ANALYSES

Assassinat de Shinzo Abe, élections sénatoriales, réforme de la Constitution : vers où se dirige le Japon ?

Interview
13 juillet 2022
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Quelques 105.000 millions d’électeurs japonais étaient appelés aux urnes dimanche dernier pour le renouvellement de la moitié de la composition de la Chambre haute du Parlement. La coalition formée par le PLD et son allié le Komeito a remporté une large victoire électorale. Ces élections se sont tenues deux jours après l’assassinat de l’ancien premier ministre japonais Shinzo Abe lors d’un meeting électoral, ce drame s’ajoutant à une longue liste d’attaques politiques qui ont marqué l’histoire du pays au XXe siècle. Quel héritage laisse Shinzo Abe au Japon ? Qu’attendre du Premier ministre actuel, Kishida Fukio, en position de force avec ces élections, notamment sur son projet de réforme de la constitution pacifiste du Japon ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du programme Asie-Pacifique.

Le PLD et le Komeito disposent désormais d’une « super-majorité » des deux tiers du Sénat. Quel a été l’impact de l’assassinat de l’ancien premier ministre sur les dynamiques électorales ? Comment se positionnent les deux partis sur l’échiquier politique national ?

La victoire du PLD et du Komeito dans cette élection offre une très large majorité au Sénat (dont la moitié des sièges sont renouvelés tous les trois ans), mais il ne faut pas y voir un plébiscite. Sur les 125 sièges en jeu, les deux partis en ont remporté 76, mais ils en disposaient de 69 avant cette élection. Il s’agit donc d’une consolidation, pas d’une victoire éclatante, mais qui place le Premier ministre Kishida Fukio en position de force, sachant qu’il n’y aura pas d’échéance électorale nationale avant trois ans.

Le PLD, fondé dans les années 1950, est un parti politique de la droite japonaise, né de la fusion des partis libéral et démocrate, pour en faire une machine à gagner les élections. Depuis 1955, le parti s’est maintenu au pouvoir de manière constante, avec deux alternances (en 1993-1994, puis entre 2009 et 2012), et est donc de très loin le plus grand parti politique japonais.

Si l’émoi est grand, et totalement légitime, dans la population japonaise, il est difficile de savoir si l’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe Shinzo a eu un impact décisif dans cette élection, notamment quand on sait que le taux de participation a été légèrement supérieur aux scrutins précédents, mais dans des proportions modestes. Mais l’évènement de cette élection est que Kishida dispose désormais d’une majorité des deux tiers, lui offrant un pouvoir considérable, notamment dans sa politique économique et dans son souhait de réforme de la Constitution de 1946.

Il y a près de 10 ans, Shinzo Abe lançait un grand programme de relance économique, célèbre sous le nom d’« Abenomics ». Pouvez-vous définir cette politique ? Quel bilan peut-on en tirer sur la structure de l’économie japonaise ?

Les Abenomics avaient vocation à relancer la croissance économique de l’archipel, en état de stagnation depuis la fin de la Guerre froide, et de plus en plus sous pression de la croissance chinoise. Le PIB de Pékin a devancé pour la première fois celui de Tokyo en 2010, et la Chine est donc devenue la première puissance économique asiatique, l’écart se creusant depuis. Revenu au pouvoir en 2012, à la faveur d’une crise politique consécutive à la gestion de la catastrophe de Fukushima l’année précédente – par le parti de l’opposition alors au pouvoir, le parti libéral du Japon – Shinzo Abe souhaitait relancer la croissance en misant sur une politique monétaire accommodante et un budget de l’État en forte hausse pour booster la croissance sur le long terme. Un interventionnisme de l’État donc.

Le bilan des Abenomics est en demi-teinte. Si la croissance a été relancée, permettant d’ailleurs à Abe de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2020, record de longévité, le Japon n’a pas été en mesure de retrouver la dynamique qui fut la sienne il y a quelques décennies. Par ailleurs, les Abenomics sont devenus très impopulaires au Japon, en raison des hausses fiscales (pour financer les investissements et la politique monétaire) et de l’augmentation de la précarité. Selon des sondages, la majorité des Japonais y étaient hostiles au moment du départ d’Abe.

Que signifie la réforme de la Constitution pacifiste du Japon et de son article 9 dont rêvait Shinzo Abe ? Selon vous, cette réforme historique est-elle plausible ?

L’article 9 de la Constitution japonaise de 1946 (rédigée sous l’occupation américaine) indique que « le Japon renonce à la guerre ». Le pays dispose de Forces d’autodéfense (FAD), mais pas d’armée à proprement parler, en l’occurrence susceptible d’être envoyée dans des opérations extérieures. En 2015, une close imposée par le cabinet Abe stipulait que le Japon pouvait désormais venir en aide à un pays ami en difficulté ou en guerre, ce qui marqua un véritable tournant dans la politique de défense du Japon. Kishida Yukio est l’héritier d’Abe Shinzo sur ce sujet, et l’un de ses grands chantiers est l’augmentation du budget de défense du Japon, qui était plafonné à 1 % du PIB. Avec la majorité des deux tiers dont il dispose désormais, et dans un contexte sécuritaire international très mouvementé, le Premier ministre est en position de force pour réformer cet article de la Constitution.
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