ANALYSES

Essai atomique nord-coréen : un facteur indirect de tension régionale

Tribune
6 janvier 2016
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L’annonce ce matin par la Corée du Nord de son essai d’une bombe H n’est pas, intrinsèquement, de nature à bouleverser la donne stratégique dans la zone Asie-Pacifique. Le régime nord-coréen, qui a déjà réalisé par le passé trois tests de bombes A, n’a jamais fait mystère de sa volonté de se doter d’un puissant arsenal nucléaire. La nature de l’explosif, si le succès de l’essai est avéré, représenterait un saut qualitatif indéniable, a fortiori si, comme l’affirme Pyongyang, l’engin testé est miniaturisé, donc apte à prendre place à bord d’un vecteur, bombe ou missile. Pour autant il faut raison garder. La Corée du Nord dispose certes d’un arsenal balistique important, représentant une sérieuse menace pour la Corée du Sud et, dans une moindre mesure, le Japon. Mais les missiles nord-coréens, même le Taepodong-2, sont loin de pouvoir rivaliser avec les armes nucléaires des huit nations atomiques.

Peu fiables (un essai réussi sur quatre tirs), disposant d’une propulsion par combustible liquide, nécessitant une longue période de préparation sur un pas de tir, les Taeopdong-2 font l’objet d’une surveillance satellitaire permanente dès que les signes d’un lancement se manifestent, ce qui les rend vulnérables à une attaque préventive, qui ne manquerait sans doute pas de survenir en cas de menace avérée vis-à-vis de la Corée du Sud, du Japon ou des Etats-Unis. De surcroît même si ces engins sont potentiellement en mesure de frapper la côte ouest des Etats-Unis ou l’archipel japonais, ils sont extrêmement rustiques. Ne disposant pas de têtes nucléaires multiples hypermanoeuvrantes qui, associées à des leurres, assurent la pénétration d’une défense antimissile efficace, ils ne sont pas à l’abri d’une interception. Les lancer, alors que leur succès n’est pas garanti, reviendrait pour Pyongyang à prendre le risque d’une riposte nucléaire sans même avoir eu la possibilité d’infliger des dommages à l’adversaire. Quant au scenario d’une frappe par une composante aéroportée, il n’est pas viable : l’aviation de combat nord-coréenne est obsolète et ne dispose pas d’appareils en mesure de réaliser un bombardement stratégique. Face aux aviations et aux défenses sol-air japonaise et sud-coréenne ultra-modernes, les vieux Mig et Ilyouchine nord-coréens, dont le caractère opérationnel reste à démontrer, n’ont aucune capacité de pénétration.

Cependant, si l’essai ne saurait suffire à déclencher seul un changement de paradigme régional, il va sans aucun doute susciter des réactions à rebours qui, elles, peuvent potentiellement accroître les tensions en mer de Chine orientale et en mer du Japon.

Si Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, vient de faire un geste important à l’égard de la Corée du Sud, en exprimant les regrets du Japon vis-à-vis du sort réservé par l’armée impériale aux « femmes de réconfort » coréennes dans les années 30 et 40, il sera sans aucun doute inflexible vis-à-vis des menaces nord-coréennes. Celles-ci viennent conforter la politique de remilitarisation du Japon menée tambour battant sous son égide. La flotte nippone, par le nombre et la modernité de ses bâtiments, peut déjà être considérée comme la deuxième du Pacifique après l’US Navy. Tokyo vient de se doter d’une classe de puissants porte-hélicoptères. Mitsubishi et Kawasaki sont donnés comme favoris pour remporter en Australie le contrat du siècle sur le marché des sous-marins, avec leur type Soryu. La mégalomanie de Pyongyang justifie ces investissements qui font polémique au Japon. En toute logique celui-ci devrait accroître encore ses efforts afin de se doter d’un dispositif de Défense antimissiles balistiques (DAMB) plus performant encore, en coopération avec les Américains.

Ceux-ci, parfaitement conscients du caractère limité de la menace nord-coréenne, utiliseront à coup sûr cette dernière pour poursuivre les programmes de DAMB engagés depuis plus d’un quart de siècle, et que le récent accord survenu dans le dossier du nucléaire iranien venait remettre en cause. Alors que le segment de la défense antimissiles est l’un des plus juteux du marché international de l’armement, l’occasion est trop belle de faire d’une pierre deux coups, en boostant d’une part les travaux américains de R&D et R&T dans ce domaine, en arguant d’autre part de la menace nord-coréenne pour renforcer le containment militaire de la Chine via une alliance resserrée avec la Corée du Sud et le Japon.

Cela entraînera nécessairement une réaction de la Chine. Celle-ci, qui se montre de plus en plus agressive en mer de Chine du sud, avec la création d’îles artificielles accueillant des bases aéronavales, mais aussi autour de l’archipel des Senkaku, possession japonaise, poursuivra avec plus de détermination encore le programme de modernisation de ses forces armées. Comme le fameux battement d’aile du papillon, l’essai nord-coréen risque indirectement de déclencher à moyen terme sinon le chaos, du moins une crispation disproportionnée par rapport au facteur qui en fût la cause.
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