ANALYSES

Report du Conseil des ministres franco-allemand : symbole de tensions entre Paris et Berlin ?

Interview
22 octobre 2022
Le point de vue de Jacques-Pierre Gougeon


Mercredi 19 octobre le Conseil des ministres franco-allemand qui devait se tenir le 26 octobre à Fontainebleau a été reporté. Bien que des raisons « logistiques » soient évoquées par Berlin, ce report intervient sur fond de désaccords entre Français et Allemands autour de plusieurs sujets cruciaux. Comment interpréter ce report ? Quel est son impact sur la relation entre les deux pays ? Comment renouer le couple franco-allemand ? Le point avec Jacques-Pierre Gougeon, professeur des universités, directeur de recherche à l’IRIS où il dirige l’observatoire sur l’Allemagne. Il vient de co-diriger La Revue internationale et stratégique n°127 sur le thème « (Re)penser la relation franco-allemande ».

Le Conseil des ministres franco-allemand prévu le 26 octobre vient d’être reporté. Comment interprétez-vous cette décision ?

C’est un très mauvais signe politique pour la relation franco-allemande et plus généralement pour l’Union européenne dont certains membres, Pologne et pays baltes en tête, contestent de plus en plus le leadership franco-allemand et lui reproche d’avoir été, pour des raisons différentes d’ailleurs, trop proche de la Russie dans un passé récent. Rappelons que le Conseil des ministres franco-allemand a été créé en 2003 par Jacques Chirac et Gerhard Schröder pour les 40 ans du traité de l’Élysée. C’est l’occasion pour les différents ministres de faire le point avec leurs homologues sur divers sujets, en présence du président de la République et du chancelier allemand. Le Conseil des ministres franco-allemand a donc une dimension politique très forte. Il faut reconnaître que c’est une machine un peu lourde.

Ce report est tout à fait dommageable dans la mesure où Olaf Scholz vient d’arriver au pouvoir et qu’Emmanuel Macron vient d’être réélu dans ses fonctions. Après le départ d’Angela Merkel, nous sommes au début d’un cycle qui commence mal avec des conséquences qui vont au-delà de la simple relation franco-allemande. En effet, le couple franco-allemand a actuellement un problème de légitimité, voire de crédibilité dans certains cas, ce qui interroge sur sa capacité à faire bouger l’Europe et pose la question de son rôle historiquement structurant au sein de l’Union européenne.

Montrer publiquement de telles divergences a un fort impact politique, surtout quand elles s’articulent autour de deux problématiques majeures dans ce contexte de guerre en Ukraine, c’est-à-dire la défense et l’énergie.

Ce Conseil des ministres devait en effet être consacré à la défense. Or, plusieurs projets franco-allemands patinent et n’avancent pas (avion du futur, modernisation des chars). Les mésententes entre les industriels Dassault, Airbus et Rheinmetall sont devenues un vrai handicap. Le projet de bouclier anti-missiles conduit par l’Allemagne au sein d’un groupe de 14 pays, sans la France, renforce cet éloignement. L’autre point de divergence concerne le plafonnement du prix du gaz : réclamé par la France, l’Allemagne s’y oppose aux côtés d’autres pays européens. Un accord franco-allemand sur cette question aurait sûrement permis de convaincre les pays réticents qui restent minoritaires. De même, l’opposition de la France au projet de gazoduc reliant l’Espagne à la l’Allemagne n’est pas sans poser problème.

Selon vous, quel sera l’impact de ce report sur les relations franco-allemandes ?

On peut s’attendre à un impact négatif à plusieurs niveaux : pour le regard extérieur, pour l’avancée de certains dossiers, pour une entente politique globale et enfin pour le poids et la crédibilité du couple franco-allemand en Europe.

Cependant, ce report pourrait aussi être l’occasion de se dire les choses en face et de définir les sources de désaccords. Il faut reconnaître que pour un ministre français, ce n’est actuellement pas toujours facile, car en Allemagne, il y a une coalition avec trois partis : le chancelier social-démocrate, les Verts qui ont des portefeuilles importants tels que les affaires étrangères, l’économie et le climat, et un ministre des Finances qui est libéral. Le chancelier doit souvent lui-même élaborer des compromis pour maintenir la cohésion de sa coalition si bien que les ministres français doivent s’adapter à cette situation. Ce n’est pas chose simple.

Comment renouer le couple franco-allemand ?

Renouer le couple franco-allemand doit tout d’abord commencer par la tête. Il faut que le président de la République et le chancelier multiplient les rencontres en tête à tête. D’autant que le discours du chancelier allemand prononcé à Prague en août dernier sur l’Europe recoupe beaucoup de points évoqués par le président français dans son discours de la Sorbonne, les points d’entente sont donc présents. Par exemple, lorsque le chancelier allemand dit vouloir avancer dans le domaine de l’efficacité de l’Union européenne en multipliant les domaines où il y aurait davantage de votes à la majorité plutôt qu’à l’unanimité, cela répond à une demande française. Même chose sur la question migratoire très présente dans les débats des deux côtés du Rhin.

Renouer, ce n’est pas seulement se focaliser, même si ce sont des sujets cruciaux, sur la défense et l’énergie. Il y a d’autres sujets importants entre la France et l’Allemagne tels que l’élargissement de l’Union européenne et la place accordée à la relation transatlantique. Ce ne sont que des pistes, mais si l’Allemagne et la France apparaissent unies sur un de ces aspects, au-delà des simples mises en scène et des déplacements communs, la machine franco-allemande pourra être relancée.

 
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