La politique répressive du président Donald Trump sur l’immigration impacte-t-elle les Africains?
La lutte contre l’immigration illégale est l’un des axes principaux de la politique de Donald Trump. La communauté africaine est forcément impactée par ces mesures. Les services fédéraux sont déjà à l’offensive : quelque 200.000 immigrés sont arrêtés et déportés vers leur pays d’origine, mais aussi vers d’autres pays tel que le Salvador. La plupart sont des clandestins et sans papiers mais pas tous. Les communautés immigrées sont sous forte pression et y compris celles issues de l’immigration légale. Ainsi, ceux qui ont des visas d’étudiants ou qui ont déjà leur carte verte les autorisant à travailler deviennent des cibles. Des personnes en situation régulière sont arrêtées voire déportées pour leurs prises de position, notamment vis-à-vis de la Palestine.
Par rapport à d’autres communautés, y a-t-il des spécificités sur la manière dont les Africains sont touchés ?
Rappelons qu’il y a quelque 2 millions d’immigrés africains qui habitent aux États-Unis. Ils viennent plutôt des pays anglophones tels que le Nigeria, le Ghana, le Kenya, etc. Les francophones sont moins nombreux.
Mais la communauté africaine est aussi directement ciblée à travers le « travel ban » : il s’agit d’une interdiction d’entrée aux États-Unis pour tous les ressortissants d’un pays qui a été annoncée par le président Trump au début du mois de juin. Aucun visiteur, aucun homme d’affaires, aucun étudiant d’un pays donné n’est plus accepté par les autorités américaines.
Sur les douze pays concernés par le « travel ban », sept sont africains : la République du Congo, le Tchad, la Guinée équatoriale, l’Érythrée, le Soudan, la Libye et la Somalie [Sept autres pays sont visés par des restrictions dont le Burundi, le Sierra Leone et le Togo, NDLR] . L’inscription de certains pays n’a pas vraiment de sens, par exemple dans le cas de la Guinée équatoriale. Pourquoi ce pays est-il visé ? Il n’y a pas de communauté équato-guinéenne connue aux États-Unis.
Peu de temps après, on a appris que 25 autres pays africains pourraient être ajoutés à cette liste.
A contrario, le président Trump offre un statut de réfugié aux États-Unis à des Sud-Africains blancs. Comment est-ce qu’on peut interpréter cette décision singulière ? Quelles sont les conséquences sur les relations entre les États-Unis et l’Afrique du Sud ?
Dès le début du deuxième mandat de Trump, il y a eu de fortes tensions avec l’Afrique du Sud. On a assisté un peu avec effroi à la réunion qui s’est tenue à la Maison-Blanche dans le Bureau ovale, entre le président de l’Afrique du Sud et le président américain très hostile. Donald Trump a accusé son homologue Cyril Ramaphosa de génocide contre la population blanche de son pays qui a longtemps été dominante, politiquement et économiquement, sous le régime d’oppression qu’était l’apartheid.
Il est difficile de comprendre ce raisonnement mais Trump semble convaincu qu’il y a un génocide contre les blancs en Afrique du Sud. Le président sud-africain avait beau expliquer que la violence dans la société sud-africaine ne vise pas que des blancs et que les noirs sont aussi touchés, le président Trump n’a pas compris.
Les États-Unis ont inauguré un programme d’accueil de réfugiés politiques parmi la population blanche de l’Afrique du Sud. On pourrait se demander si la présence d’un Sud-Africain blanc très influent au sein de l’administration Trump, en l’occurrence Elon Musk, a eu une quelconque influence dans cette décision.
D’un autre côté, les États-Unis sous Trump refusent désormais d’accueillir des réfugiés politiques venant de pays véritablement en conflit, on ne peut expliquer ce choix d’accueillir des Sud-Africains blancs avec tant de publicité ».
Y a-t-il d’autres points de rupture dans la politique américaine envers les pays africains ?
Pendant très longtemps, les États-Unis étaient un acteur incontournable en matière de réponses humanitaires en Afrique, un acteur qui travaille beaucoup pour le développement des pays africains.
On était le donateur le plus important parmi tous les pays développés. Et du jour au lendemain, on a démantelé la structure qui a administré cette assistance, c’est à dire l’agence US AID, qui est quasiment fermée. Donald Trump avait-il le droit de faire cela ? Des procès sont en cours. Reste que ces programmes d’assistance sont arrêtés et ne vont peut-être plus reprendre. Donc les États-Unis seront très peu présents partout où il y a des crises, des défis de développement.
Par ailleurs, nos relations diplomatiques avec l’Afrique vont aussi souffrir sous Trump. Même si ce n’est pas officiel à ce jour, des bruits circulent sur la fermeture d’ambassades américaines sur le continent africain et certainement dans les pays les plus touchés par les crises humanitaires et autres.
Une autre rumeur évoque potentiellement la fermeture complète du bureau pour l’Afrique au sein du département d’État. C’est dire à quel point cette administration est prête à envisager un changement radical de relations avec le continent africain.
Les États-Unis de Donald Trump n’ont-ils plus aucun intérêt à se tourner vers l’Afrique ?
Quelques sujets en Afrique pourraient intéresser le président Trump à travers notamment l’action de Marco Rubio, le chef de la diplomatie américaine, et du conseiller pour l’Afrique M. Massad Boulos. Ils ont négocié une sorte d’accord entre la République démocratique du Congo et le Rwanda [L’accord de paix a été signé le 27 juin à Washington, NDLR]. En fait, pour Trump, l’intérêt porte sur des minerais rares du Congo .
Mais à part cela, les perspectives ne sont pas très prometteuses, que ce soit dans le domaine de l’assistance, de l’intervention humanitaire, dans le domaine diplomatique et politique. Même dans le domaine sécuritaire, on risque de voir une réduction de la présence du commandement américain en Afrique, l’Africom.
La rupture opérée par l’administration Trump à l’égard de l’Afrique est-elle irréversible ?
L’administration Trump est en train de détruire les fondements des relations entre les États-Unis et l’Afrique. Durant les décennies précédentes, des gouvernements républicains ou démocrates ont construit ces relations importantes, évidemment dans l’intérêt des États-Unis. Certes on a fait des erreurs, cette histoire connait des chapitres sombres, par exemple durant la Guerre froide.
Mais ce qui est détruit aujourd’hui ne pourra pas forcément être reconstruit. Même si dans trois ans et demi un autre président arrive à la Maison Blanche, qu’il soit républicain ou démocrate, avec la volonté de revenir en arrière.
D’autres acteurs vont prendre la place des États-Unis, comme la Chine bien sûr mais pas seulement. Il y a la Russie, l’Inde, la Turquie ou d’autres puissances qui cherchent à travailler avec l’Afrique. Les États-Unis, eux, abandonnent tout le travail qui a été fait. Je trouve cela profondément triste.
Propos recueillis par Maya Elboudrari et Philippe Randrianarimanana pour TV5 Monde.