ANALYSES

L’extrême droite au pouvoir en Italie : quelles conséquences pour l’Europe ?

Interview
26 septembre 2022
Le point de vue de Federico Santopinto


Ce dimanche, l’alliance des droites dirigée par le parti Fratelli d’Italia a obtenu, avec plus des 44% des suffrages exprimés, une nette majorité à la Chambre des députés et au Sénat. Quelle est la ligne politique de ce parti postfasciste et sa dirigeante, Giorgia Meloni ? Quel sera l’impact de cette élection sur les relations entre l’Italie et l’Union européenne ? Comment se positionnera cette coalition vis-à-vis du conflit en Ukraine ? Le point de vue de Federico Santopinto, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste de l’intégration européenne en matière de défense et de politique étrangère.

 

L’alliance des droites dirigée par le parti postfasciste Fratelli d’Italia vient d’obtenir une majorité claire et nette, tant à la Chambre des députés qu’au Sénat. Comment comprendre cette victoire au vu de son positionnement actuel sur la scène politique italienne ?

Ce n’est pas la première fois qu’un parti héritier du fascisme accède au pouvoir dans l’Italie d’après-guerre, mais c’est la première fois qu’il le fait en dominant la coalition gouvernementale qui s’annonce et en imposant son leader, Giorgia Meloni, au poste de Président du Conseil des ministres (l’équivalent de Premier ministre). Ironie de l’Histoire, Giorgia Meloni devrait être chargée de former son gouvernement vers la fin du mois d’octobre 2022, soit exactement 100 ans après que le roi d’Italie de l’époque avait conféré à Benito Mussolini cette même mission, le 29 octobre 1922.

Au-delà de cette anecdote historique un peu inquiétante, un constat doit être fait. Structurellement, au cours des dernières années l’électorat italien n’a pas évolué tant que cela. Depuis au moins trois décennies maintenant, environ 40 à 45% des électeurs italiens votent pour le centre-droite et le même pourcentage vote pour les partis de centre-gauche. Le pays a donc toujours été divisé entre ces 2 blocs de taille plus ou moins équivalente d’un point de vue électoral. En 2018, le Mouvement 5 Étoiles avait temporairement chamboulé ce schéma, en réussissant à intercepter des voix de droite comme de gauche, mais ce fût une exception. Aujourd’hui, le Mouvement 5 Étoiles s’est clairement positionné à gauche de l’échiquier politique italien et, lors des élections de ce dimanche 25 septembre 2022, la structure classique de l’électorat italien est réapparue au grand jour : un peu moins de la moitié des électeurs a voté pour le centre droit et un peu moins de l’autre moitié a voté pour des partis de centre gauche.

Ce qui par contre a changé, ce sont les équilibres à l’intérieur de l’électorat de centre droit. Ces électeurs votent de plus en plus à droite et de moins en moins au centre, ce dernier étant réduit à peau de chagrin. C’est pour cette raison que désormais en Italie on tend à parler de « droite-centre » plutôt que de « centre droit ». Il faut souligner, cependant, que la droitisation de l’électorat modéré ou conservateur ne se manifeste pas uniquement en Italie, puisqu’elle peut être constatée également dans d’autres pays d’Europe et du monde, par exemple en France, aux États-Unis et plus récemment en Suède.

Quant aux résultats électoraux de ce dimanche 25 septembre, ils peuvent s’expliquer par d’innombrables manières d’un point de vue sociologique. Mais le fait que le centre gauche se soit présenté divisé, non pas en deux mais en trois coalitions distinctes, a incontestablement facilité la victoire de la coalition menée par Giorgia Meloni qui, elle, s’est présentée unie, notamment dans les collèges uninominaux qui permettent de désigner le dernier tiers des députés et des sénateurs qui ne sont pas élus avec le système proportionnel.

Présidente du Parti des conservateurs et réformistes européens, Giorgia Meloni se dit ouvertement eurosceptique. Quelles seront ses relations avec Bruxelles ? Et quelles pourraient en être les conséquences pour l’Italie et son économie ?

Globalement, la posture de l’Italie sur la scène internationale et européenne ne devrait pas être remise en cause. Le Brexit et la réaction financière de Bruxelles face à la crise sanitaire ont redoré le blason de l’Union aux yeux de nombreux Italiens. Aujourd’hui, ni Giorgia Meloni ni Matteo Salvini ne contestent la permanence de l’Italie dans l’UE ni dans l’Euro d’ailleurs. Ce n’était pas le cas il y a encore quelques années.

Toutefois, si les fondements de la politique étrangère et européenne de l’Italie devraient être respectés, la manière dont l’Italie agira et se comportera vis-à-vis de ses alliés, et notamment dans le cadre de l’Union, pourrait, elle, changer. Le gouvernement de Mario Draghi était fortement europhile. Draghi avait même osé évoquer la notion de fédéralisme devant le Parlement européen. Sa politique européenne était donc ambitieuse et volontaire, ce qui n’était pas sans déplaire au président français Emmanuel Macron, mais également au nouveau gouvernement allemand de Olaf Scholtz. Le gouvernement Meloni, par contre, sera certainement plus tiède et moins volontaire (…dans la meilleure des hypothèses) sur les dossiers européens. À l’heure où la guerre en Ukraine appelle à un renforcement du rôle de l’Union dans le monde, les pays souhaitant avancer dans l’intégration européenne (France, Espagne, Allemagne, Belgique) ont incontestablement perdu un allié précieux à Bruxelles.

L’Italie subit de plein fouet les répercussions de la guerre en Ukraine. Quelles est la position de Giorgia Meloni sur le conflit et plus largement celle de ses alliés au sein de la coalition de droite ?

Sur la crise ukrainienne, Meloni a affiché une position clairement anti-russe et elle a soutenu l’envoi d’armes à l’Ukraine. Sa posture est donc en phase avec celle de l’OTAN et de l’Union européenne, même si l’on peut craindre qu’elle puisse s’expliquer en partie également par des sympathies pour l’extrême droite ukrainienne.

L’attitude de Matteo Salvini et Silvio Berlusconi sur la Russie est par contre plus ambiguë. Avant le début de la guerre, Silvio Berlusconi vantait une amitié personnelle et profonde avec Vladimir Poutine, qu’il avait d’ailleurs invité plusieurs fois dans sa villa en Sardaigne. Plus récemment, dans une vidéo postée durant la campagne électorale, Berlusconi s’est trahi en fournissant une interprétation du conflit ukrainien plutôt indulgente vis-à-vis de la Russie. Quant à Matteo Salvini, il a dans le passé lui aussi manifesté une certaine sympathie pour Vladimir Poutine, et encore aujourd’hui, il ne cache pas sa proximité vis-à-vis du Premier ministre hongrois Viktor Orban, lui-même très indulgent vis-à-vis de Moscou. Certes, Berlusconi et Salvini ont tous les deux condamné l’agression russe contre l’Ukraine, mais ils l’ont fait sans doute plus par opportunisme politique et par nécessité que par conviction.

 
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