ANALYSES

En cas d’arrêt des exportations de gaz russe, « Moscou a plus à perdre que l’Europe »

Presse
2 avril 2022
Interview de Francis Perrin - France 24
Comment analysez-vous l’annonce de Vladimir Poutine ? Les dirigeants européens affirment avoir reçu des gages qu’ils pourraient continuer à acheter du gaz en euros, la menace de la Russie est-elle crédible ? 

Cette menace n’est pas véritablement crédible. Pour deux raisons.

Tout d’abord, elle est en contradiction avec le contenu des contrats qui lient Gazprom et les entreprises gazières européennes, qui prévoient un paiement en euros et parfois en dollars. Modifier de tels contrats de manière unilatérale est illégal, et Vladimir Poutine le sait.

L’autre raison est qu’il y a depuis Moscou plusieurs sons de cloche : Vladimir Poutine qui annonce l’obligation ; le même Vladimir Poutine qui rassure Olaf Scholz et Mario Draghi en leur disant que rien ne change, et le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, qui parle d’une mise en œuvre progressive du paiement en roubles.

Il s’agit donc à mon sens d’un bluff, dont Vladimir Poutine est un grand spécialiste. Comme souvent, il fait une déclaration percutante pour jauger les réactions et adapter sa stratégie.

Paris et Berlin affirment se préparer à un éventuel arrêt des importations de gaz russe, ont-elles des possibilités de repli suffisantes 

Il faut d’abord dire que si les Européens n’ont pas pris de sanctions sur le gaz russe – qui représente 45 % de leurs importations –, c’est parce qu’ils ne peuvent s’en passer à court terme. Pour autant, avec la guerre en Ukraine, un plan est désormais sur la table pour réduire significativement cette dépendance sur l’année 2022, dans l’optique d’une sortie de totale du gaz russe pour 2027. Il existe pour cela trois leviers : trouver de nouveaux fournisseurs de gaz naturel, remplacer une partie de la consommation gazière par d’autres sources d’énergie, notamment des sources renouvelables, et enfin faire des économies sur la consommation actuelle. Cette stratégie devrait permettre de réduire au moins d’un tiers les importations russes cette année.

Pour ce qui est des nouveaux fournisseurs, un contrat a déjà été signé avec les États-Unis, pour une augmentation de ses livraisons de gaz naturel liquéfié, qui devrait compenser, à terme, un tiers des importations russes actuelles. Parmi les autres partenaires potentiels, il y a le Qatar, l’Algérie, le Nigeria, l’Égypte, la Norvège ou bien encore l’Azerbaïdjan.

La Russie est le plus gros fournisseur de gaz d’Europe et l’Europe son principal client. Dans le contexte de guerre actuel, Vladimir Poutine est-il vraiment en position de force sur ce dossier 

La Russie n’est pas en position de force pour une raison simple : elle est encore plus dépendante du marché européen que l’Europe ne l’est des exportations russes. Autrement dit, Moscou a plus à perdre que l’Europe dans cette affaire.


Pour l’UE, il n’est bien sûr pas simple de tourner la page russe, mais elle possède déjà les infrastructures suffisantes pour augmenter ses importations de gaz naturel liquéfié, au moins dans un premier temps. Si ces livraisons coûtent plus cher, elles présentent un avantage majeur : celui d’êtres plus souples, car livrées par bateau et non pas le biais de gazoducs. Cette souplesse permet une plus grande sécurité d’approvisionnement, car elle rend plus facile la diversification des sources.

Du côté de la Russie, l’industrie est principalement tournée vers l’Europe et de gros investissements d’infrastructures seront nécessaires pour exporter massivement le gaz par voie maritime, ce qui nécessite de le liquéfier. En dehors de l’UE, Moscou exporte du gaz au Japon, en Corée et en Chine. Les deux premiers, alliés des États-Unis, se rangeront derrière sa position. Reste la Chine, qui est certes un allié de la Russie, mais avec qui les discussions d’accords commerciaux ne sont pas simples, surtout si le rapport de force est en sa faveur.

Bien sûr, la Russie elle aussi prospectera pour trouver de nouveaux clients, mais sa situation sera plus difficile, car elle a moins de partenaires que l’Europe, mais aussi moins de partenaires potentiels.

 

Propos recueillis par David Rich pour France 24.
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