ANALYSES

La politique « zéro Covid » de Pékin menace-t-elle le régime ?

Interview
28 novembre 2022
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Ce dimanche 27 novembre, des centaines de Chinois sont descendus dans les rues pour protester contre la politique « zéro Covid » du gouvernement. Face à la restriction des libertés, les manifestants s’opposent à l’autoritarisme de Xi Jinping, reconduit le 23 octobre dernier comme secrétaire général du Parti communiste chinois pour cinq ans. Quelle est l’ampleur de ce mouvement de contestation ? Peut-il menacer le régime ? Quel est le lien entre cette contestation et la situation économique du pays ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Asie-Pacifique.

Ce dimanche, des manifestations contre le confinement ont éclaté dans plusieurs villes chinoises. Quelle est l’ampleur de cette contestation et quelles sont leurs revendications ?

Les manifestations de dimanche, dans plusieurs grandes villes, notamment Shanghai et Pékin, marquent une évolution dans la protestation face aux mesures zéro Covid du gouvernement chinois. Depuis plusieurs jours, les mouvements s’étaient multipliés, et depuis plusieurs semaines – et même des mois dans certains cas – la lassitude liée aux confinements à répétition a provoqué des tensions. Mais les manifestants ont franchi un palier, d’abord de par l’ampleur du mouvement, ensuite en raison des slogans entendus sur certains campus universitaires, appelant Xi Jinping à la démission. Le président chinois est ainsi rendu responsable d’une politique sanitaire très restrictive qui n’est plus acceptée désormais par une grande partie de la population. Il ne faut pas nécessairement y voir une volonté de changer les institutions et le régime politique, car les contestations sont nombreuses en Chine sur des sujets précis liés à l’emploi, à l’environnement ou aux questions de corruption, mais il est intéressant de voir que dans ce cas précis, les manifestants réclament un changement profond, et en particulier la tête de leur dirigeant récemment reconduit dans ses fonctions. S’il est difficile d’en évaluer la portée, ce mouvement semble très important en particulier sur les campus universitaires, et il pourrait même s’étendre dans les prochains jours, tant il sera difficile aux autorités d’y répondre par la répression.

En quoi consiste la politique « zéro Covid » menée par Pékin ? N’est-elle pas le reflet du système autoritaire chinois ? Si oui, ces manifestations peuvent-elles également menacer le régime ?

Cette politique « zéro Covid », dans laquelle la Chine s’est engagée dès le début de la pandémie, consiste à isoler tous les cas relevés – à l’aide de tests très fréquents – et au besoin des quartiers et même des villes entières. Si la Chine a rapidement répondu à la pandémie, et lancé une vaste campagne de vaccination, l’obsession des premiers temps portée sur l’impératif de limiter le nombre de cas ne fut jamais remise en cause, là où une acceptation de la pandémie a été constatée à peu près partout dans le monde, une fois que le nombre de vaccinés fut suffisamment important, et les risques de mortalité fortement réduits en conséquence. Cette stratégie chinoise a d’abord porté ses fruits, puisque la Chine s’est targuée de résultats plus satisfaisants que les États-Unis ou les pays européens par exemple. Et plusieurs pays, notamment en Asie, ont adopté des mesures semblables. Mais au bout de deux ans et demi, Pékin reste campé sur une stratégie que tous les autres pays ont abandonnée au fur et à mesure. Ainsi, les procédures d’entrée et de sortie du territoire chinois restent très compliquées, et le confinement se conjugue encore au présent pour de nombreux Chinois qui se voient, pendant des jours et parfois des semaines, bloqués chez eux.

Ces mesures ne sont pas nécessairement associées à la nature du régime chinois, puisqu’on a noté des politiques semblables dans des pays démocratiques, et rappelons qu’en France, la population fut dans son intégralité confinée et contrainte de remplir des documents justifiant toutes les sorties. En revanche, la nature du régime chinois complique la sortie de cet état d’exception, puisqu’elle supposerait une remise en cause de cette politique. En d’autres termes, le régime s’est trop vanté des mérites de sa stratégie « zéro Covid » pour pouvoir facilement tourner la page. Dès lors, les manifestants reprochent à leurs dirigeants de ne pas être à l’écoute de leurs exigences, et d’être déconnectés de la réalité de ce qu’est devenu le Covid-19. Il est à ce titre étonnant que Xi Jinping n’ait pas profité du XXe Congrès du PCC, il y a quelques semaines, pour annoncer une levée, même partielle, des mesures. Au lieu de cela, le régime a insisté sur les mérites de cette stratégie, et a choisi de maintenir le cap. C’est une grave erreur d’appréciation de ce qu’attend la population, comme l’indique clairement le mouvement auquel nous assistons et qui était à bien des égards prévisible. La seule inconnue est son ampleur et ses conséquences.

Quel est le lien entre cette contestation et la situation économique du pays ?

La Chine est en effet aujourd’hui confrontée à de nombreux défis, notamment un ralentissement de sa croissance économique qui se traduit par des conséquences sociales. On parle ainsi d’un développement très inquiétant du chômage des jeunes, en plus d’un ralentissement sensible de l’activité. La lassitude à l’égard de la politique zéro Covid vient donc s’ajouter à une série de problèmes qui fragilisent la légitimité de l’État parti, garant de la bonne santé de l’économie.

Le gouvernement doit se montrer à l’écoute, et donc faire exactement l’inverse de ce qui fut communiqué à l’issue du XXe Congrès du PCC.

 
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