ANALYSES

Le Brexit aura-t-il lieu ?

Interview
20 juillet 2018
Le point de vue de Olivier de France


Brexit ou pas Brexit ? Michel Barnier et le nouveau secrétaire d’Etat britannique chargé du Brexit, Dominic Raab, se sont rencontrés aujourd’hui pour reprendre les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, dans un contexte politique de plus en plus tourmenté outre-Manche. Le point de vue d’Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS, sur l’état des négociations.

Theresa May a présenté cette semaine un Livre blanc pour l’après-Brexit qui énonce ses propositions pour la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Quelle analyse en faites-vous ?

Le référendum britannique a eu lieu en juin 2016. L’activation de l’article 50 du traité de Lisbonne qui enclenche le processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne date de mars 2017. Pour rappel, ce sont les Britanniques eux-mêmes qui ont activé cet article, donc les Britanniques eux-mêmes qui ont choisi le calendrier et ses échéances.  Un an et demi est passé depuis, et le divorce est censé être acté avant le 29 mars 2019.

En principe, plus l’on s’approche de l’échéance, plus les négociations devraient marquer un progrès, ou tout du moins une clarification permettant d’envisager un compromis. La publication du Livre blanc détaille l’accord auquel est parvenu le cabinet britannique, un consensus entre les différentes factions du parti conservateur qui se livrent une guerre de tranchée sur la position britannique. Mais les députés tant eurosceptiques et pro-européens à la Chambre des communes ont tôt fait ensuite de déposer des amendements au projet pour mieux lier les mains de Theresa May.

Le Livre blanc, qui aurait pu permettre de clarifier la position britannique, a donc finalement contribué à rendre la situation plus confuse encore. À quelques mois de l’échéance, l’inverse aurait été préférable… car les délais commencent à sérieusement se raccourcir. Lorsque deux parties affichent des positions divergentes, il est toujours possible d’engager une négociation. Mais pour cela, il faut bien qu’elles aient arrêté une position de négociation ! Or ce n’est pas le cas du Royaume-Uni.

Ce Livre blanc aurait pu être une base à la négociation, mais au fond il arrive un an et demi trop tard. En réalité, si le Royaume-Uni avait conçu un plan pour sa sortie il aurait présenté ce Livre blanc à l’activation de l’article 50.

Brexit ou pas Brexit ?

On me pose cette question à intervalles réguliers depuis deux ans, et je me suis toujours bien gardé d’y répondre. Pour quiconque suit un peu la question, il semble évident que les variables qui président à la question sont trop nombreuses et trop contingentes pour y répondre.

On peut déjà se poser la question de savoir si les négociations se déroulent dans un cadre diplomatique classique. Si c’était le cas, on pourrait postuler que les tensions de part et d’autre servent à avancer les pions de chaque partie, et permettent d’avancer vers un compromis, comme dans une négociation classique. Mais ce n’est pas une négociation classique. Elle est plutôt extrêmement politique, et soumise à la volatilité qui est propre au débat politique interne au Royaume-Uni. Plus l’on tente de clarifier les ambiguïtés qui subsistent, plus les divisions semblent s’accentuer du côté britannique.

La seule chose d’à peu près prévisible est que deux crises distinctes sont nécessaires pour dénouer la situation. La première entre le Royaume-Uni et l’Union européenne est nécessaire pour arrêter un compromis avant l’échéance finale. Mais pour cela, le Royaume-Uni doit élaborer une position consolidée, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Dès lors, une crise politique interne au Royaume-Uni est nécessaire au préalable. Cette crise a déjà débuté, mais jusqu’où et jusqu’à quand ira-t-elle ? Un nouveau leadership au sein du parti conservateur ? De nouvelles élections législatives ? Une position britannique consolidée ? Mais quid alors des délais ? Le cas échéant, faudrait-il reprendre toutes les discussions de zéro – et l’UE le permettrait-elle ? Rien n’est moins sûr.

Comment le Royaume-Uni et l’Union européenne peuvent-ils avancer ?

Il n’y a actuellement aucune majorité au Parlement britannique pour permettre l’émergence d’une quelconque solution. Tout l’éventail des solutions présentées, que ce soient le « soft Brexit », le « hard Brexit », l’option Canada, l’option Suisse, l’option Norvège, l’option « no-deal » (c’est-à-dire sans compromis avec l’UE), aucune d’entre elles ne repose sur une majorité au Parlement ou dans le pays. Une crise politique aboutira à la moins pire des solutions, mais aucune qui ne satisfera une majorité de citoyens.

Du coté européen, le plan présenté par Theresa May sera difficilement acceptable. Il revient en effet à séparer les quatre libertés fondamentales (libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes) sur lesquelles l’intégrité du marché unique repose. Sur cette question, ce n’est ni la position française ni la position allemande qui sera cruciale, mais la position franco-allemande. Certes la solution d’un « no-deal » peut avoir des conséquences économiques importantes sur la France ou l’Allemagne, et l’on peut imaginer quelques aménagements à la marge, mais le compromis franco-allemand restera probablement de faire passer l’intégrité du marché unique avant les intérêts nationaux, et cela risque d’être également la position européenne.
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