ANALYSES

L’Europe face au Covid-19 : l’Union en quête d’une stratégie commune

Tribune
8 février 2021


À la crise du Covid-19, l’Europe a dû apporter au moins trois types de réponses : sanitaire, économique et géopolitique. L’efficacité, la maturité et la cohérence de ces réponses varient largement, notamment en fonction des compétences de l’Union. Ce patchwork laisse à voir une Europe qui tente non sans mal d’articuler une réponse globale et cohérente à la crise du Covid-19 et à ses implications.

Une réponse sanitaire trop peu coordonnée

Alors que l’Europe a été très fortement touchée par l’épidémie de Covid-19 (20% des cas et des morts enregistrés au niveau mondial), la réponse sanitaire apportée par l’Union en tant que bloc est apparue non coordonnée et limitée. La principale raison de cette réponse décevante est à chercher du côté des compétences de l’Union, la compétence de l’Union en matière de santé étant relativement limitée. En effet, en matière de santé, la compétence de l’Union est largement une compétence d’appui. Ainsi, concernant les « menaces transfrontières graves pour la santé » (dont les pandémies), la compétence de l’Union vient « compléter les politiques nationales » de détection, d’alerte et de lutte. Jusqu’à récemment, cette compétence d’appui a été interprétée de manière relativement étroite. La crise du Covid-19 expose largement les insuffisances de l’approche européenne dans le domaine.

Dans un état certain d’impréparation face au risque pandémique, les États membres de l’Union européenne n’ont pas cherché à coordonner leur action au niveau européen. D’autant que les stratégies sanitaires définies et mises en œuvre aux différents niveaux nationaux divergeaient parfois significativement entre les tenants d’un arrêt de la circulation du virus (Italie, Espagne, France) et ceux de l’immunité collective (Suède, Royaume-Uni, Pays-Bas). D’où l’absence de coordination sur les fermetures de frontières et les conditions de mobilité entre États membres. Mais ce qui était compréhensible au début de la crise l’est beaucoup moins un an après. Pourtant, force est de constater que les restrictions de voyage ne font toujours pas l’objet d’une coordination optimale au niveau européen, alors même que les stratégies sanitaires tendent à s’harmoniser (les tenants de l’immunité collective ayant quasiment disparu). La sortie sanitaire de la crise pandémique reste encore largement à définir.

Pour autant, la décision de confier à la Commission européenne la négociation, l’acquisition et la répartition des différents vaccins est un game-changer dans l’approche sanitaire européenne. Elle empêche, en effet, le développement d’un nationalisme vaccinal au sein de l’UE qui aurait abouti à laminer la cohésion européenne et à rendre encore plus hypothétique un retour de l’espace Schengen à un fonctionnement normal. Certes, le récent imbroglio autour du mécanisme européen de contrôle des exportations de vaccin et de ses implications pour la frontière entre les deux Irlande est éminemment regrettable. Mais cet épisode ne doit pas amener à condamner la saine démarche des États membres d’acquérir en commun les vaccins. Ainsi, au 5 février 2021, la Commission a acheté les quantités suivantes de vaccins :

  • Vaccin BioNTech/Pfizer (Autorisation de Mise sur le Marché – AMM : 11 novembre 2020) : 500 millions de doses avec la possibilité d’acquérir 100 millions de doses supplémentaires ;

  • Vaccin Moderna (AMM : 6 janvier 2021) : 160 millions de doses ;

  • Vaccin AstraZeneca (AMM : 29 janvier 2021) : 300 millions de doses avec la possibilité d’acquérir 100 millions de doses supplémentaires.


Par ailleurs, la Commission a également conclu des contrats avec les industriels suivants, contrats qui seront activés une fois une autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités sanitaires :

  • Sanofi-GSK : jusqu’à 300 millions de doses

  • Johnson & Johnson : jusqu’à 400 millions de doses

  • CureVac : jusqu’à 405 millions de doses


Enfin des discussions sont en cours avec les industriels suivants :

  • Novavax : jusqu’à 200 millions de doses

  • Valneva : jusqu’à 60 millions de doses


Les vaccins sont, une fois livrés, répartis entre les États membres au prorata de la population, permettant ainsi de garantir un accès équitable aux vaccins. Pour les quantités excédentaires de vaccins commandés, les États membres ont la possibilité d’en faire don aux États les plus pauvres.



