ANALYSES

Fin des énergies fossiles et environnement énergétique international : contradiction ou réalisme ?

Interview
21 décembre 2017
Le point de vue de Francis Perrin


L’adoption par l’Assemblée nationale ce 19 décembre d’un texte portant sur la fin de l’exploration et de l’exploitation d’hydrocarbures sur le territoire français pour 2040 revêt une dimension à la fois politique et symbolique, la France souhaitant endosser le rôle de leadership mondial de la croissance verte. Ce volontarisme se heurte pourtant aux réalités d’un environnement international où les énergies fossiles sont et seront encore en amont de la stratégie des acteurs étatiques et des grandes firmes du secteur de l’énergie. L’analyse de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS.

Quels étaient les enjeux de l’adoption de ce texte entérinant la fin de la recherche et l’exploitation des hydrocarbures produits en France à horizon 2040 ?

Il faut replacer ce texte dans un ensemble, le plan d’action sur le changement climatique, qui a été présenté par les autorités françaises et notamment le ministère de la Transition écologique et solidaire en juillet 2017. Ce plan vise à mettre la France en situation de contribuer à la mise en œuvre de l’Accord de Paris issu de la COP 21 qui s’est tenue en France il y a deux ans.

Très clairement, le président Emmanuel Macron, son gouvernement et Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, veulent placer la France en pôle-position parmi les pays qui mettent en œuvre l’Accord de Paris. On parle actuellement du pays comme l’un des leaders de l’économie verte et c’est dans ce cadre qu’est intervenu ce projet de loi, qui vient d’être adopté par le parlement français, visant à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures, pétrole et gaz naturel.

Il y a des enjeux environnementaux et climatiques auxquels s’adossent des enjeux symboliques et politiques. Ils sont également industriels. Il faut montrer que la France possède les capacités lui permettant d’être l’un des leaders de la croissance verte. La France doit jouer un rôle d’exemple et entraîner dans son sillage d’autres pays.

Cependant il faut relativiser le caractère « exemplaire » qui est recherché par deux considérations. Tout d’abord, la France a une production d’hydrocarbures très marginale puisqu’elle ne représente que 1% de sa consommation nationale. Enfin, la production pétrolière française ne représente que 0,02% de la production pétrolière mondiale.

De ce point de vue, il est douteux qu’un pays avec une si faible production de pétrole et de gaz puisse être un exemple par rapport à des dizaines d’autres Etats dans le monde qui sont de grands ou moyens producteurs de pétrole et de gaz naturel. Il est évident que, pour ces pays, les hydrocarbures représentent un enjeu autrement plus important que ce qu’ils représentent pour la France si l’on met de côté notre potentiel en gaz de schiste, qui est sans doute significatif, et le pétrole conventionnel d’Outre-mer avec notamment la découverte en 2011 d’un gisement pétrolier au large de la Guyane française.

N’y a-t-il pas un contraste entre la volonté des décideurs politiques de faire de la fin des hydrocarbures un objectif prioritaire, et une conjoncture économique marquée par une hausse du prix du baril et de la demande et notamment une production mondiale qui devrait augmenter ces prochaines années ?

Il est clair que les énergies fossiles sont encore bien vivantes. Il est donc prématuré de rédiger leur acte de décès. On a souvent tendance à dire que ce sont des énergies du passé mais la réalité est qu’il s’agit d’énergies du passé, du présent et, dans une certaine mesure, de l’avenir également.

Il faut toujours partir de la réalité actuelle : le pétrole, le gaz et le charbon représentent de l’ordre de 85% de la consommation mondiale d’énergie aujourd’hui. Par conséquent, ces sources seront encore là et à un niveau important pour des dizaines d’années. C’est donc une chose d’affirmer des ambitions très élevées dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique, c’en est une autre de penser que l’on peut, dans un horizon de court/moyen terme, passer d’un monde dominé par les énergies fossiles à un monde où ce seraient les énergies renouvelables qui domineraient.

