ANALYSES

Crise ukrainienne : Poutine peut-il couper le gaz ?

Presse
25 février 2022
Dans quelle mesure l’Union européenne (UE) et la France sont-elles dépendantes des importations de gaz russe ?

La Russie représente 40% des approvisionnement de l’UE en gaz. C’est une moyenne qui diffère en fonction des pays membres. Plus les pays sont proches de la Russie, plus la part des importations de gaz russes est importante. Par exemple, la Finlande dépend à 97% du gaz russe pour ses importations tandis que l’Espagne en dépend environ à 10%. Les importations de gaz de l’Allemagne proviennent à près de 60% de Russie, tandis qu’en France, nos importations viennent en majorité de Norvège (ndlr : 35% contre 24% depuis la Russie).

Cette dépendance peut-elle empêcher les états de prendre des sanctions envers la Russie ?

La question énergétique a déjà dissuadé les états de sanctionner le secteur énergétique russe. Par exemple, en 2014 quand la Russie a annexé la Crimée, les sanctions occidentales n’ont pas visé les exportations de gaz russe.

Jusqu’à présent, l’Allemagne est restée mesurée dans la question des sanctions vis-à-vis de la Russie. Sa dépendance au gaz russe a été jugée comme un élément dissuasif pour intervenir plus fortement. Toutefois, les développements de la crise actuelle ont conduit le pays à ne pas mettre en service le gazoduc Nord Stream2.

La Russie peut-elle effectivement décider de couper ses exportations de gaz vers les pays de l’UE ?

Les Russes peuvent nous vendre du gaz sous deux formats juridiques : des contrats de long terme -qu’ils respectent pour l’instant- et au fur et à mesure [ndlr : les « contrats spots »]. Sur ce deuxième point, les Russes ont commencé à diminuer leurs ventes depuis décembre. Si la crise intervient en hiver, ce n’est pas un hasard du calendrier. À mesure que les troupes russes prenaient position, les exportations de gaz russe sur les contrats spots vers l’UE diminuaient, comme l’a souligné Fatih Birole, directeur de l’agence internationale de l’énergie. Il explique que la Russie pourrait très bien augmenter ses exportations vers l’UE si elle le voulait.

La seconde question est : la Russie pourrait-elle rompre ses contrats de long terme ? Elle attaque actuellement un pays souverain, ce qui est matériellement autrement plus complexe. En revanche, elle enverrait un message dissuasif à ses autres acheteurs. La Chine verrait la Russie comme un interlocuteur non fiable.

À l’inverse, la Russie peut-elle se passer des apports économiques de ses exportations de gaz vers l’UE ?

Il faut voir les choses en deux temps. Le gouvernement russe dépend énormément de ses exportations de gaz vers l’Europe. Les recettes pétrogazières représentent une large part du budget du gouvernement russe. Le poids de l’UE est très important dans les exportations de gaz de la Russie. La Chine prend de plus en plus de place, mais l’UE reste quasiment l’acheteur dominant.

Or, si l’UE a besoin du gaz immédiatement, la Russie peut se passer à court terme de ces exportations. Les réserves de change de la banque centrale russe s’élèvent notamment à 620 milliards de dollars (ndlr : soit près de 550 milliards d’euros). Selon Gazprom, fournisseur de gaz, les exportations de gaz russe ont rapporté en 2021 près de 45 milliards de dollars(ndlr : soit près de 40 milliards d’euros). C’est non négligeable sur le long terme mais, à court terme, la Russie s’est doté des ressources financières et des réserves pendant des années pour avoir un matelas qui permet d’encaisser la force de frappe des sanctions. Par ailleurs, la Russie se tourne progressivement vers l’Asie et casse la capacité de l’UE de peser sur l’achat de gaz.

Quelles alternatives existent à l’approvisionnement en gaz russe à court terme pour l’UE ?

À court terme, il va être compliqué de se passer du gaz russe tant il représente une large part de nos importations. La Norvège est le deuxième plus gros fournisseur de gaz naturel. Elle représente 17% des approvisionnements totaux de l’UE. Or, elle exporte déjà quasiment au maximum de ses capacités. L’Algérie, autre fournisseur, ne pourra pas remplacer à elle seule la Russie. Nous pouvons nous approvisionner auprès de pays proches de nous via des gazoducs mais les stocks disponibles sur le marché sont insuffisants pour satisfaire notre demande. Nous sommes en hiver et la Chine, le Japon, la Corée sont de très gros consommateurs de gaz.

L’autre alternative est de passer par le gaz naturel liquéfié (GNL) qui peut être amené par bateau du Qatar, des Etats-Unis, de l’Australie. On peut aussi se mettre d’accord pour le racheter au Japon. Mais le stock disponible est limité et va coûter très cher parce qu’il faut le racheter tout de suite.

Et à long terme ?

Cette crise accélère une réorientation de long terme. Les politiques énergétiques doivent concilier trois impératifs. Premièrement la sécurité des approvisionnements ; il faut que le fournisseur tienne ses engagements. Deuxièmement, les états choisissent l’énergie qui leur coûte le moins cher. Il y a toujours un arbitrage entre ces deux variables. Le troisième point que les politiques énergétiques imaginées depuis trente ans prennent en compte c’est l’empreinte carbone et environnementale, du fait de l’émergence d’une conscience environnementale et de l’impératif d’une urgence climatique. Avec la crise actuelle, on se rend compte qu’il y a un rapprochement entre le besoin de sécurité énergétique et la nécessaire diminution de l’empreinte environnementale de notre politique énergétique.

Aujourd’hui, la Russie représente 40% de nos importations de gaz, 20% de nos importations de pétrole … Est-ce qu’en 2050 on veut laisser une place aussi prépondérante à la Russie dans notre bouquet énergétique ? Si on se passe des énergies fossiles, on se passe de la Russie. Les énergies renouvelables pourraient nous permettre de sortir de dilemmes comme celui qui se pose actuellement. Si on ne consomme plus autant de gaz, la pression que la Russie peut maintenir sur nos politiques diplomatiques s’évapore.

 

Propos recueillis par Cécile Marchand Ménard pour Natura Sciences.
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