomatie et l’engagement doivent prévaloir sur le militarisme – qui pourrait être défendu par Hillary Clinton – ou le désengagement – soit l’isolationnisme et le protectionnisme célébrés par Donald Trump.

Alors qu’un nouveau cycle de négociation sur le marché transatlantique (TTIP) s’ouvrait lundi, les divergences entre les parties au traité se sont accentuées. Les négociations peuvent-elles échouer comme l’a averti le ministre de l’Economie allemand ? Pour quelles raisons ?

Nous sommes face à plusieurs problématiques différentes.
Du côté américain, les Démocrates sont ordinairement partisans du TTIP car ce traité permettrait d’imposer les normes européennes, réputées plus prudentes, aux Etats-Unis. Quant au Parti républicain, il est généralement plus favorable à l’ouverture du commerce international, bien que Donald Trump ne représente pas ce type de républicains. Le TTIP, qu’il faudrait d’ailleurs dénommer marché commun transatlantique, est à 90 % une harmonisation des normes et non pas seulement la baisse des barrières et des tarifs douaniers.

Comprenant cela, l’échec des négociations, souligné par le ministre de l’Economie allemand Sigmar Gabriel, reste une possibilité notamment car les systèmes européens et américains sont très différents. La société américaine est particulièrement litigieuse, concurrentielle plutôt que consensuelle, fondée sur une organisation politique qui laisse beaucoup de pouvoirs aux Etats. Par exemple, le dumping fiscal, décrié en Europe, est une pratique journalière aux Etats-Unis : le Maryland et la Pennsylvanie peuvent se concurrencer pour donner le meilleur bagage fiscal aux investisseurs. L’échec pourrait donc venir de l’incapacité des négociateurs à se mettre d’accord. Cette problématique s’exprime particulièrement dans les processus de ratification de l’accord transatlantique. Le TTIP, une fois négocié, devra être ratifié par tous les membres de l’Union européennes, et donc par 28 institutions différentes contre seulement une, le Sénat, côté Etats-Unis. Pourtant, ce ne sont absolument pas des négociations entre l’Allemagne et les Etats-Unis ou entre la France et les Etats-Unis. On peut se demander ainsi d’où vient la frilosité française et pourquoi François Hollande a-t-il demandé à ce que le TTIP ne soit pas sur la table des négociations à Hanovre ? La prudence française vient d’une part d’une forte suspicion à l’égard des marchés financiers, et plus généralement à l’égard de tout ce qui n’est pas encadré par l’Etat, et d’autre part du calendrier politique.

Deux autres données doivent entrer en considération : la peur de la domination américaine et la peur d’un système trop libéral. La peur d’une domination du système américain s’illustre notamment dans la possibilité, discutée dans le cadre des négociations, pour des entreprises multinationales de porter plainte contre un Etat. Quant à la domination d’un système libéral, elle est d’autant plus forte que l’Europe préserve une certaine forme de protection. Un sondage récent montrait qu’environ deux tiers des Américains estimaient qu’il fallait poursuivre ses objectifs personnels dans la vie plutôt que de s’occuper des gens dans le besoin, des résultats que l’on retrouvait dans des proportions inverses lorsqu’on interrogeait plusieurs pays européens. C’est un point très important, car dans la relation transatlantique, l’une des responsabilités fondamentales et continues est de reconnaître les différences entre les Européens et les Américains. C’est cette donnée qui a été problématique lors de l’invasion de l’Irak. Les Américains, plus que les Européens peut-être, ont tendance à exalter nos valeurs communes, en évoquant par exemple les soldats ayant combattu côte à côte. Mais il faut aussi reconnaître les valeurs que nous ne partageons pas, parce que c’est de là que peuvent venir les difficultés.

