ANALYSES

L’Armée turque : bilan opérationnel de l’année 2017

Tribune
31 janvier 2018


L’Opération Zeytin Dalı (Branche – ou Rameau – d’olivier), lancée le samedi 20 janvier 2018, dans le secteur d’Afrin (au nord de la Syrie), s’inscrit dans la continuité des missions confiées à l’Armée turque de lutter contre l’ensemble des organisations terroristes, sans distinction, à l’extérieur comme à l’intérieur des frontières. Bien qu’il soit sans réelle surprise, car annoncé à plusieurs reprises par le pouvoir politique à Ankara et précédé, le 18 janvier, par une visite du Chef d’État-major général des armées turques à Moscou, son lancement mérite de revenir sur les missions qui ont été conduites par l’Armée turque au cours de la période écoulée, aux plans qualitatif et quantitatif, dans un contexte où ses rangs ont été fortement purgés à la suite de la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016. 9236 personnes accusées d’être des membres de l’Organisation FETÖ/PDY (Fethullah Gülen / État parallèle) ont, en effet, fait l’objet d’une procédure d’expulsion de l’Armée turque et 5399 d’entre elles ont été incarcérées. Le haut commandement militaire – dont 40% environ des généraux et des amiraux – ayant été particulièrement affecté par ces purges (et étant par ailleurs toujours susceptible de l’être), la question de l’aptitude de l’Armée turque à poursuivre efficacement ses missions se pose d’autant plus qu’elle avait déjà subi, à partir de l’année 2010, plusieurs vagues d’expulsions dans le cadre de multiples affaires dont les plus emblématiques étaient Ergenekon et Balyoz.

Le bilan global de l’année 2017 en matière de lutte contre le terrorisme a été récemment annoncé par l’État-major général des armées à Ankara. Il montre, selon les chiffres publiés, que l’Armée turque a maintenu un haut niveau d’interventions si l’on compare aux années précédentes, et que ce domaine est, plus que jamais, prioritaire. Ce bilan s’élève à 7016 terroristes « neutralisés » (on peut traduire cet adjectif par « mis hors de combat d’une manière ou d’une autre »), soit 3239 du PKK et 3777 de Daech.

Pour le PKK, le bilan 2017 des opérations intérieures (le Nord-Irak est paradoxalement compris dans la zone des opérations au titre du « droit de poursuite »[1]) est de 2701 terroristes neutralisés et 2889 armes tous types confondus saisies. En outre, 1958 dépôts et abris dont se servait le PKK ont été rendus inutilisables. 439 195 personnes ont été appréhendées lors de tentatives illégales de franchissement de frontière. On ajoutera à ce bilan la saisie d’outils de financement du terrorisme comme du carburant et des cigarettes de contrebande, ou encore 4 734 027 plants de cannabis et 54 tonnes de stupéfiants. Les troupes au sol déployées pour conduire ces missions ont été appuyées par 399 opérations aériennes.

Ces opérations intérieures de lutte contre le terrorisme ont été complétées par des actions extérieures visant aussi bien Daech que le PKK. Ainsi, et toujours selon les chiffres communiqués par l’État-major général des armées à Ankara, les tirs menés jusqu’au 12 janvier 2018 contre Daech à partir du secteur de la Base de Gedu (15 km au nord-est de Mossoul, à proximité de Bachika) ont permis de neutraliser 717 membres de l’organisation terroriste et de détruire un certain nombre d’emplacements de combat et de matériels dont 1 char, 5 canons tractés et 110 véhicules. S’agissant des opérations menées au nord de la Syrie, l’Opération Bouclier de l’Euphrate, lancée le 24 août 2016 en soutien de l’Armée syrienne libre pour prévenir toute menace ou attaque terroriste contre la Turquie, s’est achevée le 29 mars 2017 avec le contrôle d’un secteur de 2015 km2 et de 243 lieux d’habitation situés entre Azaz et Jarablus. 3598 terroristes (3060 de Daech et 538 du PKK) ont été neutralisés depuis le début de l’opération. Parmi les matériels de Daech détruits figurent 308 véhicules et 5 drones, le PKK ayant quant à lui perdu 28 véhicules armés, 2 drones et 28 emplacements de combat. Le nombre d’opérations aériennes menées contre Daech et le PKK dans le cadre de l’Opération Bouclier de l’Euphrate s’élève à 303.

La fin de cette opération a conduit à l’adoption par la Turquie de mesures visant à prévenir les attaques du PKK/PYD dans une zone s’étendant d’Afrin à Manbij. Des actions de riposte ont été conduites, et ce plus particulièrement dans le secteur de Azaz-Marea et, parfois, de Manbij. Des unités des Forces armées turques ont été déployées dans la région d’Idlib pour contrôler la désescalade de la tension dans le cadre de l’Accord d’Astana. 3 points de contrôle ont été successivement mis en place à cet effet les 13 et 23 octobre, puis le 19 novembre 2017. D’autres sont en cours d’installation avec, en toile de fond, l’intention politique turque de faire obstacle à l’établissement d’un « corridor du terrorisme » en Syrie. L’avenir de ces points de contrôle dépendra logiquement de l’évolution de l’Opération Branche d’olivier, et notamment de son éventuelle poursuite vers le nord-est de la Syrie.

Le bilan des opérations intérieures et extérieures qui ont été évoquées est lourd avec 197 soldats tués (dont 67 dans le cadre de l’Opération Bouclier de l’Euphrate) et 766 blessés.

