ANALYSES

COP24 : entre réalités attendues et espoirs déçus

Tribune
18 décembre 2018


La COP24 s’est achevée après plus de 28 heures de prolongation le samedi 15 décembre au soir. Si le fameux rulebook fixant les règles et modalités d’application de l’Accord de Paris a bien été adopté, le bilan reste mitigé et la conférence fidèle à son image de sommet aux résultats fortement controversés. Plusieurs enseignements peuvent toutefois être tirés.

Les rapports internationaux ne mobilisent pas les États

Le rapport spécial du GIEC sur la trajectoire 1,5°C publié le 8 octobre dernier avait été commandé lors de la COP21. Sa publication avant la COP24 devait permettre de remobiliser les négociateurs en soulignant les différences – importantes – existant entre un monde à +1,5°C et un monde à +2°C à horizon 2100. Leur ampleur devait nourrir la conviction que chaque demi-degré compte, et que la révision, à la hausse, des ambitions de réduction des émissions de gaz à effet de serre constituait une priorité après les engagements volontaires annoncés lors de la COP21 – les fameuses INDC (Intended Nationally Determined Contribution). Trois semaines avant la COP24, le Emission Gap Report d’ ONU Environnement, qui rappelait que les contributions nationales nous plaçaient pour l’heure sur une trajectoire de +3,2°C, devait encore renforcer le diagnostic et le bien-fondé du rehaussement des ambitions. Malheureusement, ces nouvelles alertes n’ont pas suffi à produire l’effet escompté sur les États. Au contraire, la mention du rapport 1,5°C dans la déclaration finale a fait l’objet d’âpres discussions. Un front mené par les États-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite et le Koweït, quatre pays producteurs d’hydrocarbures (dont les trois premiers producteurs mondiaux de pétrole), s’est en effet élevé pour en atténuer le sens. Si d’habitude, les parties à la Convention « accueillent » la publication des rapports du GIEC, elles se sont cette fois contentées, en raison des réserves de ces pays, de saluer le respect du calendrier de livraison plutôt que le contenu du document… qu’elles avaient elles-mêmes commandé. Les quatre États responsables de ce blocage l’ont justifié en avançant que le rapport ne pouvait constituer la seule base de travail, mais l’ampleur des efforts à fournir d’ici 2030 pour respecter cette trajectoire (diminution de 45% des émissions mondiales) préconisée par le document n’y est sans doute pas étrangère. Si les règles de transparence ont été précisées, on peine encore à distinguer avec clarté le fonctionnement du processus de reporting qui permettra à la Convention d’évaluer les progrès réalisés par les États parties et donc l’atteinte des objectifs. Toutefois, l’Inde et la Chine qui avaient pu exprimer des réticences par le passé ne se sont pas opposées à l’adoption du rulebook, certes imparfait, mais qui a le mérite de fixer le cadre général, c’est là une satisfaction.

Les contextes nationaux contraignent les agendas internationaux

De nouveau, les contextes nationaux se sont invités dans les négociations. La France est sans doute le premier pays à en avoir fait l’expérience. Le président Emmanuel Macron, pourtant désigné champion de la Terre et du Climat lors du 2e One Planet Summit en septembre 2018 avait d’abord annoncé qu’il serait représenté par son Premier ministre Édouard Phillipe. Ce dernier a finalement dû annuler sa participation en raison de la crise des gilets jaunes en France. Selon Sara Lickel, chargée de plaidoyer « Droit à l’alimentation et changements climatiques » au Secours catholique, la désertion des dirigeants mondiaux à la COP24 n’est pas un phénomène isolé. « La multiplication des sommets internationaux parallèles aux négociations onusiennes, comme le One Planet Summit, a conduit à une forme de démobilisation de la diplomatie française lors des COP. La France n’était d’ailleurs pas représentée au niveau ministériel lors de la dernière session de négociations samedi 15 décembre », précise-t-elle, une critique reprise par ATTAC. La plupart des chefs d’États et de gouvernements présents à la COP étaient en effet originaires des pays du Sud. D’autres délégations se sont évertuées à freiner les négociations. Les États-Unis, par leur position rétive à l’approbation franche des conclusions du dernier rapport du GIEC, ont donné de la consistance aux propos de Donald Trump. Le président américain qui a annoncé en juin 2017 sa volonté de sortir de l’Accord de Paris s’est ainsi félicité dans plusieurs tweets des difficultés du sommet qui, selon ses dires, valide sa position sur leur caractère injuste. La Pologne a de son côté tancé la France sur la taxe carbone en arguant de la nécessité d’une justice, bien contente de pouvoir récupérer à son profit le mouvement social qui secoue le pays depuis l’annonce de la hausse des prix des carburants pour défendre sa position au niveau européen. Le pays hôte de la conférence s’est également illustré par le verrouillage partiel des participations des ONG, ce qui s’est vu dans l’espace qui leur était réservé, moins garni qu’à l’habitude.  Le Brésil, dont le président fraichement élu, Jair Bolsonaro, n’a jamais dissimulé son hostilité à l’égard de l’Accord de Paris a-t-il influé sur le positionnement de l’administration Temer, pourtant encore en fonction ? Difficile de l’affirmer, mais Brasilia s’est montré à l’offensive sur la complexe question de la double comptabilité des émissions autour de l’article 6 de l’Accord de Paris. « Jusque-là, les pays du Nord achetaient des quotas carbone à des pays du Sud, et c’est le pays du Nord qui comptabilisait des réductions d’émissions. Maintenant que les efforts d’atténuation concernent l’ensemble des États, le Brésil, en raison de l’étendue de la forêt amazonienne sur son territoire, voudrait que ces émissions « évitées » puissent s’ajouter aussi à ses efforts de réduction », explique Sara Lickel. Le rulebook ne tranche toutefois pas cette question et la renvoie à la COP25 qui se tiendra finalement au Chili fin 2019, après que le Brésil ait annoncé, quelques jours avant l’ouverture de la COP24, renoncer à organiser celle-ci sur ton territoire.

