ANALYSES

Industrie des semi-conducteurs : une compétition technologique toujours très active entre la Chine et les États-Unis

Tribune
16 janvier 2023
Par Estelle Prin, créatrice de l’Observatoire des semi-conducteurs


 

Les deux premières économies mondiales continuent de s’affronter technologiquement dans un secteur industriel stratégique : celui des semi-conducteurs.

Ces minuscules composants électroniques de la taille du nanomètre sont utilisés à la fois dans les smartphones, les ordinateurs portables, les voitures électriques mais également pour faire fonctionner des drones, lancer des missiles ou faire tourner des supercalculateurs. Longtemps les meilleures entreprises du secteur concentraient leurs productions à Taïwan, en Chine ou en Corée du Sud. La rivalité Chine-États-Unis, les tensions géopolitiques en Asie et la pandémie de Covid-19 ont obligé les acteurs industriels à revoir entièrement leur stratégie de développement et d’implantation mondiale. Trop de risques géopolitiques pèsent maintenant sur cette industrie ultra-stratégique.

Parallèlement, les États-Unis ont décidé de mettre fin aux transferts de technologie qui ont longtemps prévalu entre des sociétés américaines spécialisées dans la conception de semi-conducteurs (le design) et des entreprises chinoises qui se chargeaient de fabriquer les semi-conducteurs en grand nombre (les Fabs) pour leur industrie très gourmande en composants électroniques. Cette répartition des rôles dans la chaine mondiale d’approvisionnement des semi-conducteurs est devenue caduque. Une course de vitesse se joue maintenant entre la Chine et les États-Unis. Les deux puissances cherchent à augmenter leurs capacités de production en semi-conducteurs et à garantir à leur économie domestique un accès suffisant à ces composants électroniques. La Chine a importé en 2021 en valeur plus de semi-conducteurs que de pétrole.

Au milieu des années 2010, le président Xi Jinping a décidé d’investir des sommes considérables dans l’industrie des semi-conducteurs dans le cadre du plan Chine 2025. Cette industrie a enregistré des gains importants pour les semi-conducteurs dits matures (au-dessus de 14 nanomètres). Les fonderies chinoises ont réalisé des ventes record en 2021, poussées à l’époque par une demande mondiale en hausse et un phénomène de pénurie marqué. Cependant, l’essentiel de cette croissance se situe sur le créneau des semi-conducteurs les moins avancés. Les investissements chinois en recherche et développement n’ont pas permis, pour le moment, un rattrapage technologique des entreprises chinoises sur les puces avancées haut de gamme (de moins de 7 nanomètres). La question aujourd’hui pour les autorités chinoises est de déterminer comment réorienter les investissements pour améliorer les performances de l’industrie chinoise dans les puces haut de gamme sans l’apport des entreprises de design américaines. Le risque est pour la Chine de souffrir à son tour d’une pénurie des semi-conducteurs indispensables au développement de l’IA ou des supercalculateurs.

Côté américain, la politique de sanctions contre le secteur chinois de la high-tech a débuté sous la présidence Trump avec l’interdiction faite à Huawei d’utiliser le logiciel Android de Google dans ses produits. Dans un second temps, tout équipement de télécommunication fabriqué par Huawei fut interdit aux États-Unis et la Maison-Blanche a appelé ensuite ses alliés à en faire de même. Les sanctions les plus dures sont intervenues récemment sous l’administration Biden. Le 7 octobre dernier, le Département du Commerce américain a publié une nouvelle réglementation qui restreint encore plus l’exportation de la conception des semi-conducteurs réalisée par des sociétés américaines comme Intel ou AMD. Le gouvernement américain demande aussi à l’entreprise néerlandaise, ASML de ne plus exporter en Chine certaines de ses machines qui permettent de graver les semi-conducteurs les plus petits et les complexes au monde. ASML détient un monopole de fabrication de ces équipements hautement sophistiqués. D’abord réticents, ASML et le gouvernement néerlandais semblent vouloir maintenant se plier à cette injonction au risque sinon de tomber eux-mêmes sous le coup de sanctions américaines ou de se voir interdire le marché américain.

Beaucoup de spécialistes des semi-conducteurs sont d’accord : cette fois-ci, les mesures américaines auront un impact significatif sur les entreprises chinoises du secteur. Le leader Xi Jinping appelle plus que jamais à développer une politique d’autosuffisance industrielle en Chine. Le gouvernement chinois a décidé récemment de permettre aux plus grandes sociétés chinoises de semi-conducteurs de lever des fonds supplémentaires sur les marchés financiers asiatiques. Ces sommes doivent servir à l’ouverture de nouvelles usines de fabrication mais également à alimenter les budgets recherche-développement. Le point faible de l’industrie chinoise est de ne pas être en mesure de concevoir et de produire des semi-conducteurs en dessous de 12 nanomètres. En tout cas pour le moment. Pour combler l’écart technologique actuel, il faut investir plusieurs dizaines de milliards de dollars et former des ingénieurs spécialisés hautement qualifiés ce qui ne se fait pas en un jour. Les dirigeants de l’entreprise TSMC (Taïwan Semiconductor Manufacturing Co), la première productrice de semi-conducteurs très avancés au monde, le savent parfaitement.

Quand le gouvernement américain a décidé de relocaliser une partie de la production de semi-conducteurs aux États-Unis, il a appelé les dirigeants de TSMC. Une évidence à la fois technologique et géopolitique. Grâce au Chips and Science Act voté par le Congrès américain au mois d’août, l’administration Biden peut octroyer des aides financières à des entreprises américaines, certes, mais aussi à des sociétés non-américaines qui décideraient de s’implanter sur le territoire américain. Le tout à une condition, que la société bénéficiaire des subventions américaines n’ait pas comme projet d’investir à l’avenir dans de nouvelles usines de semi-conducteurs « en Chine ou dans tout autre pays étranger préoccupant ».

Profitant de cette opportunité, l’entreprise taïwanaise TSMC a décidé de construire deux usines de fabrication dans l’Arizona et d’investir 40 milliards de dollars sur place. La première Fab devrait produire des semi-conducteurs de 5 nanomètres à partir de 2024. La bonne avancée de sa construction a donné l’occasion à Joe Biden de venir fêter l’évènement dans l’Arizona au côté de la fine fleur de l’industrie taiwanaise des semi-conducteurs et des donneurs d’ordre. Plus discrètement, TSMC a également annoncé la construction d’une nouvelle usine à Taïwan pour fabriquer les plus petits semi-conducteurs au monde, ceux d’un nanomètre. Une annonce faite pour rassurer les Taïwanais qui s’inquiètent de voir TSMC mener cette politique de diversification alors que la pression militaire chinoise s’est accrue sur l’île depuis l’été dernier. Après une visite de la présidente démocrate de la chambre des représentants américaine Nancy Pelosi à Taïwan, l’Armée Populaire de Libération (APL) a mené des exercices militaires dans la zone du détroit de Taïwan du 4 au 8 août dernier. Une manière pour Xi Jinping d’envoyer un message de grande fermeté à Taipei et à Washington.

 

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