Parallèlement à ces actions de lutte contre le terrorisme, la Turquie a conduit en 2017 d’autres opérations nationales dans ses eaux territoriales. Il s’agit des opérations Bouclier de la Méditerranée visant à protéger le terminal pétrolier de Ceyhan, et Harmonie en mer Noire qui est une initiative de sécurité turque avec la participation, à divers degrés, de la Fédération de Russie, de l’Ukraine et de la Roumanie. Ces opérations ont été complétées par des missions maritimes en mer Égée.

En dehors de ces opérations nationales se sont poursuivis, en 2017, les engagements des Forces armées turques dans le cadre de l’OTAN, de l’Organisation des Nations unies (ONU), de l’Union européenne (UE), ou de coalitions de bonne volonté. Ces opérations, moins risquées au plan militaire que les missions de lutte contre le terrorisme, mais qui comportent toujours une part de danger, s’inscrivent dans la continuité pour la Turquie de manifester son attachement à l’OTAN (malgré son spectaculaire – mais peut-être temporaire – rapprochement avec la Russie), son souhait – malgré le piétinement du processus – d’intégrer l’Union européenne, et sa volonté depuis toujours de résoudre les conflits dans un cadre international.

S’agissant de l’OTAN, la Turquie participe à la Mission de soutien déterminé en Afghanistan (qui a succédé le 1er janvier 2015 à la Force internationale d’assistance à la sécurité) avec un « commandement de l’instruction, de l’aide et du conseil » mis en place à Kaboul, et en assurant le fonctionnement de l’Aéroport international Hamid Karzaï. Au Kosovo, où la Force pour le Kosovo est présente depuis 1999, la Turquie fournit une compagnie d’infanterie motorisée, des équipes de liaison et d’observation et des éléments de soutien. Elle participe à l’Opération Gardien de la mer (qui a pris en 2016 la succession de l’Opération Préoccupation active) avec des unités de surface et sous-marines, et des équipes mobiles d’instruction. Elle a effectué, en 2017, des missions dans le cadre du Groupe permanent OTAN de lutte contre les mines et du Groupe maritime permanent OTAN n°2, y apportant sa contribution à la lutte contre l’immigration illégale.

Sous l’égide des Nations unies, elle participe à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL 2 depuis 2006) avec un bâtiment de surface et du personnel intégré dans l’état-major de Naqura. Elle fournit également du personnel au profit de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo, créée en 1999, et à Mission d’assistance des Nations unies en Somalie, créée en 2013.

En ce qui concerne les opérations de l’Union européenne, elle contribue toujours à l’Opération ALTHEA en Bosnie-Herzégovine, créée le 12 juillet 2004, avec une compagnie de manœuvre et des équipes de liaison et d’observation.

S’agissant enfin des opérations conduites dans le cadre de coalitions de bonne volonté, elle a assuré, du 29 juin au 2 novembre 2017, le commandement de la Force opérationnelle combinée 151 de lutte contre la piraterie maritime dans le Golfe d’Aden, les eaux territoriales et au large de la Somalie, en mer d’Oman et dans ses régions contiguës. Elle a fourni du personnel au profit de l’état-major du Commandement des forces maritimes interalliées déployé à Bahreïn.

Ce bilan serait incomplet sans évoquer les initiatives opérationnelles bilatérales. Depuis le 30 septembre 2017, la Force opérationnelle turco-somalienne forme 100 officiers et 45 sous-officiers somaliens à la lutte contre le terrorisme et participe, en parallèle, à la restructuration des forces armées locales. Le Commandement des éléments terrestres implanté au Qatar en 2015 a débuté ses activités opérationnelles à l’issue d’un exercice conjoint mené en 2017. Devenu Commandement interarmées implanté au Qatar au cours de la même année, il poursuit sous ce format ses activités de formation. Enfin, l’Armée de l’air turque a mené en 2017 des opérations humanitaires en déployant, par exemple, un A-400M le 14 octobre en Somalie pour aider les victimes d’une attaque terroriste, le 13 novembre en Irak à la suite d’un tremblement de terre à Suleymaniye, et le 13 décembre au Bangladesh au profit des réfugiés Rohingyas.

La dernière opération à évoquer, qui est la plus importante en termes d’éléments déployés, est le déploiement ininterrompu, depuis le 20 juillet 1974, des forces turques dans la partie Nord de Chypre.

L’année 2018 verra vraisemblablement le maintien de la quasi-totalité de ces opérations, sous la forme actuelle, ou une autre en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme. Le défi qui se pose aujourd’hui au ministère de la Défense nationale, chargé du recrutement au profit de l’Armée turque, est de susciter suffisamment de vocations et de motivations, en termes d’attractivité du métier, pour combler avant un essoufflement des unités opérationnelles les pertes subies lors des dernières purges. Ce défi s’avère particulièrement difficile à relever pour les formations longues et coûteuses comme les pilotes de chasse, aujourd’hui massivement engagés dans les opérations en cours.

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[1] La Turquie considère, au regard de la Résolution 688 du Conseil de sécurité des Nations unies du 5 avril 1991, que le Nord-Irak fait toujours, de jure, partie de l’Irak, mais qu’il est, de facto, une sorte de « zone sans Etat » (Sercan Semih AKUTAY et Davut ATEŞ – Revue de la Faculté de droit de l’Université de Gazi, 2013).
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