Une réponse économique prometteuse… mais à confirmer

Sur le plan économique, la réponse de l’Union a été plus convaincante et le plan de relance européen, dont le principe a été adopté en juillet dernier par les 27 chefs d’État et de gouvernement, constitue un potentiel changement majeur dans l’économie politique de l’Union.

Avant même l’adoption du plan de relance, l’Union et ses institutions ont su réagir de manière rapide et adéquate face à la crise économique causée par la crise sanitaire. Il faut, en effet, rappeler que la Commission a été prompte à proposer de limiter les restrictions de circulation aux seules personnes physiques. Cela peut sembler anecdotique, mais c’est le fonctionnement du marché intérieur qui a été adapté aux circonstances de crise en un temps record, permettant d’éviter au sein de l’Union des pénuries alimentaires ou de démanteler les restrictions d’exportation sur le matériel médical entre États membres. C’est également très rapidement que la Commission a adopté un cadre dérogatoire pour les aides d’État permettant aux États de venir en aide à leurs entreprises sans le feu vert a priori normalement requis de la Commission. C’est également la Commission qui a proposé la suspension de l’application du Pacte de Stabilité et de Croissance, permettant aux États européens de s’endetter massivement pour faire face aux conséquences économiques de la crise.

Mais c’est effectivement l’adoption d’un plan de relance européen avec lequel les 27 plans de relance nationaux devront s’articuler qui constitue la plus grande rupture avec l’économie politique européenne traditionnelle. Alors qu’il y a 10 ans, les 28 avaient été incapables d’articuler leurs plans de relance nationaux et la zone euro s’était lancée dans des politiques d’austérité aux effets récessifs aujourd’hui démontés, les désormais 27 se sont cette année entendus pour construire une relance commune en la finançant par une dette commune. Si l’importance du financement est généralement relevée, on oublie souvent de souligner l’importance cruciale de l’élaboration d’une relance commune centrée sur les enjeux d’investissements. De même, les critères d’allocation du plan de relance européen dépassent largement le cadre des effets de la pandémie et prennent en compte les déséquilibres structurels qui minaient en particulier l’Union économique et monétaire.

Encore faut-il que l’articulation entre le plan européen et les plans nationaux ne soient pas que de façade, que le ciblage des investissements soit véritablement orienté vers les défis auxquels les Européens font face (nouvelle croissance, décarbonation, numérisation, etc.) et que la convergence des économies européennes redevienne un objectif politique majeur. Le plan de relance est une promesse pour l’avenir. Il convient aujourd’hui de la réaliser.

Une réponse géopolitique encore à construire

La crise du Covid-19 a également des implications géopolitiques et géoéconomiques évidentes. Et les Européens en ont pris conscience de manière brutale. En particulier, les pénuries de masques et plus largement de matériel médical ont, semble-t-il, provoqué une rupture dans la manière dont les Européens perçoivent leur rapport au monde. Alors que depuis plusieurs décennies les interdépendances, notamment économiques et industrielles, étaient perçues comme des facteurs de stabilisation des relations internationales, elles ont été perçues comme autant de sources de vulnérabilités potentielles. C’est là le grand défi auquel l’Union est aujourd’hui confrontée, dans un monde qui lui est beaucoup moins favorable qu’auparavant : maitrise ses dépendances externes sans éroder ses interdépendances internes.

Au-delà, la crise du Covid-19 a également été l’occasion pour plusieurs États de mener des opérations de diplomatie sanitaire de grande ampleur. C’est notamment le cas de la Chine avec sa « diplomatie du masque ». Face au développement de ces politiques de puissance et d’influence, l’Union se retrouve dépourvue et peu capable d’articuler une réponse satisfaisante et globale.

La réponse géopolitique de l’Union à la crise du Covid, mais, plus généralement, au monde du XXIe siècle reste encore largement à construire. La redéfinition de son rapport au monde sera nécessairement à l’origine de la refondation souhaitée et souhaitable du projet européen. C’est un travail de longue haleine qui s’ouvre pour l’Union et les Européens, qui devront effectivement « apprendre à parler le langage de la puissance » (J. Borrell). Si l’Union échouait à opérer cette transformation profonde, c’est le projet européen lui-même qui risquerait d’être frappé d’obsolescence.

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.
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