ANALYSES

Espagne : automne en ombre et soleil démocratiques

Tribune
27 novembre 2020
 


Batailles autour du budget, disputes sur la nouvelle loi éducative, contestations de la monarchie, résurgence d’ETA dans le débat politique, motion de censure déposée par l’extrême droite, puissante vague migratoire africaine aux îles Canaries ont créé ces dernières semaines un climat pesant et contraignant bien éloigné des urgences sanitaires de la Covid-19. Pourtant ce parcours du combattant a généré une dynamique en passe de donner le jour, dans la douleur, à une autre Espagne. Réactualisant les fondements historiques de sa transition démocratique, déjà lointaine,

Automne rugueux en effet. La majorité gouvernementale PSOE-PODEMOS peine à construire une cohérence parlementaire lui permettant, enfin, de faire voter un budget répondant aux critères sociaux qui sont les siens. Sans majorité suffisante PSOE et PODEMOS gouvernent depuis 2018 sur la perpétuation d’une année sur l’autre de la dernière enveloppe adoptée par un parlement dominé par le Parti populaire (PP), la droite. La quête d’alliés s’est faite en direction des partis politiques progressistes de L’Espagne périphérique et nationaliste, Bildu (parti indépendantiste basque), ERC (Gauche Républicaine Catalane). PNV (Parti nationaliste basque), Ce qui a soulevé des tensions contradictoires bousculant la majorité.  Ceux que l’on appelle «  les barons » socialistes , cadres du parti et de l’administration territoriale, rechignent à négocier avec les « périphériques » indépendantistes. Et ont poussé Pedro Sanchez, le président du gouvernement, à laisser la porte ouverte à un soutien du parti Ciudadanos. PODEMOS qui peine à intégrer la culture de solidarité gouvernementale, a signalé son intention de déposer un amendement, budgétaire avec Bildu et ERC. Tout en développant une politique extérieure sur un mode exclusif et excluant, au même moment, en Bolivie et sur le Sahara occidental. La droite est mors aux dents, puisant dans le passé le plus sombre, celui de l’Espagne une et indivisible du franquisme, celui d’un révisionnisme historique ayant conduit la majorité municipale madrilène des droites à débaptiser deux rues portant le nom de deux victimes illustres de  la dictature du caudillo, Largo Caballero et Indalecio Prieto, celui manipulateur  de Pablo Casado, chef du PP, assimilant Bildu au  terrorisme de l’ETA, aux attentats du 11 septembre 2001 à New York et à celui de la salle de spectacle Bataclan à Paris, pour diaboliser tout accord avec les « périphériques » nationalistes. Qu’il s’agisse du budget ou de la nouvelle loi éducative, qui, tout en maintenant l’obligation de l’apprentissage de l’espagnol à l’école, lui retire tout privilège véhiculaire.

Le tableau paraît au premier abord, porteur potentiel de graves problèmes institutionnels et politiques. Certains pourraient être tentés de renvoyer les Espagnols au clivage historique des « deux Espagne ». Ce serait oublier le côté transformateur des évènements en cours. Le temps passe en Espagne, en Catalogne, au Pays basque, comme ailleurs. Le renouvellement générationnel a porté aux responsabilités, des politiques qui n’ont pas ou peu connu la période de la dictature. La transition démocratique des années 1976-1982 est presque tout aussi loin. Au Pays basque l’ETA a prononcé sa dissolution en 2011. Bien des jeunes basques ont une notion assez floue du vécu de leurs parents et grands-parents. En dépit du regain d’actualité provoqué par un phénomène de librairie, le roman « Patria » de Fernando Aramburu. Cette nouvelle génération, à Barcelone, Madrid, Vitoria, a bousculé les interdits de la précédente, marqué par un passé difficile à gérer, celle de José Maria Aznar, Santiago Carrillo, Manuel Fraga Iribarne, Felipe Gonzalez, Jordi Pujol, Adolfo Suarez. Sans que quiconque l’ait pensé, de fait, une culture de compromis démocratique a fait son chemin. Contrairement aux propos décalés, « d’une autre époque » a commenté un chroniqueur parlementaire du quotidien « El Pais », Xosé Hermida, le 19 novembre, Bildu n’est pas l’ETA. L’ETA n’a plus d’existence depuis sa dissolution en 2011. Bildu est un parti nationaliste indépendantiste, certes, mais qui a inscrit ses principes d’action dans le cadre constitutionnel en vigueur. Comme le prouve sa décision de chercher divers accords ponctuels, et d’intérêts mutuels avec le gouvernement central. La même remarque peut être faite en ce qui concerne les Catalans d’ERC. En échange effectivement d’une autre conception de l’Espagne, moins une, légalisant ses diversités, ouvrant la voie à un autre contrat social. Une évolution qui conduit les périphériques à réintégrer l’Espagne sur une base d’esprit fédéral, ou confédéral, rompant, de fait, avec les discours indépendantistes antérieurs.

Reste à en convaincre tous ceux qui vivent toujours dans un monde modulé par un passé, opposant centralistes et indépendantistes, censurant les parties écarts, refusant les alliances au nom de la prudence en tout, et donc imposant de gouverner au centre. C’est avant tout une question générationnelle au sein du PSOE. Et une politique du rétroviseur pour une droite, Vox, PP, Ciudadanos, sans autre cap qu’un retour en arrière pour l’Espagne. Reste aussi à apurer une bonne fois le passé. Le gouvernement de coalition PSOE-PODEMOS a délogé la dépouille mortelle de Francisco Franco du monument national, construit par des prisonniers républicains, encore à la charge du budget national. Il a ouvert la voie à la récupération d’un bien national occupé illégalement par les descendants du dictateur en Galice. L’accord du PSOE et PODEMOS a été total sur cette remise à niveau de l’histoire. Mais cette relecture plus conforme aux critères démocratiques du temps présent est en attente d’une autocritique de Bildu sur les années noires du terrorisme d’ETA autocritique accompagnée par PODEMOS

L’Espagne, en dépit de crispations diluantes, suit une voie démocratique inclusive. « Ces dernières années », a écrit le grand historien, Santos Julia, « la démocratie [1]a répondu de façon incluante, elle a incorporé de nouveaux acteurs politiques, sans porter atteinte aux antérieurs, et sans que le système institutionnel en ait souffert ».

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[1]Santos Julia, Demasiados retocesos, Barcelone, Galaxia Gutemberg, 2019
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