ANALYSES

Pétrole : jusqu’où ira la chute des prix ?

Interview
13 mars 2020
Le point de vue de Francis Perrin


Le sommet de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), et de ses alliés, s’est tenu le 6 mars dernier à Vienne (Autriche). Un désaccord profond entre la Russie et l’Arabie saoudite met en péril la coopération des pays, et prolonge la chute des prix du pétrole, qui ne cesse de péricliter depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Entretien avec Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS.

Les négociations entre la Russie et l’Arabie saoudite lors du sommet de l’OPEP, le 6 mars dernier à Vienne, ont échoué. Quels étaient les enjeux de ce sommet ? Pourquoi cet échec ?

L’OPEP actuelle compte treize pays membres, mais elle travaille avec dix pays non-OPEP. Parmi ces pays, certains sont plus importants que d’autres en termes pétroliers. L’Arabie saoudite est le pays le plus important au sein de l’OPEP et la Russie le plus important parmi les pays non-OPEP.

Face à la chute des prix liée au coronavirus, l’OPEP avait proposé aux pays non-OPEP de réduire conjointement la production pétrolière de 1,5 million de barils par jour jusqu’à la fin 2020. Le 6 mars, la Russie a refusé cette proposition d’accord faite par l’OPEP, conduisant la réunion à un échec total. Comme les prix du pétrole chutaient déjà depuis le début de l’année, notamment du fait du coronavirus, ils ont continué à baisser après l’échec de ce sommet. Sur les marchés pétroliers, les traders s’attendaient à ce que l’OPEP et ses alliés non-OPEP réagissent logiquement, notamment en réduisant leur production. L’absence de réaction a entraîné une baisse supplémentaire des prix. Cela a donc été un échec cuisant pour la coopération OPEP et non-OPEP, mais aussi pour l’évolution des prix du pétrole.

Pour rappel, cette coopération entre l’OPEP et ses alliés durait depuis la fin de l’année 2016. Depuis cette date, ces pays ont coopéré de façon régulière, et non plus ponctuelle comme cela pouvait être le cas parfois dans le passé. La décision russe du 6 mars 2020 marque un coup d’arrêt. Nous ne savons pas encore si cette alliance est morte et enterrée ou si cet évènement est surmontable et si la collaboration pourra renaître de ses cendres. Il est trop tôt actuellement pour en juger.

C’est un coup très dur pour les pays concernés, mais aussi pour le marché pétrolier, ainsi que pour d’autres pays exportateurs, souvent très dépendants du pétrole et donc de ses revenus et de ses prix. Ces pays se trouvaient déjà en difficulté face à une chute des prix provoquée par les effets négatifs du coronavirus sur l’économie mondiale.

Quelles sont les conséquences de cet échec, qui a eu pour effet d’ouvrir les vannes de la production pétrolière saoudienne ?

Suite à l’échec de la réunion du 6 mars, l’Arabie saoudite a annoncé trois décisions importantes. La première porte sur les prix, la deuxième concerne la production, la troisième porte sur la capacité de production. Chaque mois, l’Arabie saoudite annonce pour le mois suivant les prix auxquels elle vendra son pétrole brut à l’exportation. Elle vient d’affirmer que, pour le mois d’avril, les prix de vente seraient réduits de six à huit dollars par baril par rapport au mois de mars.

L’Arabie saoudite produit actuellement un peu moins de 10 millions de barils de pétrole par jour. Elle a indiqué que, pour le mois d’avril, elle fournirait à l’ensemble de ses clients des volumes de pétrole un peu supérieurs à 12 millions de barils par jour. Elle se trouve ainsi dans l’obligation d’augmenter drastiquement sa production pour fournir ses clients. Le pays n’entend donc plus défendre un certain niveau du prix du pétrole, mais compte bien défendre sa part de marché. Enfin, le royaume entend faire passer sa capacité maximale de production soutenable à 13 millions de barils par jour, contre 12 millions de b/j aujourd’hui.

Lorsqu’un producteur adopte une telle stratégie, il a tendance à casser les prix pour placer au maximum sa production sur le marché mondial et, ce, au détriment des autres pays, dont la Russie. 

Venant de la part d’un acteur pétrolier aussi important que l’Arabie saoudite, ce revirement stratégique est majeur.

L’épidémie de coronavirus a par ailleurs un impact momentané significatif sur l’importante chute du prix du pétrole. Ses effets sont-ils durables ?

Le coronavirus a fait fortement chuter les prix du pétrole depuis le mois de janvier. Il y a un réel « effet coronavirus » sur le marché pétrolier mondial, notamment parce qu’il vient de Chine. C’est un pays majeur sur le plan pétrolier puisqu’il est le deuxième consommateur mondial de pétrole et le premier importateur mondial. De fait, lorsqu’un virus part de Chine et qu’il frappe son économie ainsi que le secteur des transports, il y a un impact évident sur les prix. D’autant plus que, pour lutter contre l’expansion de l’épidémie, les autorités chinoises ont pris des mesures très strictes concernant les déplacements de dizaines de millions de personnes, avec une conséquence logique sur la consommation de carburants pétroliers. Et donc des prix.

L’extension du coronavirus à un grand nombre de pays à travers le monde a multiplié cet impact économique négatif sur le secteur des transports notamment, ainsi que sur l’industrie.

C’est la raison pour laquelle les pays de l’OPEP voulaient absolument une réduction de production pour essayer de contrer, au moins en partie, l’impact du coronavirus sur les prix du brut. La Russie ayant refusé cette proposition d’accord le 6 mars et l’Arabie saoudite ayant annoncé qu’elle se battrait dorénavant pour accroître sa part de marché, les prix se sont effondrés. Au total, les cours du pétrole ont perdu une trentaine de dollars par baril depuis le début de l’année, soit une chute de l’ordre de 50%. En un peu plus de deux mois, c’est considérable.
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