ANALYSES

« Macron prend en compte les préoccupations russes »

Presse
9 février 2022
À l’issue de ses rencontres avec les présidents russe et ukrainien, Emmanuel Macron s’est dit « optimiste ». A-t-il raison de l’être ?

En ce qui concerne l’absence de risques d’invasion, il a totalement raison. Au sujet de la désescalade, ou plutôt de l’absence d’une es calade supplémentaire sur le front ukrainien, il a également raison. Pour le re démarrage de négociations dans le cadre du « format Normandie » [configuration diplomatique rassemblant la Russie, l’Ukraine, la France et l’Allemagne, Ndlr], il a en partie raison d’être optimiste. Mais pour l’heure il est prématuré de savoir sur quoi cela pourrait aboutir. Avec son déplacement en Russie, Macron prend officiellement en compte les pré occupations russes quant à leur sécurité. Et cela est une bonne base pour négocier. Pour le dire prosaïquement, Macron a fait le job. S’il n’était pas intervenu, on lui aurait reproché.

Les déclarations communes des chefs d’États allemand, français et polonais sur le dossier ukrainien marquent-elles une prise de distance avec la position américaine ?

Oui mais c’est infinitésimal. Les difficultés de l’Europe à avoir une position commune vis-à-vis de la Russie s’expliquent notamment par le fait que de nombreux pays anciennement soviétiques estiment que leur sécurité est davantage assurée par le parapluie amé ricain que par un accord avec la Russie négocié par l’UE. La France et l’Allemagne, qui ont une approche de la Russie un peu plus nuancée que ne l’ont les États-Unis, ne croient pas vraiment à un risque d’invasion imminent de l’Ukraine comme le prétendent les Américains. À Moscou, Macron a obtenu des assurances verbales du président russe sur l’évitement d’un conflit ouvert. Ce n’est pas négligeable. Sur le plan intérieur, le président amé ricain est fragilisé. En matière de poli tique extérieure, sa priorité reste la question chinoise. II ne souhaite pas l’ouverture d’un front en Europe. Même si les négociations sont épineuses, el les continuent et il y aura vraisemblablement des concessions à faire de part et d’autre.

La finlandisation de l’Ukraine pourrait-elle être une solution acceptable ?

Ce terme renvoie à une position pour un pays de liberté totale en matière de politique intérieure qui est payée par la rançon d’une neutralité stratégique. À l’époque, ce sont les Finlandais qui ont fait ce choix-là. Et aujourd’hui, les Ukrainiens n’en veulent pas, même si à mon sens, ce serait une bonne solution. L’opinion publique ukrainienne peut évoluer sur cette question. Pour preuve, il y a quelques an nées elle était en défaveur d’une intégration de son pays à l’Otan et aujourd’hui elle le souhaite. Le gouvernement ukrainien n’a pas su tenir compte des sensibilités russes d’une partie de sa population, et en interdisant l’emploi de la langue russe, elle n’a fait qu’aviver les velléités séparatistes. L’Etat doit tenir compte des différentes sensibilités et des influences culturelles qui composent sa population. À noter qu’au vu de la pression russe, on assiste à l’émergence d’un sentiment national en Ukraine qui n’existait pas forcément auparavant.

Peut-on considérer que Vladimir Poutine sort renforcé de cette escalade diplomatique ?

Sur le plan intérieur, cela a peu d’influence sur l’opinion russe. Les citoyens ne veulent pas d’une guerre et encore moins contre les Ukrainiens. Les liens de parenté qui unissent ces deux pays rendraient ce conflit fratricide. N’oublions pas également que la Russie est un pays fatigué, avec une démographie en berne. Sur le plan économique, ce n’est pas non plus glorieux, même s’il serait fallacieux de penser que c’est un pays exsangue. Sur la scène internationale, Poutine demeure très prévisible et très trans parent. Cela fait 30 ans qu’il martèle que l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan est une ligne rouge. II restera flexible sur son refus que d’autres anciennes républiques soviétiques constitutives de l’URSS intègrent l’alliance atlantique. Lorsque l’on observe la position des bases de l’Otan en Europe de l’Est, Poutine a des raisons de se sentir encerclé. Gardons en tête que la mère des négociations est celle que les Russes ont avec les États-Unis.

Entretien réalisé par Arnaud Deux pour La Marseillaise.
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