ANALYSES

Éthiopie : une fragilité encore perceptible

Tribune
17 avril 2023
Par Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines et enseignant à IRIS Sup’


L’Éthiopie vient de célébrer Fasika, la Pâque orthodoxe. Cette fête religieuse revêt une grande importance pour une grande partie de la population. Malgré cet évènement et l’accord de cessation des hostilités du 2 novembre 2022, d’autres nuages se présentent dans le ciel éthiopien.

L’accord a permis de mettre fin à deux années de guerre entre la région Tegray et le pouvoir fédéral. Il conserve une dynamique positive. Les échéances qui avaient été fixées à cette occasion sont progressivement mises en œuvre. L’armement lourd des Forces de défense tegréennes (TDF) a été réintégré et les forces de défense nationale éthiopiennes (FDNE) ont repris la fonction sécuritaire de défense de la région. Le TPLF (Front de libération du Peuple du Tegray) est sorti de la liste des organisations terroristes et l’Administration intérimaire a pris ses fonctions. Elle reste entre les mains du TPLF et il n’y a que peu de renouvellement chez les cadres en charge du redressement de la région : Getachew Reda, Tadesse Woreda Tesfaye et Gebre Tsadkan Gebre Tensae sont tous issus de ce parti dont la responsabilité dans la conduite de la guerre est essentielle. Seul Gebre Michael Debretsion, le dirigeant tegréen, a été écarté du gouvernement intérimaire tout en restant président du TPLF. La région Tegray est (re) devenue une des onze régions d’Éthiopie aux ordres d’Addis Abeba, du pouvoir fédéral. Il faudra de longues années pour effacer les séquelles importantes en nombre de morts [1], de blessés et de destructions d’institutions vitales pour la vie quotidienne des Tegréens. La réintégration de militaires tegréens qui ont combattu contre les FDNE va commencer et parallèlement les militaires tegréens qui avaient été emprisonnés dès le début de la guerre sont libérés et choisiront entre la vie civile ou la réintégration dans l’armée.

Le Premier ministre Abiy Ahmed a décidé de s’attaquer à la prolifération des milices et des forces spéciales des différentes régions. En avril 2022, nous écrivions [2] qu’« une réforme du secteur de la sécurité devra être initiée. Comme le proposaient certains partis politiques lors des élections de juin 2021, il faut mettre fin à toutes les milices, forces spéciales et polices régionales. L’armée et la police doivent être fédérales. Cette évolution sera longue, car elle devra s’appuyer sur un retour en la confiance au pouvoir central ». La décision du gouvernement a été très mal acceptée notamment en région amhara où de nombreuses manifestations accompagnées de violences ont eu lieu dans certaines villes. Le calme semblait revenu au début de ce weekend. Les FDNE se sont déployées depuis plusieurs jours afin de faire appliquer les décisions fédérales. Les forces spéciales, les milices auront vocation à être intégrées dans les structures fédérales ou régionales autorisées. Elles avaient été créées au sein de certaines régions pour renforcer la sécurité des citoyens, et ce sans aucune légitimité. Elles sont loin d’avoir la valeur opérationnelle des TDF, mais elles représentent une menace pour l’unité du pays et Abiy Ahmed a profité de la dynamique de l’accord de cessation des hostilités avec le Tegray pour restructurer l’ensemble des forces de sécurité et de défense. Cette mesure annoncée très rapidement a surpris un grand nombre d’acteurs et semble peu préparée. Il faudra en effet coordonner l’ensemble des mesures, créer des unités, intégrer des personnels aux qualifications disparates, adapter le fonctionnement, les missions et le faire en parallèle de la réintégration des Tegréens. Trop rapide et peu expliquée, cette mesure a été mal acceptée en région amhara où les problèmes de sécurité restent un sujet très sensible [3].

La réforme du secteur de la sécurité est une opération à long terme et qui demande une appropriation locale importante. Le processus de désarmement, démobilisation et réintégration est un élément majeur pour atténuer les effets d’une guerre. Dans le cas de l’Éthiopie, les FDNE n’ont pas rempli totalement leurs missions face aux TDF et n’ont dû à de nombreuses reprises leurs succès qu’à l’aide importante des forces érythréennes et des milices et forces spéciales amhara et afar. Il faudra plusieurs années pour retrouver un bon niveau opérationnel aussi bien dans les forces armées que les forces de police. La mesure de dissolution des unités paramilitaires est totalement logique, mais annoncée dans un contexte difficile. Elle s’ajoute aux récents problèmes avec l’Église orthodoxe (tentative de séparation de la branche oromo), à une inflation des produits alimentaires qui reste à un niveau très élevé (40%) et une économie qui ne répond pas aux besoins de la population. Les coupures d’eau, d’électricité et de l’accès à internet continuent dans la capitale. Les critiques à l’encontre du gouvernement commencent à se faire entendre et nous sommes loin de l’euphorie de l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed en 2018. L’unité éthiopienne est loin d’être acquise et demandera encore de longs et patients efforts.

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[1] Certaines analyses dont celle de l’Union africaine avancent le nombre de 600 000 tués pour ce conflit.

[2] Voir mon précédent article sur iris-france.org :L’Ukraine efface l’Éthiopie, et pourtant !

[3] Le territoire du Wolkait qui fait partie du Tegray est revendiqué par les Amhara qui l’ont envahi depuis le début de la guerre en novembre 2020. Cette question n’étant pas résolue, de nombreux Amhara estiment qu’il n’est pas prudent de désarmer face au TDF qui ne sont pas encore totalement dissoutes.
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