ANALYSES

La République de Saint-Marin, un modèle diplomatique unique

Tribune
1 décembre 2023
Par Fabien Gibault, enseignant à l’Université de Bologne et de Turin


34 000 habitants, 61,2 kilomètres carrés, l’un des plus petits États du monde. Saint-Marin, la plus ancienne république encore existante, est une nation unique en Europe. Mais ce n’est pas parce que ses dimensions sont réduites que le pays ne compte pas au niveau international : la sérénissime République de Saint-Marin est un exemple intéressant aussi bien du point de vue politique que diplomatique.

 

Un format de république séculaire

Fondée en 301 par le saint dont le pays porte le nom, la République de Saint-Marin se base sur un seul principe : la liberté, que l’on doit comprendre comme une indépendance des forces qui l’entourent, à savoir le pape et l’empereur de Byzance, au moment de sa création. La devise du pays illustre ce concept central, résumé en un seul mot présent sur le drapeau : Libertas. Un drapeau également composé de deux bandes horizontales bleues et blanches. Le blanc (la liberté) au-dessus du bleu (le ciel) : rien n’est au-dessus de cette liberté de choix.

La formation de ce pays est singulière, son schéma institutionnel aussi. Saint-Marin possède deux chefs d’État, deux capitaines-régents, qui travaillent de manière collégiale et qui changent tous les six mois. Un système qui existe depuis le XIIIe siècle et qui a pour but d’éviter de donner le pouvoir à une seule personne, au contraire de toutes les seigneuries (Parme, Modène, Mantoue…) qui entouraient le petit État durant les siècles passés. Ce format est toujours appliqué aujourd’hui et semble correspondre parfaitement aux attentes de la population.

Autre particularité de cette nation : au cours du XXe siècle, le pays n’a pas connu de gouvernement de droite (sauf la période fasciste dont nous parlerons plus bas). Un cas unique en Europe que l’on peut expliquer par une tradition de la collectivité pour les affaires publiques. Le pays a donc oscillé entre des gouvernements de gauche et du centre.

 

Une stratégie diplomatique au service de la liberté… et de la survie

La République de Saint-Marin est une enclave sans avantages géographiques, pas de ressources naturelles particulières, aucune embouchure sur la mer. Ce n’est pas non plus un paradis fiscal à la hauteur des micro-États que nous pouvons trouver dans le monde : bien que certains produits soient moins chers (comme l’essence), la différence de prix est contenue en raison d’un accord avec l’Italie pour éviter une concurrence déloyale. Cet accord avec le voisin transalpin est logique pour un pays totalement dépendant des ressources extérieures et qui a permis à Saint-Marin de pouvoir se développer. Depuis les années 50, une collaboration plus étroite avec l’Italie a été favorisée et la petite république a signé des traités importants, notamment sur la libre circulation des travailleurs des deux pays.

D’un point de vue international, la République de Saint-Marin n’a pas de leviers stratégiques à proposer. C’est un fait, elle se doit d’être présente sur la scène internationale si elle veut exister, au sens propre du terme. Ses interventions sont une manière d’affirmer une position (qui n’est pas toujours celle de l’Italie ou de l’Union européenne) qui défend les intérêts de la petite nation et justifie son existence.

Cette notion de survie à tout prix se retrouve par ailleurs dans l’histoire du pays, surtout lors de deux événements cruciaux. Le premier lors de la campagne d’Italie napoléonienne, où l’empereur français proposa à Saint-Marin d’obtenir un prolongement de son territoire jusqu’à la mer en échange d’une allégeance à l’Empire. Une idée séduisante, mais la République saint-marinaise refusa, de peur de perdre son indépendance décisionnelle. Un choix stratégique qui a eu une importance notable par la suite : cette prise de distance de la France évita à Saint-Marin de finir à la table des vaincus lors du congrès de Vienne et d’éviter une dissolution évidente.

Le second est un choix politique stratégique atypique lors de l’entre-deux-guerres. L’arrivée du fascisme au pouvoir à Rome est perçue comme une menace pour le petit État : Benito Mussolini cherche de nouveaux territoires à prendre, même symboliques, de manière à renforcer son autorité. La République de Saint-Marin anticipe la potentielle attaque italienne et place un gouvernement fasciste à la tête du pays. Un gouvernement surtout symbolique, mais qui évite l’annexion du territoire à l’Italie. Une décision très certainement contestable, mais qui a eu le mérite d’être efficace en ce qui concerne l’objectif premier : conserver son indépendance et ne pas être absorbé.