Nous sommes bien dans une période de transition énergétique mais celle-ci a commencé récemment. Elle va prendre du temps et, évidemment, les énergies fossiles joueront un rôle important dans cette transition, en particulier le gaz naturel.

A cet égard, il y a eu la mise en production toute récente de Yamal LNG, un gigantesque projet d’exportation de gaz naturel liquéfié piloté par un consortium composé de la société russe Novatek, du groupe français Total et d’intérêts chinois. Il s’agit d’un projet dont le coût d’investissement est évalué à 27 milliards de dollars et qui va produire du gaz pendant des décennies. Ces derniers jours, un consortium a lancé au Brésil le développement à grande échelle de Libra, un très gros champ pétrolier en mer profonde qui pourra produire plus de 600 000 barils par jour d’ici plusieurs années. Et ce ne sont que deux exemples parmi d’autres.

De nombreux exemples montrent bien qu’au niveau des Etats exportateurs d’hydrocarbures, il s’agit d’impératifs énergétiques, économiques et géopolitiques. Et les compagnies pétrolières et gazières continuent à développer de gros projets parce qu’il y a des marchés. La consommation pétrolière mondiale, qui a diminué en 2008-2009 du fait de la crise économique, a augmenté de manière continue depuis 2010 et ce sera encore le cas en 2017 et en 2018 et au-delà. La consommation mondiale de gaz naturel est elle aussi orientée à la hausse.

Nous sommes toujours dans un monde assoiffé d’énergies fossiles et qui en a encore besoin, même si l’on observe que la consommation de charbon semble marquer le pas. Ces besoins énergétiques croissants, notamment des pays émergents et en développement, feront que la part des combustibles fossiles dans le mix énergétique restera fort importante pendant longtemps même si elle va diminuer. Il n’y donc pas de contradiction entre la volonté politique de lutter contre le changement climatique et la place encore majeure réservée aux énergies fossiles. Il faut prendre en compte les contraintes de calendrier.

Par contre, il faut évidemment, tout en développant les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, accélérer la recherche-développement sur le captage et le stockage du carbone car, dans la mesure où nous savons que nous consommerons des énergies carbonées pour encore pas mal de temps, il faut prioriser ces technologies pour limiter les dégâts.

Le multilatéralisme climatique en matière d’hydrocarbures n’est-il pas voué à l’échec quand des Etats intègrent encore ouvertement les énergies fossiles au sein de leur politique énergétique tout en ouvrant la porte à de nouveau projets d’exploration et d’exploitation ?

Outre le cas de la France qui s’est dotée d’une loi pour interdire l’exploitation d’hydrocarbures à l’horizon 2040, un autre pays a pris des mesures similaires : le Costa Rica. Mais aucun pays qui est un producteur important d’hydrocarbures n’a pris de telles mesures ou n’a annoncé de futures décisions en ce sens.

Par conséquent, il est clair qu’il est parfaitement logique pour ces pays et la communauté internationale de continuer à intégrer les énergies fossiles dans leurs différentes stratégies, parce qu’elles font partie de la réalité du monde de l’énergie et vont encore en faire partie pour pas mal de temps.

N’oublions pas, par ailleurs, que plusieurs pays à travers le monde vont devenir dans les années qui viennent des producteurs et exportateurs d’hydrocarbures. Si l’on prend le continent africain, le Sénégal, la Mauritanie, le Mozambique et la Tanzanie vont devenir de futurs exportateurs de gaz naturel liquéfié. L’Ouganda et le Kenya seront probablement des pays producteurs et exportateurs de pétrole. Aucun de ces Etats n’est prêt à se priver de cette manne au nom de la protection de la planète.

La géopolitique des hydrocarbures continuera donc à jouer un grand rôle. Ce qui importe, c’est de prendre en compte cette réalité tout en luttant contre le changement climatique avec la promotion vigoureuse de l’efficacité énergétique, un développement accéléré de la production d’énergies renouvelables et le développement des technologies de captage et de stockage du carbone.
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