ANALYSES

« Le riz, céréale cruciale au temps du coronavirus »

S’il n’est pas la céréale des mondes européens, force est de constater le riz à toute sa place sur nos tables de consommateurs. Un plat venu d’ailleurs… Certes, nous cultivons du riz dans la plaine du Pô au nord de l’Italie ou en Camargue dans le sud de la France. Mais l’Europe est un nain sur la planète rizicole : à peine 0,4 % de la production mondiale ! Retour sur les grands équilibres stratégiques liés à cette céréale.

Une production performante. D’abord un volume : 500 milliards de kilos ou 500 millions de tonnes si l’on jargonne en termes agricoles. C’est la quantité produite de riz complet sur la planète. A titre comparatif, c’est deux fois moins que le maïs (1100 Mt) et inférieur à la production mondiale de blé qui se situe autour de 750 Mt. Depuis l’entrée dans le XXIe siècle, la production de riz s’est accrue de 25 % : 100 Mt supplémentaires pour répondre à une consommation à la hausse. Cette évolution s’est faite sur des surfaces équivalentes, environ 165 millions d’hectares étant dévolus à la riziculture aujourd’hui. L’amélioration des rendements est à souligner pour expliquer les performances des dernières décennies. Si nous remontons dans le temps, rappelons que la production de riz était de 200 MT en 1970 et n’a dépassé la barre des 300 Mt qu’au milieu des années 1980.

Le grain de riz, unité de mesure de la pauvreté. Ensuite une sociologie. Les consommations de riz individuelles varient fortement selon les régions dans le monde. Si la moyenne est de 80 kg par habitant par an, elle grimpe à plus de 200 au Laos, au Bangladesh, au Cambodge ou au Vietnam. Dans ce dernier pays, le terme manger signifie littéralement « manger du riz ». Nous parlons là de territoires qui ont souffert au XXe siècle de guerres et de violences continues, où la faim sévissait pour la plupart des populations. On mesurait la pauvreté et l’inquiétude alimentaire en fonction du nombre de grains de riz dans les foyers.

Cette réalité n’a sans doute pas beaucoup changé dans de nombreux pays de nos jours. Revenons à cette consommation contemporaine : en Inde, c’est 70 kg en moyenne par an, au Brésil ou en Egypte c’est entre 40 et 50 kg. Ces chiffres chutent à 10 kg par habitant aux Etats-Unis ou en Australie et à 5 pour les Européens. En mars et en avril, les ventes de riz ont explosé dans plusieurs pays européens, à commencer par la France. Encore plus que les pâtes (faites avec du blé…), les consommateurs se sont précipités sur les paquets de riz pour construire leur réserve alimentaire de confinement.

Une céréale finalement très peu négociée sur la planète. Ensuite, le riz, c’est bien entendu une géographie. La Chine et l’Inde pèsent respectivement pour 30 % et 25 % de cette récolte mondiale de riz. Cette céréale est leur base alimentaire, le premier maillon de la sécurité nutritionnelle des populations. D’ailleurs, sur le total des stocks de riz disponibles dans le monde, la Chine en contrôle à elle seule les deux-tiers. Les autres géants producteurs se nomment Indonésie (37 Mt), Bangladesh (35 Mt), Vietnam (28 Mt) et Thaïlande (18 Mt).

L’Asie réalise plus de 90 % de la production de riz de la planète. C’est aussi la région dominante sur l’exportation de cette céréale, dont l’internationalisation est relative : à peine 9 % de la récolte se retrouve chaque année sur les marchés mondiaux, soit environ 45 Mt. C’est tout de même 15 Mt supplémentaires en dix ans ! Et c’est un volume stratégique. La céréale d’Asie représente un marché mondial dynamique. Et là, nous retrouvons, comme sur tant d’autres productions agricoles, un cercle très restreint d’acteurs à l’export.

C’est la dimension géopolitique. Une minorité d’origines géographiques compte dans l’équation : l’Inde, premier exportateur mondial avec 10 Mt, est suivie de la Thaïlande et du Vietnam (7 à 9 Mt chacun). Ces trois pays assurent généralement 60 % des flux de riz à l’export dans le monde. La Chine, les Philippines, l’Union européenne, l’Arabie saoudite, l’Iran ou l’Irak sont les autres grands acheteurs de cette céréale.

Le Covid-19, révélateur des fragilités. En miroir, l’Afrique subsaharienne, polarise actuellement le tiers des importations mondiales. Si l’on produit du riz en Afrique, on en consomme surtout de plus en plus et il faut recourir aux approvisionnements extérieurs pour compléter les productions nationales. Plusieurs Etats, comme le Nigeria, investissent pour réduire cette dépendance internationale, encore plus sensible quand les prix du riz augmentent ou que les chaînes logistiques déraillent. L’actuelle crise systémique du covid-19 met bien en lumière toutes les vulnérabilités liées aux enjeux alimentaires. Cambodge, Vietnam et Inde ont pris au printemps des mesures pour restreindre leur exportation de riz temporairement, pour faire face aux contraintes du coronavirus et sécuriser, avant tout, leurs besoins et leurs stocks domestiques.

Simultanément, la Thaïlande cherche à se placer sur les marchés et à tirer profit de cette situation pour amplifier son rôle majeur sur le commerce mondial de riz. Si ces limitations commencent à être levées, elles montrent que l’on surveille toujours de près les produits alimentaires de base quand l’essor d’une crise surgit et impose de protéger l’essentiel, c’est-à-dire la vie et la paix sociale. Celle-ci passe souvent par les tables et les estomacs. Nul ne peut garantir que les récoltes mondiales de céréales seront préservées en 2020. Le Covid-19 fragilise les systèmes de productions et les conditions climatiques ne sont pas très favorables cette année. Un choc de prix et de nouvelles secousses géopolitiques à l’horizon des prochains mois ?
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