ANALYSES

« Sarkozy privatise la relation franco-allemande »

Presse
5 mars 2012

L’idée d’un "pacte" des conservateurs européens, emmené par Angela Merkel, contre François Hollande a été largement commentée en France, mais aussi en Allemagne. Cette hypothèse est-elle crédible et quelles seront les conséquences sur l’évolution du couple franco-allemand? LeJDD.fr a interrogé Jacques-Pierre Gougeon*, directeur de recherches à l’Iris et spécialiste de l’Allemagne.


Croyez-vous à l’existence de cette "alliance" des conservateurs européens – Allemagne, Italie, Espagne, Angleterre – contre François Hollande?

Je crois que c’est un petit peu surfait. La constitution d’une véritable alliance, j’y crois difficilement. D’abord pour la bonne raison que la relation entre David Cameron et Angela Merkel n’est pas excellente. Ensuite, je pense qu’une partie de la droite française et de la droite allemande a intérêt à faire bouillonner la marmite, en disant que le candidat socialiste est isolé. Mais cela ne correspond pas à la volonté de toute la droite allemande, et d’ailleurs une partie de la CDU [la formation d’Angela Merkel, Ndlr] est contre ce genre d’initiatives.


Doit-on y voir la crainte, notamment de l’Allemagne, du souhait de François Hollande de renégocier le traité européen instaurant le Pacte budgétaire?

Cela joue un rôle, car dans l’esprit allemand, renégocier veut dire tout reprendre à zéro. Une partie de la droite allemande a un problème avec ce concept. Pourtant, on sait que François Hollande voit les choses différemment, en disant qu’il y a un aspect du traité à garder, et un autre – croissance, emploi – à compléter. Mais cette idée de constitution d’une alliance provient du fait que rarement dans l’histoire franco-allemande – et même jamais sous la Ve République – on a eu, de la part du président français sortant, une telle instrumentalisation de la relation franco-allemande. Nicolas Sarkozy privatise la relation avec Angela Merkel. Cela énerve beaucoup outre-Rhin, et même au sein du gouvernement allemand.


«Il y a chez Merkel l’idée qu’avec Nicolas Sarkozy, c’était plus facile»

Du côté d’Angela Merkel, cela participe-t-il d’une stratégie?

Il y a chez elle l’idée qu’avec Nicolas Sarkozy, c’était plus facile. Quand on regarde les conclusions des derniers sommets européens, on se rend compte que 80% des textes adoptés sont les propositions de la diplomatie allemande! Dans le dernier traité intergouvernemental, toutes les demandes allemandes sur la politique budgétaire, le contrôle des déficits et la mise en place de sanctions sont reprises quasiment à 100%.


Le soutien affiché d’Angela Merkel au candidat Sarkozy est-il légitime pour les Allemands?

Pour la plupart, ça va trop loin. Il y a des réactions extrêmement négatives, même au sein de la CDU. Pour eux, l’Allemagne n’a pas à se mêler d’une campagne française. Ces critiques expliquent d’ailleurs le démenti rapide du gouvernement allemand dimanche.


Ce type de soutien est-il du jamais vu outre-Rhin?

Il y a toujours eu des relations de parti à parti, mais pas à ce point là. Il est d’ailleurs intéressant de voir qu’Angela Merkel cherche à tempérer cette affaire. Elle est très pragmatique, elle sent que ça se retourne contre elle, dont elle prend soin désormais de dire que, sur ce sujet, elle intervient au titre de présidente de la CDU et non plus comme chancelière.


«Merkel est pragmatique »

Selon Martine Aubry, Angela Merkel aurait opposé une fin de non recevoir à la demande de rendez-vous de François Hollande. Ce refus est-il bien perçu en Allemagne?

En Allemagne, ça étonne. Y compris du côté de maires CDU de grandes villes, qui pensent qu’elle a tort et qu’elle se doit de recevoir le principal candidat de l’opposition, comme le veut la tradition. Elle a complètement sous-estimé que les divisions au sein de son propre camp. Elle ne pensait pas que ça susciterait autant de réactions. Dans son parti, transformer la cause européenne en cause partisane, ça passe très, très mal. Cela dit, en France, un élément de l’article du Spiegel est passé inaperçu : est écrit notamment qu’Angela Merkel pourrait changer d’avis en mai. Elle est pragmatique. Rien ne dit qu’au lendemain du premier tour, elle ne change pas d’avis.


«Il y a un aspect stratégique dans cette affaire»

Cette "affaire" fait-elle craindre une épreuve de force entre la France et l’Allemagne en cas de victoire de François Hollande?

Non. J’ai même l’impression qu’Angela Merkel en rajoute un petit peu avant les élections [allemandes, en 2013, Ndlr] en se disant que s’il faut renégocier le traité européen – car les Allemands ont intégré le fait qu’ils seraient obligés de faire des concessions en cas de victoire du candidat socialiste – autant partir de haut. Cela la met en position de force. Il y a un aspect stratégique dans cette affaire, on est un peu dans manœuvre. Angela Merkel joue beaucoup sa réélection sur cette image de chancelière qui a défendu les positions allemandes en Europe.


De manière plus générale, assiste-t-on, notamment après la perte du triple A français, à un délitement de la relation franco-allemande, initié par Berlin?

Oui, et la perte du triple A a renforcé cette aspect. Depuis plusieurs années, la France est vécue outre-Rhin comme un pays en recul, à la fois économiquement et politiquement. Non seulement au niveau des dirigeants, mais aussi dans la presse. Le nombre d’articles négatifs sur la France est impressionnant, surtout depuis trois ou quatre ans. Le décrochage économique de la France est souligné très fortement outre-Rhin. Le danger est que la relation avec la France soit banalisée. L’Allemagne se sent redevenir une puissance, économique et diplomatique. La relation avec la France n’est plus qu’un élément parmi d’autres.

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