ANALYSES

Vers une nouvelle crise migratoire ?

Tribune
23 juin 2023


L’agitation qui gagne à nouveau l’opinion européenne, face à ce qui est ressenti comme une nouvelle poussée aux frontières, masque une réalité plus profonde : la croissance régulière du nombre de migrants qui a augmenté de 62% dans le monde depuis 2000 (contre 27% pour la population mondiale). Il n’existe donc pas à proprement parler de « particularité européenne » et la pression migratoire observée aux frontières n’est en réalité que la déclinaison à l’échelle de l’Union européenne (UE) d’un mouvement plus général. Le fait qu’elle s’accroisse depuis quelques mois attise cependant les tensions.

Les entrées sous toutes leurs formes retrouvent en effet des niveaux élevés proches de ceux des années précédant la pandémie. Frontex a signalé 330.000 entrées irrégulières en 2022 (+64% par rapport à 2021) au plus haut depuis 2016 tandis que les premières demandes d’asile avoisinent le million. Cette reprise s’accompagne en outre quasi-mécaniquement de nouveaux drames en Méditerranée : 1289 victimes ont déjà été dénombrées depuis le début de l’année (alors même que le bilan complet du naufrage survenu au large de la Grèce n’est toujours pas connu) confirmant une tendance sensible depuis deux ans. Cette hausse des flux est alimentée très majoritairement par la situation qui prévaut en Syrie, en Afghanistan et, dans une moindre mesure, en Tunisie, apportant une nouvelle fois la démonstration que les événements politiques (guerre, dictature etc) jouent un rôle au moins aussi grand dans les mouvements migratoires que les difficultés économiques, les deux étant d’ailleurs souvent liés.

Dans un tel contexte, on peut naturellement s’interroger sur l’impact des mesures décidées par l’UE. L’activation du Fonds d’urgence pour l’Afrique affiche l’ambition de s’attaquer aux causes des départs : le fonds finance dorénavant 251 programmes pour un montant total de près de 4,9 milliards d’euros répartis entre trois régions : Sahel et lac Tchad (2,1 milliards d’euros), Corne de l’Afrique (1,8 milliard d’euros), Afrique du Nord (907 millions d’euros). Nous ne disposons pas encore d’éléments d’évaluation permettant de juger de la pertinence des choix effectués dans ce cadre. La montée en charge de Frontex, d’autre part, est indiscutable et se traduit notamment et malgré les polémiques par des alertes et des interventions de plus en plus nombreuses pour prévenir les naufrages et venir au secours des victimes. Enfin, un accord vient d’être trouvé après plusieurs années de discussions infructueuses sur un Pacte asile migration (qui ne pourra cependant entrer en vigueur que si un accord est trouvé dans les prochaines semaines avec le Parlement européen).

Le nouveau Pacte propose de remédier aux nombreuses failles de la politique d’asile européenne, en renforçant les contrôles aux frontières, notamment pour dissuader les volontaires au départ, et en organisant la gestion de l’asile en particulier lors de situations de crise. Les nouvelles modalités de contrôle aux frontières devront ainsi permettre de filtrer les demandes d’asile pour faciliter le renvoi vers des pays sûrs des demandeurs maintenus sur place et ensuite déboutés. Ainsi, grâce notamment à l’extension du registre de données biométriques Eurodac, les demandes manifestement irrecevables devraient être traitées dans un délai de cinq jours tandis que celles ayant, au vu de la jurisprudence, que peu de chances d’aboutir devraient être examinées en priorité en douze semaines maximum. L’idée de ne pas imposer aux États frontaliers des « responsabilités disproportionnées » a par ailleurs inspiré aux signataires du Pacte un mécanisme de relocalisation d’une partie des demandeurs (30 000 par an) qui déposent auprès d’eux leur première demande, assorti d’un quota de répartition entre États membres ou, en cas du refus d’un de ceux-ci, d’une obligation équivalente de prise en charge financière (fixée à 20 000€ par migrant).

La volonté d’harmoniser les règles et les pratiques en matière d’asile, mais aussi d’accueil, de séjour et de circulation a donné lieu à de nouveaux aménagements des dispositifs existants. L’ensemble produira-t-il des résultats ? D’un point de vue procédural, sûrement puisqu’il devrait faciliter les contrôles et accélérer les décisions. En revanche, du point de vue des flux, les choses semblent beaucoup moins certaines. La dissuasion n’aboutit le plus souvent qu’à déplacer les flux des accès maritimes vers les accès terrestres ou inversement et à décupler l’inventivité des trafiquants comme la nécessité de recourir à ceux-ci. On l’a vu, les processus à l’origine de ces mouvements de population sont profonds et puissants et rien ne laisse penser qu’ils pourraient s’affaiblir dans un contexte international de plus en plus tendu. Il est trop tôt en revanche pour prédire une nouvelle crise migratoire à l’égale de celle du mi-temps des années 2010. Le plus logique est que le poids des réalités, c’est-à-dire des inégalités, de ce monde continue à s’exercer de manière un peu plus pressante chaque année, mais, sauf crise majeure, sans entraîner de débordements massifs.

Enfin, le Pacte laisse de côté la question des secours en mer au moment même où l’Agence internationale des migrations indique que plus de 27 000 personnes, dont 1 000 enfants, sont mortes ou ont disparu en Méditerranée depuis 2014. L’argument de l’appel d’air ne tient pourtant pas face au devoir absolu de protéger les vies humaines et l’on peut former le vœu que le changement de direction à la tête de Frontex conduise celle-ci à mettre fin aux pratiques illégales de refoulement dénoncées par de nombreuses ONG.

Plus globalement, il serait souhaitable que l’UE, comme les États et les responsables politiques, prenne conscience que le phénomène migratoire ne peut être empêché et que sa régulation doit tenir compte de son ampleur comme de ses déterminants. Mais l’attitude des pays les plus riches, s’inquiétant du risque de voir croître le nombre de réfugiés climatiques tout en mégotant dans le cadre de la COP pour abonder le fonds destiné à aider le Sud à affronter le réchauffement climatique, en dit long sur leur hiérarchie des priorités….

 
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