 

De bons rapports avec l’Union européenne et l’Italie

La République de Saint-Marin ne souhaite en aucun cas perdre son autonomie stratégique, tant au niveau institutionnel que diplomatique. Une entrée dans l’Union européenne serait très certainement en désaccord avec cet adage, l’économie du pays n’ayant qu’un poids minime sur le continent européen. L’idée d’adhérer à l’Union a tout de même fait son chemin, mais cette possibilité se heurte à une autre difficulté, celle des exigences de Bruxelles, difficile à réaliser pour un État avec des moyens aussi limités. Pour l’instant, les accords avec l’UE sont plus que satisfaisants pour les deux parties : sans être dans l’Union européenne, Saint-Marin est dans l’espace monétaire et Schengen, de quoi rendre la vie des Saint-Marinais plus simple. L’adhésion pourrait être la prochaine étape, si elle est réalisable, mais un autre événement a refroidi les désirs de rapprochement de Bruxelles : la crise des vaccins lors de l’épidémie de Covid-19. En effet, lors de la pandémie, l’Union européenne et l’Italie n’ont pas fourni à Saint-Marin sa part de vaccins. Quatre mois après la diffusion des sérums, la République n’avait toujours rien reçu. Elle décida alors de commander le vaccin russe, Sputnik. Une nécessité plus qu’un choix, mais qui montre, une fois de plus, que la République de Saint-Marin décide pour elle, sans aucune possibilité de lui imposer des choix.

Un événement qui en rappelle un autre, une tension (même si relative) lors de l’après-guerre. Saint-Marin est alors guidée par une coalition socialo-communiste dans les années 1950, de quoi alarmer le voisin italien qui craignait d’avoir un satellite soviétique au cœur de son territoire, en pleine guerre froide. Mais une fois de plus, Saint-Marin conserva son indépendance politique, sans rapports réels avec Moscou. Les deux États transalpins sont restés en bons termes, démontrant une fois de plus que la République de Saint-Marin ne rend de compte à personne, pas même les grandes puissances.

Cette totale liberté de prise de position se retrouve encore aujourd’hui : le pays entretient de très bons rapports avec les États-Unis et avec la Chine, ce qui n’empêche pas la sérénissime République de critiquer ses deux partenaires, en ce qui concerne la peine de mort par exemple. Saint-Marin, malgré sa taille, sait se faire entendre.

En ce qui concerne les conflits internationaux, la République de Saint-Marin se positionne généralement de manière neutre, répudiant la guerre et les sanctions internationales. Mais il existe aussi des exceptions à ces principes. C’est le cas pour le conflit ukrainien, où Saint-Marin a pris position à la faveur de l’Ukraine et des sanctions européennes. Ce choix peut s’expliquer pour deux raisons. La première est de rester en bons termes avec l’Union européenne, un partenaire essentiel. Le second est la justification de la Fédération de Russie pour son attaque dans le Donbass : la présence d’une grande communauté russe (et russophone) sur le territoire ukrainien justifierait son annexion. Saint-Marin est un pays italophone, avec plus de 6 000 Italiens résidents sur son territoire. Si l’on suit la logique du gouvernement russe, la petite république n’aurait pas lieu d’exister et devrait être englobée à l’Italie. Une situation qui impose au gouvernement saint-marinais de prendre une position claire qui défend l’intégrité ukrainienne et, indirectement, la sienne.

 

Un modèle pour la diplomatie d’autres pays ?

Bien entendu le schéma stratégique et diplomatique d’un pays n’est jamais parfaitement applicable pour une autre nation, les contextes étant toujours très différents. Mais il est intéressant de garder en tête ce format unique qui a permis à l’un des plus petits États du monde, sans armée ni ressources naturelles, de survivre sans jamais avoir de variations pouvant vraiment mettre en péril son existence.

Le pilier central de la République de Saint-Marin, à savoir son indépendance décisionnelle, l’a parfois obligé à des concessions difficiles, mais que le pays a toujours compensées par un certain pragmatisme, une cohérence et une stabilité atavique. Aucune expansion, mais aussi aucune guerre : le respect des frontières et des accords avec les nations tierces, ainsi qu’un dialogue constant avec les principaux partenaires du monde, montre, dans le cas de Saint-Marin, qu’il est possible d’éviter les conflits sans pour autant renoncer à des valeurs fondamentales. Cette capacité à conserver son indépendance permet à Saint-Marin d’avoir une totale liberté dans ses choix et ses positions envers les autres pays.

Mais l’histoire de Saint-Marin est sûrement trop singulière pour être appliquée sur d’autres pays et d’autres tensions mondiales. Il en reste tout du moins un modèle ou une source d’inspiration. La République de Saint-Marin, par sa cohérence historique et son absence de conflits d’intérêts, aurait certainement un rôle à jouer plus important dans le cadre de certaines médiations internationales.
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