Les financements restent à pourvoir

La question du financement est à nouveau restée l’une des principales pierres d’achoppement de la COP, malgré l’annonce de la Banque mondiale faite dès les premiers jours pour donner un nouvel élan et encourager les États développés à respecter leurs promesses financières vis-à-vis des pays les plus pauvres et les plus vulnérables. L’institution prévoit de mettre 200 milliards de dollars sur la table entre 2021 et 2025, soit 40 milliards par an pour doter l’enveloppe de 100 milliards annuels promise par les pays industrialisés et inscrite dans l’Accord de Paris. Malgré cet effort, le compte n’y est toujours pas. Or, sans respect des engagements financiers d’un côté, il est fort probable que les pays en développement soient, de leur côté, réticents à rehausser leurs ambitions en matière de réduction d’émissions. Par ailleurs, le dispositif proposé par la Banque mondiale n’est pas encore suffisamment lisible, et on peine à savoir précisément ce que contiendra cette enveloppe : le ratio prêts/dons, l’articulation avec les fonds de développement existants, la convergence avec les objectifs du développement durable (ODD), l’équilibre public-privé, toutes ces données sont pour l’heure indisponibles. De même, difficile de savoir quelles seront les orientations des fonds dotant l’enveloppe de 100 milliards. Ceux qui mentionnent l’agriculture et la sécurité alimentaire seront-ils tournés vers les OGM ? C’est en tous les cas le souhait de la fondation Bill et Mélinda Gates qui est un contributeur important. Autre élément clé, l’intégration des questions financières aux contributions nationales. Les pays en développement souhaitaient qu’apparaisse dans ces dernières l’enveloppe proposée par le pays développé une manière d’insérer les problématiques d’adaptation qui doivent aussi être financées. Aucun progrès n’a été enregistré sur ce sujet.

Un système imparfait, mais indispensable ?

Finalement, la COP24 n’évite pas les sempiternels procès en incohérence et inefficacité. Elle illustre à merveille, comme les précédentes, le dilemme du verre à moitié vide/à moitié plein. Faut-il le rappeler, le mode de décision des négociations onusiennes reste celui du consensus. Avec 195 États parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et se réunissant chaque année lors des COP, la défense des multiples intérêts nationaux en présence prend souvent le pas sur la poursuite d’un intérêt commun, rendant les positions irréconciliables et l’obtention d’un accord à la hauteur des enjeux, impossible. Dans ce contexte, auquel il faut ajouter les difficultés politiques et géopolitiques du moment, peut-on véritablement s’étonner des inévitables blocages ? Ne doit-on pas se satisfaire de l’accord trouvé ? Là encore, chacun est dans son rôle : les décideurs et diplomates s’en satisfont et concèdent que « nous devons tous abandonner un peu individuellement pour gagner collectivement » quand les ONG considèrent la suppression de la référence aux droits humains[1] et la réduction au strict minimum de la question des pertes et dommages « comme un retour en arrière [opéré] par les pays riches ». Difficile de sortir de cette dichotomie. Le système est certes imparfait, mais conserve le mérite de réunir annuellement les États parties et de maintenir la dynamique politique des négociations internationales tout en offrant un espace de multilatéralisme dont les petits États ont cruellement besoin. Il fonctionne en parallèle de la mobilisation croissante des acteurs non-étatiques, tout aussi nécessaire, mais qui ne peut seule suffire à résoudre le défi climatique. Seule la combinaison des efforts, politiques, économiques et citoyens, ainsi que la convergence des intérêts nationaux et internationaux, sera apte à offrir des réponses à la hauteur des enjeux. Reste à en créer les conditions d’émergence. Comme le résume Saleemul Huq, directeur du Bangladesh’s International Center for Climate Change and Development (ICCCAD) : « Prenez des pays comme la Chine et l’Inde qui déploient les énergies renouvelables pour des raisons qui leur sont propres […] C’est cela dont nous avons besoin : les pays doivent aller dans cette direction parce que cela leur semble logique, et non parce qu’ils ont signé un accord et sont censés le faire. » Pour accélérer ce sentiment et cette transformation, il faut que les opinions publiques soient convaincues de la gravité de la situation, mais également de la pertinence des mesures proposées par les gouvernants pour y faire face. Une indispensable convergence qui ne peut faire l’économie de la justice sociale.

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[1] « La notion de transition juste, promue par la déclaration de Silésie au début de la quinzaine a été au cœur de la COP24. Jamais elle n’avait été autant débattue. Au final, elle n’apparait pas dans le Rulebook alors que sa prise en compte demeure fondamentale pour l’acceptabilité des politiques de préservation du climat, tout comme les droits de l’homme, la sécurité alimentaire ou la participation du public aux politiques climatiques. », rappelle Sara Lickel.
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