ANALYSES

« Les élections allemandes peuvent constituer une nouvelle donne en Europe »

Presse
26 septembre 2021
Les déconvenues françaises au sujet de la vente de sous-marins à l’Australie montrent combien – au-delà de la France – l’Europe est quasi inexistante comme acteur géopolitique lorsqu’il s’agit du choc des intérêts des grandes puissances. On est d’ailleurs surpris du silence de nos voisins face aux déboires français qui devraient être un message pour l’ensemble de l’Europe. C’est dans ce sens que les élections allemandes devraient marquer une césure pour aller de l’avant dans une plus grande intégration qui ne renierait pas les Etats-nations fondateurs des identités des différents peuples.

Il existe, en Allemagne, un mouvement de pensée qui incite ce pays à exercer de plus grandes responsabilités en Europe et dans le monde et reproche aux dirigeants politiques actuels de ne pas aller de l’avant dans ce domaine.

Au moment où l’on analyse le bilan d’Angela Merkel sur le plan européen en mettant en avant son engagement en 2010 pour sauver l’euro et l’élaboration, avec la France, du plan de relance en 2020 – qu’elle a salué dans un discours devant le Bundestag, le 24 juin, en précisant que, par de telles coopérations, « l’Union européenne, souveraine, est un partenaire fort » –, des voix se font entendre pour considérer que l’Allemagne devrait aller plus loin dans l’exercice de sa puissance.

Contradictions

Ainsi, l’un des ouvrages les plus commentés en 2021 a été Blutige Enthaltung (« Abstention sanglante », Herder, non traduit) de Sönke Neitzel et Bastian Matteo Scianna. Décrivant les contradictions de la diplomatie allemande dans le conflit syrien de 2011 à 2020, l’historien reproche à son pays « d’être à l’avant-garde de l’indignation morale et de réclamer des interventions militaires que d’autres se chargent d’exécuter », au nom d’une culture de la retenue qui laisse apparaître « un fossé entre l’exigence d’être un partenaire important dans le règlement des crises et l’absence de volonté dès qu’il s’agit d’être partie prenante en matière de sécurité ».

Deux ans plus tôt, un spécialiste de relations internationales, Stefan Fröhlich, défendait dans Das Ende der Selbstfesselung (« L’abandon des chaînes », Springer, 2019, non traduit) l’idée que l’Allemagne doit jouer un plus grand rôle sur la scène internationale et que « le défi pour Berlin consiste à exercer un leadership en le faisant accepter par ses partenaires » en tenant compte de « son accession involontaire au statut de puissance centrale en Europe ».

Un an plus tôt, le journaliste Christoph von Marschall lançait un appel, Wir verstehen die Welt nicht mehr (« Nous ne comprenons plus le monde », Herder, non traduit), analysant les demandes formulées par d’autres pays pour que « l’Allemagne exerce un rôle de leader en Europe et revitalise l’Union européenne », impliquant aussi « de prendre au sérieux les questions militaires ».

Ce discours s’appuie sur le poids économique de l’Allemagne, quatrième puissance économique mondiale et première en Europe, troisième nation exportatrice de la planète et première en Europe, représentant 28 % du PIB de la zone euro. Dans ce cadre, il est intéressant d’observer qu’Olaf Scholz [ministre des finances, vice-chancelier du gouvernement et candidat du SPD à la chancellerie], dont le parti social-démocrate – à tradition encore largement pacifiste et qui avait empêché que ne figure dans le contrat de coalition de 2017 l’objectif d’augmenter le budget de la défense – mette en avant, dans un entretien le 27 août au Süddeutsche Zeitung, le fait « d’avoir augmenté massivement le budget de la défense ». Les esprits ont beaucoup évolué, même si, sur ce qui touche à l’engagement militaire, l’Allemagne demeure un partenaire sensible.

Stratégie industrielle européenne

Ce discours en faveur de « plus de responsabilité », même s’il n’est pas unanime outre-Rhin, doit être pris en considération, car il peut être le fer de lance d’une relance européenne et d’avancées sur plusieurs axes, chers à la diplomatie française.

D’abord, sur l’idée même de « souveraineté européenne », qui, il y a peu encore, n’allait pas de soi en Allemagne, soucieuse de ne pas brusquer les Etats-Unis. Une étude de la Fondation Jean Jaurès de 2021 relève que 83 % des Allemands estiment qu’il convient de « renforcer la souveraineté européenne » contre 66 % des Français. De même, 73 % des Allemands estiment que « souveraineté européenne et souveraineté nationale sont complémentaires » contre 48 % des Français. Le terme est même passé dans le langage politique au plus haut niveau.

Quant à la relation avec les Etats-Unis, il ne faut pas oublier qu’Angela Merkel a souligné, dès 2017, que « l’époque est révolue où nous pouvions nous fier entièrement à d’autres. Nous, Européens, nous devons vraiment prendre notre destin en main ». A la conférence de sécurité de Munich de 2019, elle a complété en affirmant que les Européens « devaient développer une culture militaire commune », fondement d’une Union européenne de la défense.

Autre domaine dans lequel une évolution n’est pas à exclure du côté allemand : le niveau de l’endettement public, avec, en filigrane, la révision du pacte de stabilité suspendu jusqu’en 2022.

Enfin, et c’est un sujet qui a longtemps opposé la France et l’Allemagne, Berlin évoque depuis peu – non sans débat – une politique industrielle au niveau européen, estimant dans sa stratégie industrielle nationale 2030 que « l’Union européenne a besoin d’une stratégie industrielle avec, pour objectif, de renforcer la compétitivité de l’Europe » en privilégiant les énergies renouvelables, le numérique, les semi-conducteurs et la biotechnologie.

On le voit, entre un discours enjoignant l’Allemagne d’assumer son rôle de puissance et une appropriation de certains thèmes portés par la France, l’élection allemande, avec l’arrivée d’une nouvelle équipe au pouvoir, peut constituer une nouvelle donne en Europe. Il faut la saisir.
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