À propos de la gauche européenne, qui se cherche un peu partout excepté peut-être en Angleterre, elle devient quelque peu hystérique à ce sujet et dénonce un accord négocié dans le secret. Or, la complexité du TTIP impose de le négocier dans le secret car les concessions que chacun est amené à faire ne peuvent être débattues publiquement. En réalité, le Parlement européen publie sur son site internet des mises à jour sur la progression des négociations. Il faudrait donc attendre l’accord final. L’Europe représente 500 millions de consommateurs et de citoyens, et les Etats Unis 330 millions. Les Européens qui protestent contre le TTIP devraient se rendre compte que l’Europe pèse très lourd dans les négociations. Puisque ce sont les Américains qui veulent que le TTIP réussisse, les Européens ont beaucoup de forces de leur côté.

Barack Obama s’est engagé à faire progresser les négociations sur le TTIP. Pourquoi une telle implication de la partie américaine ? Quelles sont les motivations géostratégiques des Etats-Unis dans la signature du TTIP ?

Il y a tout d’abord la question des calendriers politique. Le président américain quittera ses fonctions le 20 janvier 2017, et il estime, à mon sens, qu’il y a probablement moins de chances de conclure ce traité après son départ. D’une part, Donald Trump est prêt à utiliser l’arme tarifaire et des barrières douanières, ou du moins l’a-t-il dit, même si c’est le Congrès qui devrait mettre en œuvre de telles réglementations. Mais un responsable de la Maison Blanche qui veut promouvoir une telle politique, et qui a un soutien populaire, peut tout de même influer sur le cours des événements. D’autre part, Hillary Clinton, en partie sous pression de Bernie Sanders, a expliqué qu’elle n’était plus favorable au traité transpacifique (TPP). Nous avons donc deux candidats à la présidence des Etats-Unis qui défendent une position critique à l’égard d’un traité de libre-échange. Il est clair que le Sénat, et d’ailleurs Barack Obama l’a confirmé, ne pourra ratifier le TTIP d’ici le 20 janvier faute de temps même si les négociations sont terminées. Mais il faut aussi comprendre que le United State Trade Representative (USTR), une cellule située en face de la Maison Blanche, rapporte directement au président et est désigné par lui. L’USTR et son équipe pourraient donc changer à partir du 20 janvier, et normalement, ces nominations aux Etats-Unis prennent jusqu’à un an. Ainsi, si les négociations n’aboutissent pas avant le départ d’Obama, il peut y avoir une très longue trêve.

Deuxième grande raison : le calendrier électoral en Europe. François Hollande est d’ores et déjà dans une mentalité de campagne. Plus on approche des élections française et allemande, moins il sera possible de faire avancer les négociations. Dans cette configuration, la trêve viendrait du côté européen dans la mesure où rien – ou très peu – ne sera décidé dans les 6 mois précédent ou suivant les élections présidentielles.

L’intérêt du TTIP pour les Etats-Unis tient notamment au fait que l’Organisation mondiale du commerce ne fonctionne plus depuis la mort du Cycle de Doha. Historiquement, les Etats-Unis ont toujours considéré que l’ouverture au commerce international était bénéfique pour tout le monde, et cette mentalité perdure. Dès le début de la République américaine, les Etats-Unis ont tenté de conclure des traités de libre-échange. Monsieur Albert Gallatin, ancien secrétaire au Trésor qui est devenu ambassadeur des Etats-Unis en France après avoir négocié la fin de la guerre de 1812, dont j’ai écrit la biographie, avait parmi ses missions la négociation d’un traité de libre-échange avec les Pays-Bas, et aussi plus tard avec la Grande Bretagne.

Quant à la motivation géostratégique américaine, il s’agit de créer le plus rapidement possible des normes internationales fixées par l’Europe et les Etats-Unis, pour que ces normes ne soient pas déterminées par la Chine. Les Chinois ont un commerce international très important côté Pacifique, mais pour autant, le traité transpacifique n’inclut pas la Chine. De même que les Russes peuvent déclarer que l’OTAN est un exercice d’encerclement militaire et stratégique de la Russie, la Chine pourrait concevoir le TTP, voire le TTIP, comme un containment du marché chinois.
Sur la même thématique