ANALYSES

La préoccupante politique étrangère de Joe Biden

Correspondances new-yorkaises
8 avril 2021


Sur le plan intérieur, on ne peut que se réjouir de la politique de relance du nouveau président américain. Celui que Donald Trump surnommait Sleepy Joe pendant la campagne électorale surprend aujourd’hui par l’audace et la rapidité avec lesquelles il enchaîne les plans de relance, plus colossaux les uns que les autres. Après les 1900 milliards de dollars annoncés en mars pour relancer l’économie, il envisage maintenant d’en investir 2250 de plus pour, ce coup-ci, rénover les infrastructures du pays. Réseaux routiers et ferroviaires, gares, ponts, métros, écoles, logements sociaux, tout cela est en effet dans un état pitoyable.

Le vent semble donc avoir tourné chez l’Oncle Sam. L’heure n’est plus au credo libéral de l’ère Reagan. La pandémie de Covid-19 a marqué le grand retour de l’État fédéral. La théorie du « ruissellement » chère à Wall Street, en vertu de laquelle les cadeaux aux plus riches profitent à tous par ricochet, n’a plus le vent en poupe. Le keynésianisme fait son grand retour.

Cette nouvelle dynamique permettra-t-elle à terme de redresser la barre du paquebot Amérique ? D’enrayer cette course à l’abîme dans laquelle les États-Unis sont engagés depuis quarante ans ? Bien sûr que non. Pour stopper la tiers-mondialisation du pays, tiers-mondialisation qui saute aux yeux de la plupart des observateurs étrangers – du moins des observateurs qui savent observer – dès leur arrivée à JFK ou LAX, il faudrait une véritable révolution économique et politique. Et l’on en est encore loin. Très loin[1].

Mais bon, ne soyons pas rabat-joie. Comme l’a dit Bernie Sanders, « tout ça, ce n’est quand même pas si mal ! »

C’est sur le plan extérieur, par contre, que certaines déclarations et mesures de l’administration Biden posent de sérieuses questions.

Après la politique étrangère chaotique de Trump favorable aux régimes autoritaires et empreinte de mépris envers les alliés traditionnels des États-Unis, on se réjouissait de savoir que la nouvelle administration allait revenir aux fondamentaux de la diplomatie américaine, fondamentaux qui incluent comme tout le monde le sait la promotion des droits humains et de la démocratie.

Mais on ne s’attendait pas à ce que cela soit de manière si agressive et donc improductive.

Comme les Bourbons après l’Empire, les démocrates sont revenus au pouvoir sans n’avoir rien appris ni rien oublié. Ils semblent toujours se croire dans les années quatre-vingt-dix, au temps où l’hyperpuissance américaine pouvait dicter sa loi au monde entier et où aucun système alternatif ne semblait pouvoir s’opposer à la démocratie libérale.

Mais la théorie de « La Fin de l’histoire » a vécu et le monde a changé. Radicalement.

Le droit-de-l’hommisme quasi obsessionnel de l’administration Biden, a récemment poussé le président américain à répondre par l’affirmatif à la question d’un journaliste qui lui demandait s’il considérait que Vladimir Poutine était un tueur. Le locataire de la Maison-Blanche a ensuite assuré à la planète entière que le président russe allait bientôt payer pour ses crimes.

Certes, Vladimir Poutine n’est pas un enfant de chœur, mais ne feignons pas de le découvrir au détour d’un rapport des services de sécurité des États-Unis et au micro d’un journaliste. Il ne s’agit pas d’une maladresse, mais d’une faute grave. Joe Biden a été vice-président des États-Unis pendant huit ans, il a dirigé la commission des Affaires étrangères du Sénat pendant des années, il ne peut pas se comporter comme un shérif de western ou un militant d’ONG. On ne traite pas les grands sujets de sécurité du monde avec des insultes et des invectives.

À peine quelques jours après l’attaque contre Poutine, l’équipe Biden a remis ça, cette fois-ci à l’encontre de la Chine, et cela à deux jours du sommet sino-américain qui s’est tenu les 18 et 19 mars en Alaska et dont on a vu le résultat.

Bien sûr qu’il fallait réagir face à la répression des militants prodémocratie à Hong Kong. Mais sûrement pas avec autant de bellicisme. Et puis, entre nous, il y en a un peu marre de cette politique du deux poids, deux mesures. Où sont les États-Unis quand il s’agit de dénoncer la politique d’Israël dans les territoires occupés et le non-respect des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU par le gouvernement israélien ?

En attaquant la Russie – dont pourtant les États-Unis ont besoin sur tant de dossiers ! – et la Chine au même moment, Biden pousse Moscou et Pékin à s’allier contre lui et à renouer une coopération qui a connu son apogée sous Staline et Mao. Le nouveau président a été élu sénateur quand Nixon était encore à la Maison-Blanche et envoyait Henry Kissinger rencontrer Zhou Enlai. Ils avaient compris que l’intérêt des États-Unis était d’éviter à tout prix un rapprochement entre la Russie et la Chine. Biden ferait bien de s’inspirer de leur pratique réaliste des relations internationales.

Mais le peut-il encore vraiment ? En a-t-il toujours les capacités cognitives, alors que récemment encore, il confondait en public sa petite fille avec son fils Beau, décédé il y a plusieurs années ? Difficile à dire. Mais cerné par les mêmes faucons qui, en 2003, l’ont poussé à soutenir l’invasion de l’Irak, le vieil homme de la Maison-Blanche, dont l’état de santé ne cesse d’alimenter les rumeurs et que l’on surnomme dorénavant le Brejnev américain, semble irrémédiablement figé dans une mentalité d’un autre temps.

Le risque est donc grand de voir émerger à moyen terme un véritable bloc sino-russe. Un bloc qui, au-delà des aspects géopolitiques et économiques, offrirait au reste de la planète des systèmes alternatifs au modèle vacillant de la démocratie libérale occidentale. Marginalisée sur la scène internationale, l’Amérique serait alors condamnée à devenir le symbole d’un monde révolu. Un monde où des plans de relance comme ceux de Biden étaient encore possibles.

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[1] Voir ma correspondance L’Amérique à bout de souffle.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.
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