ANALYSES

Brexit : « Les institutions britanniques sont actuellement incapables de résoudre l’équation »

Interview
15 janvier 2019
Le point de vue de Olivier de France


Le Parlement britannique vote aujourd’hui pour rejeter ou entériner le compromis trouvé par Theresa May avec l’Union européenne, à moins de 80 jours de la date de sortie officielle du Royaume-Uni, et plus de deux ans et demi après s’être prononcé en faveur de ce divorce par référendum. La Première ministre britannique s’apprête à voir son compromis rejeté par les parlementaires. Tous les scénarios restent cependant encore envisageables. Le point sur la situation avec Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS.

Pourquoi les parlementaires britanniques ne sont-ils pas prêts à voter l’accord sur le Brexit que Theresa May a âprement négocié avec Bruxelles pendant dix-sept mois ?

Theresa May, souvenez-vous, a convoqué une élection générale anticipée en juin 2017 qui devait lui permettre d’obtenir une majorité écrasante pour faire passer sa vision et son projet concernant le Brexit. La Première ministre en est sortie affaiblie plutôt que renforcée. Pour préserver sa majorité, elle a été obligée de pactiser avec les unionistes d’Irlande du Nord (le DUP). Elle est donc forcée de prendre en compte leurs lignes rouges si elle souhaite rester au pouvoir.

Or les unionistes refusent qu’une frontière du marché unique européen apparaisse entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Cela reviendrait à séparer, du point de vue douanier, l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Comme le disait hier un unioniste, si Belfast a « livré une guerre contre le terrorisme pour rester dans le Royaume-Uni, ce n’est pas pour laisser des bureaucrates bruxellois en détacher l’Irlande du Nord ».

La Première ministre britannique est allée chercher des concessions à Bruxelles, qui les a jusqu’à présent refusées. C’est un point central sur lequel achoppe le reste de l’accord, car les Européens sont solidaires de la République d’Irlande, qui reste un état membre de l’UE. Ainsi, toutes les solutions potentielles semblent à l’heure actuelle bloquées. Les institutions britanniques sont actuellement incapables de résoudre l’équation du Brexit.

Il demeure par ailleurs encore, y compris dans le personnel politique à très haut niveau en Angleterre, une surprenante ignorance des tenants et des aboutissants du Brexit. Il demeure des parlementaires siégeant notamment dans la Chambre des Lords qui ne maitrisent pas la distinction entre l’Union douanière et le Marché unique. Le leader de l’opposition n’aime pas et ne comprend pas non plus l’Union européenne. Le dernier ministre du Brexit a découvert la nature des flux économiques entre Douvres et Calais. Un tel niveau d’ignorance et de désintérêt des questions européennes peut surprendre, surtout à ce niveau de responsabilité.

D’où vient une telle paralysie institutionnelle ?

Le Royaume-Uni est une vieille démocratie parlementaire. En 2016, David Cameron a choisi de soumettre l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE par le biais d’un referendum binaire (oui ou non). Aujourd’hui, les institutions n’arrivent pas à sortir de cette ornière.

À partir du moment où on soumet cette question à un referendum, on ouvre une boîte de Pandore. Concrètement, David Cameron a annoncé que cette question ne pouvait pas être résolue par les institutions britanniques, mais seulement par la voix du peuple. Le gouvernement britannique s’est ainsi condamné à la suivre. Mais alors, faut-il organiser un second referendum maintenant que les Britanniques comprennent mieux les ressorts de la discussion ? La population britannique a compris que ce n’était pas aussi simple de sortir de l’UE. Cependant, il n’y a pas eu d’énorme modification de l’opinion publique. Cela résoudrait-il donc quelque chose ? Pas forcément puisque la division serait toujours importante. À partir de là, est-ce qu’on ne s’ouvrirait pas la possibilité d’un troisième referendum dans deux ans ? C’est infini.

Aussi David Cameron a-t-il placé le pays dans une position impossible. Si l’on ne respectait pas le résultat de ce premier referendum, cela créerait une véritable défiance du peuple vis-à-vis des institutions. Car le peuple britannique aurait l’impression, comme en 2005 avec le traité constitutionnel européen en France, ou avec le vote sur le traité de Lisbonne en Irlande, qu’on le ferait revoter jusqu’à prendre ladite bonne décision. Cette perception serait vraiment catastrophique, tant pour les institutions britanniques qu’européennes.

Toutefois, l’inverse est tout aussi compliqué : s’il n’y a pas de second referendum, le Royaume-Uni se retrouvera dans une situation de paralysie institutionnelle, car la majorité actuelle des conservateurs au Parlement n’est pas suffisante pour faire passer le compromis. Et plus largement, aucune des options actuelles concernant la négociation du Brexit ne peut aboutir au vu de la fragile majorité de Theresa May.

Pour conclure, le Royaume-Uni en est arrivé à un point où la lassitude est généralisée. Tout le monde veut passer à autre chose. Pourtant, aucune solution ne semble pouvoir débloquer la situation. Et les institutions britanniques n’arrivent pas à résoudre le problème du Brexit malgré cette lassitude.

La Commission européenne a publié une série de mesures à adopter en cas d’absence d’accord avec Londres. Que faut-il en penser ?

Il y a trois dimensions importantes lors de ces négociations du Brexit, que sont Londres, Bruxelles et Dublin. Ce n’est pas seulement Bruxelles qui a publié ses préconisations pour une absence d’accord. Londres a également libéré un budget de deux milliards d’euros pour les administrations qui sont les plus concernées par l’éventualité d’un « no deal ». Dublin a aussi publié ses préconisations qui permettent d’esquisser ce qui pourrait se passer en cas d’absence d’accord.

Toutefois, on reste encore dans le cadre d’une négociation. C’est-à-dire qu’il y a à la fois la perspective importante d’un « no deal », mais également les effets politiques que ce type d’annonce peut produire. Le fait de publier ces préconisations dans le cas d’une absence d’accord a également un objectif et une portée politiques. Du point de vue de Theresa May, le fait de rendre concrètes les conséquences d’une potentielle absence d’accord peut permettre de pousser les conservateurs récalcitrants à accepter le compromis que la Première ministre a négocié avec l’Union européenne (UE). De la même manière, les préconisations de Bruxelles peuvent aussi servir de munitions à Theresa May dans la recherche d’un consensus au niveau britannique.

Enfin, en rendant tangibles les conséquences possibles d’une absence d’accord pour l’Irlande, Dublin serait davantage encline à faire un compromis sur ses lignes rouges au niveau de la frontière avec ses partenaires européens, pour éviter la perspective d’une absence d’accord qui aura des conséquences sérieuses pour l’Irlande.

Ces trois aspects portent donc à la fois sur la négociation, mais aussi sur les annonces politiques qui pourraient permettre de modifier les positions de chacun pour tenter d’accepter un compromis qui serait réussi pour tout le monde. Et non la situation actuelle avec une absence d’accord où chaque acteur sort perdant, de Bruxelles à Londres en passant par Dublin.

 
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